Aux Frontières de l’Aube – Near Dark

Réalisation : Kathryn Bigelow

Scénario : Eric Red & Kathryn Bigelow

Directeur de la Photographie : Adam Greenberg

Montage : Howard E. Smith

Musique : Tangerine Dream

Chef Décorateur : Stephen Altman

Direction Artistique : Dian Perryman

Casting : Karen Rea

Production : Mark Allan, Edward S. Fellman, Steven-Charles Jaffe, Charles R. Meeker, Diane Nabatoff, Eric Red

Pays : USA

Durée : 1h34

Sortie aux USA le 2 octobre 1987. En France le 9 novembre 1988. Disponible en DVD/BluRay

Acteurs Principaux : Adrian Pasdar, Jenny Wright, Lance Henriksen, Bill Paxton, Jenette Goldstein, Joshua Miller, Tim Thomerson, Marcie Leeds

Genre : Fantastique, Western, Horreur

Note : 10/10

Sorti en 1988, Aux frontières de l’aube sera amené à grandir par le bouche à oreille, mais connaîtra un succès confidentiel pendant des années. La réalisatrice Kathryn Bigelow a pourtant su peu de temps après se faire connaître du grand public avec le très bon Point Break en 1991 dont le pitch est étrangement similaire : un honnête homme pénètre dans un monde de libertés et d’excès qui le met à l’épreuve moralement. Dans Near Dark, cet homme, c’est Caleb, un jeune fermier qui se fait initier par une étrange jeune femme, Mae. On nous raconte comment il évolue au sein du groupe que constitue la famille de celle-ci : le terrible couple Jesse et Diamondback, l’impétueux Severen et le jeune Homer qui ne grandira jamais. Dans un monde où le jour est synonyme de mort et où la nuit est un immense terrain de chasse, ils sont les prédateurs que vous ne souhaiteriez jamais croiser.

Le ton est donné dès le premier plan lorsqu’on voit Caleb écraser un moustique qui boit son sang. Le film sera une histoire d’affrontements et de prédation. L’Amérique « civilisée » redevient le temps d’un heure et demie le terrain de jeu de hors-la-loi que nul ne peut stopper. Des hors-la-loi d’autant plus terrifiants qu’ils sont surnaturels.

Kathryn Bigelow sur le tournage de Near Dark (avec Jenette Goldstein/Diamondback)

Kathryn Bigelow a auparavant réalisé un film de motards, The Loveless avec Willem Dafoe, qui préfigure déjà une filmographie sous adrénaline. Aux Frontières De L’Aube emprunte cet attrait du grand frisson. La réalisatrice filme les immensités sauvages de l’Arizona au Texas. Les routes deviennent les grands espaces des westerns. Lorsque la nuit vient, les bikers et les routards remplacent les cow-boys. La nature devient le décor de ce western moderne au sein duquel les saloons ne sont guère plus fréquentables que des siècles auparavant. Ces étendues respirent la liberté, mais la liberté a son prix : celui du retour à la vie sauvage. Kathryn Bigelow s’empare d’un terrain généralement masculin pour inverser les règles. Dès le départ, Caleb est montré comme le représentant de l’espèce dominante, le cow-boy roulant des mécaniques devant la superbe jeune femme. Les double sens induits dans les premières scènes font peu à peu monter la tension, distillant l’étrangeté de Mae. Mais l’avantage demeure du côté de Caleb jusqu’au moment où elle finit par montrer son vrai visage. Elle le contraint à entrer dans son monde en le contaminant. Dès lors elle le tient, le forçant à découvrir son territoire où les règles n’existent plus. Les créatures du film sont des bêtes qui – tels des loups – partent à la chasse la nuit tombée. Pour eux, il n’y a pas de meurtres mais des manières de pouvoir passer la nuit prochaine.

Dans une séquence impressionnante de par sa crudité et sa longueur, Katryn Bigelow décrit l’initiation de Caleb. Le groupe entre dans un bar de motards et décime un à un les habitués et le personnel en prenant le temps de faire durer le plaisir. Il y’a l’apparition, le repérage annonciateur du massacre : des silhouettes inquiétantes au loin dans une étrange fumée. Plus tard, un autre plan fera écho à cette image magnifique montrant Caleb et son cheval, décrivant le cow-boy comme l’annonciateur de la mort du groupe de hors-la-loi.

