Cela fait dix ans que Jonathan Glazer nous a donné Under the Skin et sa Scarlett Johansson alien mangeuse d’homme. Et il revient enfin avec un nouveau film, une fausse adaptation du roman éponyme de Martin Amis, vaudeville dans le contexte d’un camp de concentration. Glazer a choisi d’aborder le sujet plus sérieusement que l’écrivain, mais il conserve le décalage en osant aborder la question des camps autrement que par le drame. Il suit le commandant Rudolf Höss, grand ingénieur du camp d’Auschwitz, sa femme Hedwig et leurs enfants dans leur quotidien bucolique. Leur vie familiale se déroule avec la quiétude de toute famille nombreuse de la haute bourgeoisie, à ceci près qu’un mur entoure leur demeure. Et derrière ce mur, il y’a des bâtiments surmontées de cheminées dans lesquels l’innommable se produit. Pourtant la seule hantise d’Hedwig est de quitter ce hâvre dont elle est la reine, et ce départ semble imminent alors que son mari va être muté sur un poste plus important.
La projection de l’Etrange Festival est la première depuis que le film a décroché le Grand Prix du Festival de Cannes en mai dernier, et les avant-premières seront rares avant sa sortie française en janvier prochain. C’est donc avec fierté que l’Etrange dresse le pavillon du chef d’oeuvre, encore réhaussé par Gaspar Noe, venu présenter le film avec moultes superlatifs. On aurait tort de dire que La Zone d’Intérêt ne provoque pas une forme de malaise. La bande originale de Mika Levi est inquiétante, et le spectre de l’horreur qui sera découverte dans le camp plane en permanence. Massacre à la Tronçonneuse sera cité lors de la présentation du film, et il n’est pas faux que Glazer envisage le camp d’Auschwitz comme une sorte d’usine, d’abattoir que Rudolf Höss dirige avec un grand professionnalisme pour la prospérité de sa famille, à l’instar de la famille du classique de Tobe Hooper. Mais si le film de Hooper joue essentiellement sur le hors-champ et l’atmosphère, il ne nous coupe pas de l’horreur qui se déroule. Un seul et unique plan de la Zone d’Intérêt montrera le chef de famille au-delà du mur, et il sera enfermé par la caméra, des hurlements venant suggérer ce qui se déroule hors champ. Beaucoup plus tard, une ellipse dévoile plus fortement l’horreur qui s’est déroulée en ces lieux. Entre temps, que de suggestion…
Jonathan Glazer a visiblement souhaité nous faire ressentir cette normalité comme un palier de plus vers l’horreur. La démonstration fonctionne sur la première moitié du film, mais l’enchaînement des scènes de la vie quotidienne finit par lasser. On regarde alors plus les détails de l’arrière du cadre, ce qui semble se passer au-delà des jardins et de la grande maison, ce que certains personnages voient et qui ne sera pas montré, ce que disent les personnages. A ce niveau, seule nos connaissances et notre imagination sont convoquées. Jusqu’à quel point un film peut-il suggérer pour qu’on considère qu’il ne raconte rien, ou presque ? La zone d’intérêt a de belles qualités formelles, mais c’est avant tout la démonstration d’une seule idée : l’être humain peut faire abstraction des pires horreurs pourvu qu’elles prennent des allures de banalité, comme la routine d’un travail. Comme on sait très bien, 80 ans après, que le IIIème Reich ne comprenait pas que des sadiques, mais aussi des fonctionnaires zélés à sang-froid, on peine à comprendre pourquoi on vient nous exposer cette démonstration sur 1h50, sans réelle intrigue ou personnage consistant et sur un ton aussi neutre. Restent les interprétations convaincantes de Christian Friedel et de Sandra Hüller, qui est également à l’affiche de la Palme d’Or de cette année, Anatomie d’une Chute.
Réalisation : Jonathan Glazer
Scénario : Jonathan Glazer
Directeur de la Photographie : Lukasz Zal
Montage : Paul Watts, Johnnie Burn
Chef Décorateur : Chris Oddy
Direction Artistique : Joanna Kus, Katarzyna Sikora
Production : Reno Antoniades, Daniel Battsek, Len Blavatnik, Danny Cohen, Ke’Lonn Darnell, Bugs Hartley, David Kimgambi, Ollie Madden, Magdalena Malisz, Ewa Puszczynska, Bartek Rainski, Tessa Ross, James Wilson
Pays : USA, Royaume-Uni, Pologne
Durée : 1h46
Sortie française le 31 janvier 2024

Acteurs Principaux : Sandra Hüller, Christian Friedel, Max Beck, Ralph Herforth, Stephanie Petrowitz
Genre : Chronique, Historique
Note : 6,5/10

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