Oppenheimer

On pourrait faire un film passionnant sur les cerveaux qui alimentèrent la physique théorique mondiale de son grand boom à la première moitié du XXème siècle – suite à l’étincelle des théories de la relativité d’Einstein – jusqu’aux années 1960. Christopher Nolan ne fait qu’effleurer le sujet du scientifique car ce qui l’intéresse est la facette politique, celle qui différencie Robert Oppenheimer de ses nombreux collègues. Il fut le trait d’union entre la communauté scientifique et les dirigeants des Etats-Unis dans la création de la bombe A qui pulvérisa Hiroshima et Nagasaki. Mais il fut aussi un sympathisant du communisme et il lutta par la suite contre la mise en place de la bombe à Hydrogène, successeur autrement plus puissant de sa création. Le réalisateur cherche à percer à jour cette personnalité mystérieuse, dans une valse incessante entre trois temporalités : Le récit de la construction de la bombe A, celui de la commission qui mena à l’exclusion du scientifique et celle qui s’apprête (dans le présent du récit) à juger de la probité de Lewis Strauss (Robert Downey Jr., enfin libéré de Tony Stark). Quel est le lien entre Strauss et Oppenheimer ? Christopher Nolan le dira en temps voulu et à sa manière, car le réalisateur du Prestige a un agenda pour ne pas perdre le spectateur tout en le baladant à dessein, en le bombardant de stimuli qui l’enferment pendant trois heures dans le milieu fermé construit par Oppenheimer. Les trois temporalités sont elles-mêmes brouillées par l’entrechoquement de la couleur (la subjectivité d’Oppenheimer) et du noir et blanc (les faits avérés historiquement). Le tout est emballé dans un rythme soutenu qui ne laisse pas le temps de réfléchir ou de prendre du recul, ni de s’ennuyer, enchaînant les moments décisifs comme autant de scènes qui auraient paru banales dans tout autre film. Comme pour souligner cette convergence que fut la première moitié du vingtième siècle : Le choc de trois idéologies politiques radicales créant une tension politique sans précédant et une ère de créativité scientifique en roue libre. Les trains politiques et scientifiques menés à vive allure accouchèrent d’un monstre, qui fut fatalement confisqué par le politique. C’est ce que raconte Christopher Nolan jusqu’à son premier climax : Une montée en puissance qui culmine lors des essais Trinity de la Bombe A, un tour de force encore plus magnifié quand on voit le film dans une salle IMAX. Il nous terrasse un peu plus quelques minutes plus tard lors d’une scène de discours qui décrit le ressenti d’Oppenheimer alors que ses mots prononcent le contraire. Puis le réalisateur prépare son deuxième climax dans une forme plus nolanienne, dans un jeu de faux semblants entre Oppenheimer et Strauss.

Il est difficile de décrire l’expérience qu’est Oppenheimer. Elle renvoie à un cinéma historique du passé léché, appliqué, artisanal, à ces films de guerre dans lequels un casting trois étoiles se partageait une pléiade de petits rôles (toutes les têtes connues sont ici employées à merveille). Mais elle est aussi inédite, car ne ressemblant à aucun biopic et aucun thriller politique, les deux genres que Nolan emprunte pour mieux brouiller les pistes. C’est une expérience singulière menée à toute allure qui, croisé à notre connaissance de l’Histoire, peut produire des étincelles. Son rythme n’épuise même pas, son côté cérébral et sa maniaquerie documentaire passionnent. Le réalisateur parvient même – au milieu de tout ça – à nous faire ressentir le bouillonnement interne d’un homme qui détenait l’avenir de l’humanité entre ses mains et le frisson du pouvoir qui anesthésiait ses sens. Il nous fait aussi sentir dans notre chair que tout sentiment de domination d’un progrès est vain. Il servira toujours à terme à un funeste dessein politique car l’Homme ne progresse pas. Christopher Nolan est fataliste, la dernière scène d’Oppenheimer le prouve dans une comparaison qu’on vous laissera le loisir de découvrir, mais qui résume bien son film, dans sa forme comme dans son fond. Un film qui supportera de nombreux visionnages et qui, sans aucun doute, fera date.

Oppenheimer a été tourné en pellicule 65mm et en pellicule IMAX 70mm. Il ne peut-être vu dans des conditions optimales (salle IMAX/projection 70mm) dans aucune salle en France. Vous pouvez lire cet article pour faire le meilleur choix près de chez vous. La différence avec une projection traditionnelle se ressent. 😉

Réalisation : Christopher Nolan

Scénario : Christopher Nolan, d’après le le livre American Prometheus: The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer de Kai Bird et Martin J. Sherwin

Directeur de la Photographie : Hoyte Van Hoytema

Montage : Jennifer Lame

Musique : Ludwig Göransson

Cheffe Décoratrice : Ruth de Jong

Direction Artistique : Samantha Englender, Jake Cavallo, Anthony D. Parillo

Production : Thomas Hayslip, Christopher Nolan, Charles Roven, Emma Thomas, J.David Wargo, James Woods

Casting : John Papsidera

Costumes : Ellen Mirojnick

Pays : USA, Royaume-Uni

Durée : 3h00

Sortie en salles le 19 juillet 2023

Acteurs Principaux : Cillian Murphy, Emily Blunt, Robert Downey Jr., Matt Damon, Florence Pugh, Josh Hartnett, Jason Clarke, Rami Malek, Casey Affleck, Benny Safdie, Matthew Modine, David Krumholtz, Tom Conti, Kenneth Branagh, Dane DeHaan, Alden Ehrenreich, Jack Quaid, Dylan Arnold, Gustaf Skarsgård, Tony Goldwyn, Gary Oldman, Macon Blair, Harry Groener, James D’Arcy, Matthias Schweighöfer, Jefferson Hall

Genre : Historique, Biopic, Thriller Politique, Drame

Note : 9/10

6 commentaires sur “Oppenheimer

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  1. Je me suis régalé, en lisant l’article comme en voyant le film. Et grand merci pour ce lien vers les salles qui projettent « Oppenheimer » dans les meilleures conditions. Je n’irai pas jusque Londres pour le revoir dans son essence la plus pure, mais j’ai bien repéré quelques salles près de chez moi qui proposent une alternative valable.

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  2. Merci pour le compliment et pour tes commentaires sur cet article et sur les autres. Le film a été vu en IMAX au Pathé Quai d’Ivry. Le résultat est déjà très immersif, même si la projection est en numérique et l’IMAX est un peu rogné. Je reviendrai peut-être un peu sur l’article après l’avoir vu en 70 mm (une séance est prévue au REX). N’hésite pas à partager tes impressions quand tu l’auras vu dans de meilleures conditions.

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