Il y a ensuite l’encerclement, d’étranges préliminaires, puis le massacre se prolonge par touches progressives, comme un rituel où chacun des membres de la « famille » a son rôle. La banalité de la situation pour les uns – les sourires des chasseurs font penser à une partie de rigolade quotidienne – côtoient l’atrocité du point de vue des autres. Pour insister sur ce décalage, Kathryn Bigelow filme la tuerie de façon clinique. Cette sécheresse de la représentation de la violence rappelle celle de Sam Peckinpah lorsqu’il décrivait le quotidien de La Horde Sauvage. Même note d’intention de départ (le plan introductif avec la mise à mort des scorpions évoque celui de Caleb et du moustique), l’Amérique sauvage filmée de façon hostile, même bande de hors-la-loi qui se construisent leurs propres règles, même invitation à suivre de l’intérieur des bandits auxquels on finit par s’attacher au cours de l’aventure. Car même si on a à faire à de véritables prédateurs, ceux-ci ont gardé un côté humain.

Leur organisation et la chaîne des saigneurs est constituée par un besoin familial et affectif vital plus que par sélection naturelle. Cette humanité les rapproche de la famille unie de Caleb qui est pourtant son opposée. Cet instinct grégaire sera la faiblesse du groupe, mais aussi sa force car elle témoignent de grandes scènes au sein desquelles l’affection des membres ressort véritablement, comme ce suicide final du couple ou bien l’acte désespéré d’un Homer rongé par la solitude et qui n’a plus rien à perdre. La famille, c’est aussi le thème de The Devil’s Rejects de Rob Zombie, qui doit sa scène d’ouverture à Aux Frontières De L’Aube. Le début de l’assaut des hommes du shérif sur la famille Firefly cite au plan près l’encerclement du motel dans lequel la bande de Jesse Hooker s’est réfugié, et la prise d’assaut de la police. Aux Frontières De L’Aube est pourtant plus manichéen que le film de Rob Zombie, établissant une frontière morale qui l’oriente vers le récit d’apprentissage.

Vampires…vous avez dit vampires? Le film lui se garde bien de le faire. Dans ce contexte moderne par rapport aux archétypes du film/roman vampirique, la réalisatrice scénariste nous a fait le premier film ou on ne parle pas du mot en « v », le premier où le vampirisme n’est associé à aucune religion. Même John Carpenter qui orientera son Vampires vers le western ne se délestera pas du mythe à ce niveau (le titre est parfaitement explicite), intégrant le folklore catholique parmi ses vampires bestiaux et ses Van Helsing modernes. Les repères du vampirisme de Aux Frontières De L’Aube se situent dans leur récit, car les personnages se définissent par ce qu’ils font, en dehors de toute dénomination. Une grande partie des éléments du vampirisme sont pourtant là (la lumière du soleil tue, ils se nourrissent du sang humain, ils sont immortels). Il y’a aussi ce jeune vampire cruel qui ne grandira jamais qui rappelle la petite Claudia d’Entretien avec un vampire. Mais c’est bien la seule chose que Katryn Bigelow va emprunter à Anne Rice. On ne saura que le strict nécessaire sur les origines de ses prédateurs. L’absence d’un nom sur son mal donne à la condition de Caleb un flou inquiétant, qui évoque une contamination clinique, irrésistible, plus que n’importe quel film du genre.

