Chaque épisode d’ Inside No. 9 se déroule dans un numéro 9, un décor unique. Cette règle, comme un mantra, guide les auteurs / producteurs / acteurs Reece Shearsmith et Steve Pemberton, deux sinistres personnages bien connus des amateurs de comédie anglaise pour avoir dépassé les limites de la comédie noire et du grotesque dans La ligue des gentlemen et Psychoville. Les voilà partis pour dix ans (la série est diffusée sur BBC 2 entre février 2014 et juin 2024) vers quelque chose de plus insidieux, de plus fin, de plus réel et de plus contraint. Mais plus la contrainte est grande, plus l’écriture est inventive.
En 9 saisons d’analyses de nos faiblesses, de nos veuleries, de nos angoisses dans des formes de huis clos sans cesse renouvelées, Shearsmith et Pemberton ont renouvelé avec bonheur l’anthologie anglaise. Cet été, la Revanche du Film leur rend hommage en revenant sur les 9 saisons de la série.
3.1 The Devil of Christmas

Julian, sa femme enceinte Kathy, sa mère Célia et son fils Toby sont accueillis par Klaus dans un chalet au sein des Alpes autrichiennes. Dès leur arrivée, ils sont intrigués par un mystérieux tableau de Krampus – allié de Saint Nicolas réservant des punitions horribles aux mauvais enfants – sur le mur…Mais tout cela n’est visiblement qu’un épisode d’anthologie horrifique, et le réalisateur Dennis Fulcher ne tarde pas à intervenir sous la forme d’un commentaire audio, commentant une erreur de continuité ou en mettant évidence les erreurs de l’actrice qui joue la grand-mère. Le film se poursuit après la première nuit où les personnages découvrent que Krampus a jeté son dévolu sur le pauvre Toby. Les peurs sont confirmées le deuxième jour lorsque des marques du démon sont retrouvées sur l’enfant. La grand-mère décide de protéger Toby en quittant le chalet avec lui. Mais Julian découvre bientôt des marques sur le corps de sa femme.

Le duo Reece Shearsmith / Steve Pemberton quitte les univers très confinés choisis jusqu’ici pour ouvrir les saisons, mais l’occasion est spéciale : Il s’agit d’un épisode spécial Noël (tradition anglaise) d’Inside No. 9. The Devil of Christmas est un beau pastiche de ce qu’on pouvait tourner en termes d’anthologie horrifique sur une chaîne anglaise dans les années 70 (Tales of the Unexpected, Thriller…). L’épisode 70’s dans l’épisode des années 2010 étant tourné avec plusieurs caméras utilisées à l’époque et en format 4/3. Le réalisateur Graeme Harper qui travailla sur Doctor Who dans les années 70 a ce qu’il faut d’expertise pour reproduire les conditions de tournage de l’époque, qui étaient très limités dans le temps, ce qui conduisait à garder des prises pas toujours probantes. Le voyage est d’autant plus sympathique que le duo s’amuse à ponctuer la fiction des rebondissements dont ils ont le secret. The Devil of Christmas interpelle sur toute sa durée, et il n’abuse pas trop du commentaire audio, ce qui permet de rester investi dans l’histoire. Néanmoins, un mystère plâne autour de ce commentaire audio mené par la voix reconnaissable de Sir Derek Jacobi.

En effet, ce serait mal connaître nos terribles showrunners que de s’imaginer que The Devil of Christmas n’est qu’un making-of de série horrifique des années 70. Ils nous réservent pour le dessert un twist cruel et glaçant, un des plus désespérés de la série sur la nature humaine. Il fait revoir l’épisode et son commentaire sous un autre jour.
3.2 The Bill

Au restaurant number nine, Après une partie de badmington, Archie, Malcolm, Kevin et Craig se retrouvent pour un repas dans un restaurant. A l’issue de ce repas, Craig quittera le nord de l’Angleterre pour retourner à Londres où il exerce un boulot très bien payé. A la fin du repas, la serveuse Anya les informe qu’elle va fermer les lieux et qu’il faut vite régler l’addition. La simple question de savoir qui va régler l’addition va vite devenir un problème, chacun tentant de s’arroger ce privilège dans un esprit de compétition morbide.

