A la Quinzaine des Réalisateurs du festival de Cannes 2024, Eephus a fait une belle impression à son échelle, à l’ombre de la compétition officielle. L’ombre est une place qui sied parfaitement à ce récit simple, celui du dernier match de base-ball disputé entre deux équipes de ligue « récréative » de Nouvelle-Angleterre avant que leur terrain ne soit rasé pour un projet de construction. Les deux équipes composées d’hommes de tous âges et de toutes professions entrent dans un match qui se poursuivra longtemps, et dont chaque détail d’apparence insignifiant, y compris dans les coulisses, nous sera conté. Lorsqu’un personnage nous explique (à nous béotiens du baseball) ce qu’est un Eephus, on saisit un peu plus ce dans quoi nous embarque le jeune réalisateur / scénariste / monteur Carson Lund (ancien chef op’, c’est sa première réalisation ! ) : Une balle lancée en cloche et suffisamment lente pour déstabiliser le batteur. Une tentative de ralentir le temps sur une dernière rencontre.
Contrairement à beaucoup de films sur le sport, la structure d’Eephus n’est pas menée par le parcours d’un « prodige » qui sort du lot, ni par l’apprentissage des vertus du collectif par une équipe sortant vainqueur de la compétition (comme le récent Ils étaient un seul homme de Georges Clooney). Peu importe qui gagne. Lund englobe l’ensemble des joueurs, de leurs proches, des spectateurs badauds non initiés sans privilégier une ligne dramatique spécifique. Autant de points de vue possibles sur un seul centre de gravité : le match de base-ball et son terrain, seuls véritables protagonistes et fédérateurs de tout ce petit monde.
S’il y’a bien des marqueurs temporels comme le découpage de la journée et l’arrivée de la nuit, la structure du film prend celle des neuf manches d’un match de base-ball, marquée par les points comptés par Franny, qui fait partie des meubles tant il est resté fidèle au poste sur de nombreuses années.
Sur ce canevas imprévisible et parfois chaotique, le jeu continuera au gré du départ des arbitres ou d’un entraîneur, comme une force invisible qui pousse chacun des joueurs encore debout à aller jusqu’au bout, quitte à employer des ruses pour tromper le cours du temps. Plus que les règles et le match (le film sera accessible à qui ne connaît pas le baseball), ce sont les échanges et l’environnement social que crée la pratique d’un sport qu’Eephus cherche à nous faire ressentir, avec un certain succès. Vivant dans ces échanges, dans la gouaille de ses personnages (tous uniques, avec leur propre background et très loins des archétypes jeunistes) et rythmé par l’alternance ses multiples points de vue, il porte pourtant un ton crépusculaire comme on appréhende ces moments où on parlera du stade au passé, où tous ces échanges ne seront plus qu’un souvenir, où chacun des protagonistes retournera à sa vie quotidienne.


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