La nuit est la seule et unique religion du film. Elle l’enveloppe littéralement et semble exercer sur ses créatures une fascination sans bornes, à la mesure de leur peur irraisonnée de la lumière du soleil. Les créatures de Aux Frontières De L’Aube brûlent au soleil, comme les vampires de la légende et le spectacle est lent et douloureux, évoquant des brûlures médicales aussi brutales que les morsures. En 1987, année de production du film, La contamination par le sang est un thème délicat. Le VIH a déjà fait de nombreuses victimes, chacun connaît son existence et les risques potentiels de rapports non protégés, les transfusions sont aussi étroitement contrôlées. Le sang est le canal par lequel passe le danger, et Kathryn Bigelow récupère astucieusement cette peur moderne dans son utilisation du mythe vampirique, par un rapport presque médical aux corps et à la douleur. Elle établit également une puissante métaphore sur la drogue. Le sang devient tour à tour ce qui fait plonger Caleb et ce qui va le délivrer, par l’intermédiaire d’une transfusion du sang de son père, un curieux sevrage mais qui fait pourtant sens dans le cadre du film. Caleb est un junkie qui traîne avec son gang. Il se nourrit de Mae sans aucune retenue. Il ne peut plus se passer de sang mais il n’a pas encore passé le stade où il tuerait pour s’en fournir. Une scène dans une gare le montre tentant de rentrer chez lui, mais son besoin irrépressible de se nourrir l’en empêche. Son état physique est pitoyable et ses symptômes rappellent les gestes d’un junkie en manque. Le plaisir qu’il tire du mode de vie du groupe et à sucer le sang de sa « femme » lui donnent l’impression de vivre (lorsqu’il se nourrit de Mae, on entend le pouls de la jeune femme). Et en effet, il vit comme un gamin qui découvrirait ses premières expériences.

Caleb devient peu à peu accroc à cet affranchissement des contraintes sociales. Mais sa place n’est visiblement pas là car s’il finit par s’intégrer au groupe grâce à son courage, il restera dépendant de celui-ci pour se fournir. Moralement, le code qui était le sien coule encore dans ses veines. Il ne faudra pas plus d’une transfusion de son père pour le rappeler à ce qu’il est.

Aux Frontières De L’Aube est un film très immersif qui parvient à asseoir une identité visuelle forte. La lumière éclairant les protagonistes au cœur de la nuit est flamboyante. Les trous faits par les balles lors de l’assaut de la police créent des faisceaux mortels pour le groupe. Les plans sur les vampires brûlant au jour sont superbes. Les grands espaces et la nature y sont filmés comme des personnages à part entière qui accentuent l’unité visuelle du film. L’autre facteur de cette forte immersion est un des castings les plus remarquables des années 80 qui ne contient pourtant aucune tête d’affiche. Adrian Pasdar (depuis revu dans les séries Profit et Heroes) est parfait dans tous les stades de l’évolution du personnage, devenant même inquiétant lorsqu’il découvre innocemment les plaisirs du sang auprès de Mae. On aurait clairement envie d’entrer dans le monde de la ravissante Jenny Wright,  puis de la sauver. Elle obtiendra un prix d’interprétation féminine au festival du film fantastique de Paris, mais sa carrière météore l’identifiera à jamais à ce personnage. C’est aussi avec plaisir qu’on retrouve Lance Henriksen, Bill Paxton et Jenette Goldstein, une partie de la « Cameron crew » d’Aliens (Bigelow ne cache pas son admiration pour le travail de James Cameron, qui sera par la suite son mari). Une poignée de grands acteurs qui apportent à leur personnage un plus qui évite les grands dialogues et permet de les faire connaître dans l’action. La réalisatrice prend le temps de développer cette action comme une succession d’instants et d’expériences intimes de son personnage principal. La musique de Tangerine Dream enveloppe le tout d’une aura mystérieuse et hypnotique qui accentue l’expérience sensorielle du spectateur.

Nimbée de guitares, de percussions et un brin atmosphérique, la nuit d’Aux frontières de l’Aube est quelque part entre le rêve et le cauchemar. Comme beaucoup de films des années 80, celui-ci aurait pu être un point de le temps, une série B regardable et vite oubliée. Mais à chaque redécouverte, il est aussi puissant qu’au premier visionnage. On s’est longtemps contenté du lot de consolation : Un DVD Studio Canal qui rend au moins justice aux qualités du film, et qui fut remplacé il y’a quelques années par l’honnête édition BluRay de la collection Make My Day de Jean-Baptiste Thoret. Une ressortie cinéma suivie d’un opus plus fourni pourrait agrandir très vite le nombre des mordus.

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