Réelle ouverture de cette saison 3 (il fut diffusé deux mois après Le Christmas Special The Devil of Christmas), ce segment très bien réalisé par Guillem Morales présentait un challenge aussi important que Sardines (1×01) ou la Couchette (2×01) car s’il se déroule dans un restaurant, l’action se situe essentiellement autour d’une table. Il y’a un peu de la scène d’ouverture du Reservoir Dogs de Quentin Tarantino qu’on aurait croisée avec une saynettes méchante de The League of Gentlemen dans ce brillant huis-clos entre quatre hommes « normaux » qui part d’une situation commune et vire à l’empoigne au point d’emprunter des chemins dramatiques. The Bill part d’une expérience réelle observée par les auteurs un soir dans un restaurant qu’ils avaient l’habitude de fréquenter autour de trois personnes qui se battaient pour payer l’addition. C’est un épisode particulièrement bien écrit au timing comique parfait sur tous les registres de comédie qu’il emprunte. Il permet à ses quatre acteurs Reece Shearsmith, Steve Pemberton, Jason Watkins (The Crown, Being Human) et Philip Glenister (Life on Mars) de briller chacun à sa façon dans leurs interactions avec les autres personnages. Le double twist usuel vient s’inviter à la fête mais on aurait presque pu s’en passer, le premier fonctionnant surtout sur son côté inattendu et le second amoindrissant un peu ce qu’on a vu précédemment.

3.3 The Riddle of the Sphinx

A l’Université de Cambridge, Nina pénètre par effraction dans une pièce et elle est prise sur le fait par le professeur Nigel Squires. Elle lui explique pour sa défense que son petit copain est un fan des mots croisés du professeur, que tous appellent le Sphinx pour l’agilité avec laquelle il manie les énigmes et les mots. Pour l’impressionner, elle veut que le professeur l’aide à décrypter son prochain travail. Flatté, le professeur s’enquiert d’un petit cours pour impressionner la jeune femme, dévoilant sa méthode et la grille devant ses yeux. Mais l’homme reste sur ses gardes et ne tarde pas à découvrir que les motivations de Nina ne sont pas celles qu’elle avance. Les mots sur la grille vont vite faire écho au drame qui est sur le point de se jouer dans cette pièce numéro 9, alors qu’un troisième protagoniste s’apprête à entrer en scène.

Baser un épisode d’Inside No. 9 sur la complétion d’une grille de mots croisés cryptique était une idée de Steve Pemberton, mais encore une fois les showrunners / scénaristes / acteurs ne pouvaient pas faire les choses à moitié. Cet écho entre la grille du mot croisé, véritablement prophétique, et les évènements de l’épisode est une trouvaille brillante qu’ils exécutent avec une aisance qui prouve en tout point leur souci du détail (si c’était encore nécessaire). La première partie est un jeu académique sur le ton de la comédie noire qui fait une belle part à la joute verbale à armes non égales. On est un peu dans Le limier de Mankiewicz (ou la pièce de laquelle il s’inspire), avec ce maître du jeu aristocratique décidé à en montrer à cette jeune femme qu’il juge, à tort, pauvre d’esprit. Et également ici, le maître du jeu est pris à son propre piège.

