Made In England : Les Films de Powell & Pressburger

A l’occasion de la rétrospective Michael Powell à la cinémathèque française, il m’est d’abord venu l’idée de consacrer un article à chacun de ses films majeurs ou une intégrale comme je l’avais fait pour John Sayles il y’a trois ans. Un travail de titan, mais qui en valait la peine. Et voilà que lors de l’ouverture de la rétro, Thelma Schoonmacher (dernière femme de Powell et monteuse de tous les films de Martin Scorsese depuis Raging Bull) souffle l’existence d’un documentaire, Made In England : Les Films de Powell & Pressburger sorti en catimini sur la plateforme Mubi. Un documentaire dans lequel Martin Scorsese narre la vie et la carrière de Michael Powell (et de ce fait aussi une grande partie de celle d’Emeric Pressburger), avec une mise en perspective de l’influence qu’il a eu sur ses films et sur sa vie, en tant que cinéaste et en tant qu’ami. Que valent une dizaine d’articles face à Marty qui parle de cinéma ? Avec un sujet qui le touche aussi intimement que les films du duo anglo-hongrois, les mots qu’il pose sur les images d’archives rares, les interviews et extraits de scènes qui traversent les plus de 2h de ce documentaire les font tellement vivre qu’on oublie l’aspect formel (et trompe l’œil) d’un court magistral illustré. Dans un ordre chronologique, chaque film marquant est scruté et analysé, entre l’hommage à l’indépendance et à l’audace de Powell et l’histoire cinématographique du jeune (et du plus vieux) Martin Scorsese.

Martin Scorsese

Tout commence avec ces million dollar movies, films anglais directement distribués dans les foyers américains et multidiffusés qui forgent la cinéphilie de Scorsese et de ses amis. Le nom et l’emblème des Archers (société de production créée par Powell & Pressburger) est vite associé à la promesse d’une expérience unique et d’un grand mystère. Personne ne parle de ce réalisateur bicéphale, Powell & Pressburger. Existe-t-il réellement ? Dans les années 70, le jeune réalisateur de Mean Streets et de Taxi Driver ira au-devant de lui pour le vérifier. Il est alors ostracisé dans son pays suite au scandale que son film le Voyeur a provoqué au Royaume-Uni.

Martin Scorsese, Michael Powell et Thelma Schoonmacher dans les années 80

La rencontre est marquante pour Scorsese. Il a déjà intégré dans son inconscient, une grande partie de ce qui constitue Michael Powell. Le réalisateur a démarré sa carrière dans le muet et tout autant que l’image et le montage, il croit en la toute-puissance de la musique orchestrale qui accompagne chaque film. La séquence finale du Narcisse Noir a été construite comme un « film composé », filmé et monté pour coller à un morceau musical et sa partition. La scène de ballet de 17 minutes des Chaussons Rouges embraye un niveau supérieur. Les Contes d’Hoffmann est dans sa totalité un film composé. Dès Mean Streets et de façon plus flagrante dans ses films des années 80, Martin Scorsese a rendu populaire ces séquences construites et montées en rythme avec des morceaux musiques. Le symphonique s’est transformé en pop, mais l’esprit est le même.

Un autre aspect de leur rencontre est une recherche de la création cinématographique complète. A mesure de sa carrière, Powell tend à s’éloigner du réalisme documentaire et à aller vers la création pure, et c’est ce qui le séparera au final de sa moitié plus rationnelle, Pressburger. Le cinéma traduit pour lui l’expression subjective d’une émotion, et non une réalité. C’est ce qui a fait tendre peu à peu les films de Powell & Pressburger vers une grande ingéniosité technique, vers la fantaisie et la comédie, vers quelque chose de véritablement vivant, une sorte de condensé de la créativité du muet et de l’expressivité des couleurs qu’offrait alors le Technicolor. Scorsese et les réalisateurs du nouvel Hollywood, Coppola, De Palma et Lucas, étaient tentés par l’instant vérité de la Nouvelle Vague, comme beaucoup de réalisateurs de leur époque, mais leur ADN reste comme Michael Powell, à tendre vers un cinéma complet qui utilise tous les outils à disposition pour exprimer un point de vue, une émotion, autant qu’il cherche à divertir.

Dans le documentaire, Martin Scorsese compare le directeur de ballet Lermontov des Chaussons Rouges à Travis Bickle et à nombre de ses personnages en conflit, sous tension, prêts à exploser. L’anti-héros du Voyeur, Mark, est passé de l’autre côté. Il conjugue son art avec la mort comme une addiction. L’empathie pour ces personnages vivants, ambigus qui se dégage des films de Powell & Pressburger a visiblement déteint sur ses films, mais ils ne sont pas non plus, tous deux, étrangers à un Lermontov qui place son art au rang de religion. Ils sont tous deux des artistes coincés dans le cinéma, qui ont mené leur vie entière à travers lui. Il n’est pas étonnant que Bertrand Tavernier, autre grand accroc du cinéma, soit aussi devenu un grand ami de Michael Powell, promouvant ses mémoires et ses films dans notre pays via l’institut Lumière. Ces ciné-dépendants se sont reconnus.

Boris Lermontov (Anton Walbrook) dans les chaussons rouges, un des nombreux dénominateurs communs entre Scorsese et Powell

Comme eux lui doivent beaucoup, Powell doit également beaucoup à Scorsese et aux « jeunes loups » qui l’entouraient. Dans ses mémoires en 2 tomes (1), il raconte que sa première rencontre avec Marty – à un temps où il ne pouvait plus vivre de son art depuis 10 ans – lui a donné le sentiment que le sang coulait de nouveau dans ses veines. Il fut recruté ensuite pour une courte période par Francis Ford Coppola dans ses studios Zoetrope naissants comme conseiller et devint une présence d’arrière-plan pour Martin Scorsese pour le reste de sa vie. Il lui souffla notamment la fin d’After hours et c’est une de ces critiques constructives qui fit de Raging Bull un film en noir & blanc. Made in England : Les flms de Powell & Pressburger est non seulement une parfaite entrée en matière qui vous donnera envie d’aller plus loin sur l’œuvre de Michael Powell, mais aussi l’histoire d’une belle rencontre qui a influencé deux vies.

(1) Ecrits durant des années avec le concours de Thelma Schoonmacher, « Une vie dans le cinéma » et « Million Dollar Movie » constituent l’autobiographie la plus précise et la plus passionnante écrite par un réalisateur. Les édition françaises de l’Institut Lumière sont épuisées, mais vous pouvez tenter votre chance en ligne.

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