Une vie de cinéphile vous amène parfois au bon endroit au bon moment. Non remis d’une longue semaine laborieuse et pluvieuse, je monte dans le RER direction le Majestic de Bastille pour une séance exceptionnelle d’un film dont j’ai un peu entendu parler – et loupé au festival de Gérardmer neuf mois plus tôt – Hundred of Beavers. Rien de tel qu’une bonne petite comédie décalée pour laisser la semaine derrière soi. Je me retrouve sans crier gare entouré d’une salle comble avec un type qui poursuit d’autres types habillés en costume d’animaux dans un décor hivernal surréaliste enveloppé dans une belle photo noir & blanc. Le héros, un vendeur d’alcool de pomme ruiné reconverti en trappeur par nécessité alimentaire, puis par amour – semble venu tout droit d’un vieux slapstick des années 1920. A moins qu’il ne soit la réincarnation humaine de Vil Coyote tentant par tout moyen de capturer Road Runner dans une révision live des cartoons de Chuck Jones qu’on aurait couplée avec l’inventivité visuelle d’Aardman période Wallace & Gromit. Et il y’a tous ces hommes qui courent dans des costumes de lapin et de castors, et tous ces ingrédients mélangés au shaker s’arrangent étonnamment bien. En quelques minutes, je suis cueilli. Après plusieurs dizaines de minutes, il n’existe plus que ce Jean Kayak malchanceux qui sait tomber et grimper comme un chef, le petit monde singulier qui l’entoure et cette faune pleine de malice qui lui fait vivre un enfer. Le monde réel a totalement disparu. Je souris bêtement au moindre gag régressif et j’entends les rires aussi sincères des autres spectateurs privilégiés, qui semblent avoir autant capté le langage de ce film que moi. Mike Cheslick (réalisateur / scénariste / monteur) et Ryland Brickson Cole Tews (Jean Kayak / Scénariste / Producteur) ont peut-être touché quelque chose avec cet objet bizarre de 150 000 dollars. Ils ont peut-être capté une essence de la comédie.

Le monde de Mike Cheslick est d’une simplicité enfantine, mais chaque personnage et chaque décor y’a sa place. Telle la carte traçant la route du trappeur en devenir, la géographie des lieux se construit pas à pas entre pièges qui mettent du temps à faire leurs preuves, rencontres récurrentes qui tissent des rapports et motifs qui se répètent. Un Sherlock Holmes et son Watson castor réutiliseront même un de ces motifs à leur avantage pour tordre le récit et l’envoyer dans une toute autre direction. Preuve qu’ici, rien ne se perd, tout se réutilise pour construire le parcours d’apprentissage de Kayak. On peut voir son histoire comme une progression allant crescendo, d’abord vers son vif du sujet (il faudra du temps pour qu’un bel effet dramatique dévoile le titre), puis au-delà, dans la découverte d’un monde des castors endeuillé par l’étrange quête du trappeur et qui ressemble étrangement au nôtre. (Presque) sans aucun mot et quelques cartons, Hundred of Beavers est compréhensible. Il nous parle avec son montage, sa bande son qui accompagne avec humour le moindre gag ou avec lyrisme les moments les plus marquants, et plus que tout, par l’image. C’est un bel hommage à un cinéma lointain et une pantalonnade qui n’a que faire du classicisme. Il s’en dégage une énergie positive et galvanisante qui envoie KO tous les films de cette année 2024 alors qu’il est encore inédit chez nous. Une fois n’est pas coutume, je vous invite à participer en nombre à cette campagne Ulule portée par Charybde distribution qui permettra au film de sortir dans une édition BluRay à sa démesure.

