Il y’a déjà 9 ans, le réalisateur australien Rolf de Heer frappait fort avec Charlie’s Country, chronique dramatique qui suivait l’adaptation difficile d’un aborigène vieillissant incarné par David Gulpilil (Crocodile Dundee, La Dernière Vague), également crédité au scénario. SDF et alcoolique, le célèbre acteur avait vécu des années hors de la société australienne, puis il avait été emprisonné. Ami de Gulpilil depuis leur rencontre sur The Tracker (2002), Rolf de Heer avait offert le film à l’acteur pour sa sortie de prison afin de faciliter sa réinsertion. Cette démarche caractérise bien Rolf de Heer, réalisateur aussi humaniste dans ses valeurs que dans ses projets. Il avait vogué par le passé entre fables engagées (The Tracker) et récits individuels aussi jusqu’au-boutistes qu’émouvants (le magnifique Bad Boy Bubby), mêlant parfois les deux (Alexandra’s Project et son féminisme percutant).
Lorsque la pandémie lui impose de tourner en extérieurs avec une équipe réduite et peu de comédiens, il part à la recherche de lieux inspirants du côté de la Tasmanie et a une vision de son ami Peter Djigirr (producteur de Charlie’s country, également aborigène) enfermé dans une cage dans l’immensité du désert australien. C’est le prémisse de The Survival of Kindness. Peter Djigirr étant indisponible, il engage Mwajemi Hussein, une réfugiée congolaise pour interpréter le rôle principal d’un film au scénario en construction. Mwajemi a passé son enfance au Congo dans des conditions très difficiles avant d’émigrer en Australie où elle défend les droits des femmes auprès de sa communauté. Elle n’a non seulement jamais joué dans un film, mais elle n’a aucune connaissance du cinéma. Rolf de Heer a souhaité que son énergie et son vécu transparaisse dans les attitudes de son héroïne, une femme qui se bat pour sa liberté et marche devant elle sur toute la durée du film. Un choix avisé lorsqu’on voit à quel point elle porte le film sans avoir besoin de dire le moindre mot.
Car oui, The Survival of Kindness a la particularité d’être un film quasiment muet, où le silence n’est brisé que par des mots dans des langues différentes. Laissée prisonnière dans une cage au milieu du désert, l’héroïne se libère et traverse les étendues d’Australie Méridionale et de Tasmanie – où le film a été tourné. Dans un monde futur indéterminé infecté par une sorte de peste mortelle, elle a toutes les peines à pouvoir communiquer avec le peu de gens qu’elle rencontre. Malgré cela, elle tente d’établir un contact via les gestes, l’échange et les attentions qu’elle porte à ces gens de passage. Elle doit aussi fuir la menace de blancs effrayés par cette pandémie qui se sont organisés en milice. Ces milices ne se déplacent pas sans masque, ils asservissent les « étrangers » non masqués et abattent froidement ceux qui sont souffrants, autant que ceux qui osent porter leur masque. A mesure qu’elle avance dans sa fuite, l’héroïne finit par rencontrer de bonnes âmes, mais l’espoir d’un monde où ces milices n’existent pas s’amenuise peu à peu.
Fable post-apocalyptique d’un aller et d’un retour, The Survival of Kindness trahit à tous instants ses origines australiennes, pour notre plus grand plaisir. Les paysages décrits sont autant magnifiés que les rapports humains y sont pervertis. Les personnages sont archétypaux, dans une époque incertaine, ce qui rend au récit une dimension malheureusement universelle. La désagrégation de la société et la peur y conduisent fatalement au repli et au renoncement à l’inclusion de ce qui est différent. Rolf de Heer a beau être un réalisateur foncièrement pessimiste sur la nature humaine (ses films tentent d’extraire une once de beauté de des contextes profondément inhumains), il a franchi dans ce film un cran dans le désespoir. Il ne cache pas son empathie pour son héroïne et il emprunte son point de vue avec le même doigté qu’il l’avait fait avec les exclus de ses autres films. Mais ici, toutes les issues semblent irrémédiablement bloquées. La sentence est un retour complet à la vie sauvage, et l’acceptation de son destin. The Survival of Kindness est une nouvelle fable cruelle à accrocher au mur des belles oeuvres de Rolf de Heer. A voir absolument en salles.
Réalisation : Rolf de Heer
Scénario : Rolf de Heer
Directeur de la Photographie : Maxx Corkindale
Montage : Isaac Lindsay
Musique : Graham Tardif
Cheffe Décoratrice : Maya Coombs
Directeur artistique : Uwe Feiste
Production : Anton Andreacchio, Julie Byrne, Rolf de Heer, Ari Harrison, Bryce Menzies, Sue Murray, Domenico Procacci, Molly Reynolds
Pays : Australie
Durée : 1h40
Sortie en salles le 13 décembre 2023

Acteurs Principaux : Mwajemi Hussein, Darsan Sharma, Deepthi Sharma
Drame : Drame, Post Apo
Note : 7,5/10

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