House – ハウス

La sortie de House dans les salles françaises 46 ans après sa sortie japonaise est une nouvelle aussi inattendue que réjouissante. Film de maison hantée / slasher avant l’heure au croisement de l’horreur burlesque et du film d’avant-garde, le premier long métrage du réalisateur Nobuhiko Ōbayashi est aussi peu banal que sa génèse. Le milieu des années 1970 est une époque de vaches maigres pour la Tōhō, entre la fin du succès de la série des Godzilla, le départ de son réalisateur fétiche Akira Kurosawa vers des territoires internationaux et l’essor de la télévision qui détourne les familles des écrans de cinéma. Le succès des Dents de la Mer de l’autre côté du pacifique incite le Président de la Tōhō à commander à Ōbayashi un grand spectacle qui pourrait inciter le public adolescent japonais à revenir dans les salles. Bien qu’il n’ait pas encore réalisé de long métrage et soit issu de l’avant-garde, le réalisateur a déjà réussi à faire entrer son imagerie dans les foyers japonais à travers des publicités. Le voilà avec le chèque en blanc d’un grand studio et la mission d’exporter cette imagerie dans un film qui redéfinirait les standards de l’époque. Il trouve l’inspiration dans les peurs enfantines de sa fillette de huit ans qu’il décide de plaquer dans ce qui s’apparente à un scénario (foutraque) de film de maison hantée. En lieu et place du requin, c’est une maison qui s’attaque à des lycéennes. Lorsque la jeune Belle invite ses six amies dans la vieille maison de sa tante qu’elle n’a pas revue depuis très longtemps, elle cherche à renouer avec sa mère décédée quelques années plus tôt. Mais la demeure familiale a une vie propre, et les jeunes filles commencent à disparaître les unes après les autres, sous le regard malicieux d’une tante décidément bien louche, d’un squelette qui prend vie et d’un chat bien plus menaçant qu’il en a l’air.

La tâche de lister les influences de House est quasi impossible, l’objet étant un patchwork de pop culture japonaise des 70’s qui passe sans crier gare de la bluette romantique adolescente sucrée (type Pinku eiga) à l’animé manga survolté. Ōbayashi s’autorise même quelques montées dramatiques contemplatives et un soupçon d’érotisme. Ses jeunes victimes sont archétypales, chacune étant définie par sa caractéristique première : la coquette, l’adepte du kung-fu, l’intello, la gloutonne, l’imaginative, la gentille. Au-delà d’une préfiguration des teen movie qui fleuriraient aux Etats-Unis dans les années 80, leur caractérisation rudimentaire permet d’orienter l’histoire vers le conte cruel – avec en point d’orgue ces mise à mort étranges (et parfois kitsch) sorties de l’imagination d’une enfant. On peut penser au Roal Dahl de Charlie et la Chocolaterie, mais aussi à des contes bien plus anciens qui font succomber les enfants par leur péché mignon. La figure de la sorcière et de son familier est réutilisée avec malice par le réalisateur pour la plaquer dans le cadre de la maison hantée. Le mythe du prince charmant qui vole au secours de sa belle est quand à lui écorné sans espoir de retour. La forme surréaliste de House – qu’on pourrait voir à tort comme une incapacité à créer une unité – fait ressortir ces aspects poétiques et surnaturels et crée un univers à part. Un monde sous influence du cinéma muet et du mouvement dadaïste des années 20 / 30, mais qui reste tout de même unique. Peu importe que les ruptures de ton soient gérées avec une grande brutalité et que les effets soient si kitsch qu’on frôle parfois le nanar, on se laisse balader avec plaisir dans ce train fantôme, pourvu qu’on laisse tomber sa garde.

Face à cet objet filmique non identifié, la Tōhō décida de ne pas mettre en avant le film, le reléguant en deuxième partie d’un double programme avec un film romantique. Malgré cette exploitation, House fait parler de lui au Japon. Partout ailleurs, l’effet sera différent. Aux Etats-Unis, il rejoindrait les Midnight Movies, catégorie de films à petit budget diffusés dans les séances de minuit qui engendra un vivier de films « cultes » : Eraserhead, The Rocky Horror Picture Show, les films de Jodorowsky (…). Sa notoriété ne dépassa pas le cadre des campus, mais elle permit au film de survivre. En France, après une diffusion en festival qui conduisit à des critiques incendiaires, House tomba dans l’oubli. Un oubli qui pourrait s’expliquer par le fait qu’il est arrivé trop tôt. Quelques années plus tard, Sam Raimi réaliserait Evil Dead, puis Evil Dead 2, qui mettrait en orbite l’horreur burlesque – entraînant toute une série de films gores cartoonesques et décomplexés. Tim Burton accoucherait de Beetlejuice un peu plus tard. Ces deux films présentent tellement de similitudes avec House et sa maison possédée qu’ils en deviennent suspects. Une conjonction d’influences similaires évidemment, et heureusement pour Sam Raimi et Tim Burton un cadre et une époque beaucoup moins sérieuse, où le grand public était plus à même d’accueillir ces joyeux débordements. Il aura fallu attendre 2023 pour que House sorte chez nous dans une poignée de salles – et en version restaurée – grâce à Potemkine Films. Je ne peux que vous conseiller de tenter l’expérience. Le dépaysement est garanti.

Pour en savoir plus sur House, n’hésitez pas à jeter un oeil sur cette excellente vidéo de Monsieur Bobine.

Réalisation : Nobuhiko Ōbayashi

Scénario : Chiho Katsura, Chigumi Ōbayashi

Directeur de la Photographie : Yoshitaka Sakamoto

Montage : Nobuo Ogawa

Musique : Asei Kobayashi, Mickie Yoshino

Chef Décorateur : Kazuo Satsuya

Assistant réalisateur : Kōhei Oguri

Effets visuels : Nobuhiko Ôbayashi, Takeshi Miyanishi

Son : Toshiya Ban, Shôhei Hayashi

Production : Tomoyuki Tanaka, Yorihiko Yamada, Nobuhiko Ôbayashi

Pays : Japon

Durée : 1h28

Sortie en salles le 28 juin 2023

Acteurs principaux : Kimiko Ikegami, Miki Jinbo, Kumiko Ōba, Ai Matsubara, Mieko Satō, Eriko Tanak, Masayo Miyako, Kiyohiko Ozaki, Saho Sasazawa, Yōko Minamida

Genre : Epouvante, Horreur burlesque, Drame, Comédie

Note : 8,5/10

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