Mais l’inversion du rapport de force est relative car il a lui aussi une longueur d’avance. A l’irruption d’un autre professeur au cœur du duel, une suite de révélations rabat les cartes de façon surprenante. The Riddle of the Sphinx est un épisode parfait où tout est finement millimétré, y compris les twists assemblés comme des pièces d’un puzzle qui apportent progressivement – comme une sucession de couperets – une ironie cruelle à une situation de départ plutôt comique. La réalisation, toujours de Guillem Morales, magnifie les échanges et laisse planer une ambiance gothique. Alexandra Roach offre une performance très naturelle qui complète à merveille celles, plus ampoulées, de Shearsmith et Pemberton. La révélation finale implacable et tragique, qui permet de revoir l’épisode sous un autre angle, nous confirme que les auteurs ont vraiment passé la vitesse supérieure sur cette saison 2.
3.4 Empty Orchestra

Dans une cabine de karaoké, des collègues de travail se retrouvent pour fêter la promotion de Roger. Le nouveau chef n’aura pas la tâche aisée car sa première mission est de décider lequel d’entre eux il devra virer. Les intrigues de couples entre les collègues se révèlent au son de la musique, ainsi que les petites mesquineries.

Empty Orchestra (orchestre vide) est la traduction littérale du mot « karaoké », et c’est bien le karaoké qui occupe le rôle principal de cet épisode voulu pour être une comédie musicale, mais qui n’en est pas vraiment une. Comme dans toute bonne comédie musicale, les intrigues et l’état d’esprit des personnages sont dévoilés via les chansons qu’ils reprennent, mais les dialogues un peu trop présents prennent vite le pas sur ce concept. On finit par ne plus trop écouter les paroles et à se concentrer sur les interactions et les mots de personnages. Ces interactions font souvent mouche grâce au casting rassemblé et une réalisation qui sait jouer avec le spectateur et ses attentes, notamment dans la dernière partie. Mais on ne peut s’empêcher d’être déçu par le côté trop archétypal des personnages, à l’exception de celui incarné par Steve Pemberton. Si les auteurs souhaitaient éviter le côté factice d’une comédie musicale, pourquoi ne pas nous offrir des personnages possédant plus de reliefs ?

Après un début de saison très noir, ce quatrième épisode fait figure de sas de décompression. Peut-être même un peu trop car c’est un épisode proprement à part dans son ton dénué de l’humour noir et des éléments macabres qui font habituellement le sel de la série. Il s’oriente vers une sorte de satire hors-les-murs du monde de l’entreprise avec ses intrigues de couple et un suspense fil rouge autour de la personne qui sera licenciée. Au final un épisode un peu plus banal, mais qui se laisse regarder avec plaisir, notamment pour les musicophiles des années 80.
3.5 Diddle diddle dumpling

Alors qu’il revient de son jogging, David – homme de la classe moyenne sans emploi – remarque la présence d’une chaussure de taille 9 près de son jardin. Il décide de la ramener chez lui et se met en tête de retrouver coûte que coûte le propriétaire de la chaussure manquante. Au fil des saisons, cette quête devient une obsession qui inquiète sa femme Louise.

Diddle diddle dumpling raconte la lente descente psychologique d’un homme poursuivi par une obsession absurde : retrouver la moitié manquante d’une paire de chaussures. A l’instar du Requiem For A Dream de Darren Aronosky, cette « descente » psychologique se déroule sur quatre saisons illustrées par des dessins d’enfant (un indice) et par des extraits des Quatre Saisons de Vivaldi. Ce qui pourrait être pris pour une obsession absurde trouve en fait une origine psychologique dans un évènement qui ne sera dévoilé qu’à la fin du segment. La plus grande faiblesse de l’épisode est que cet évènement est révélé comme un twist alors que ce contexte aurait enrichi l’épisode s’il avait été intégré dès le départ à l’intrigue, même en arrière-plan.

Après une belle mise en place de l’histoire, on retrouve ça et là des éléments qui répondent à Tom & Gerri, troisième segment de la saison 1, mais Diddle diddle dumpling ne dévoile pas l’intériorité du trouble du point de vue du malade. L’obsession de David n’est perçue que de l’extérieur, de par les conséquences sur sa famille et l’aburdité de ses démarches (il créé un site web avec la photo de la chaussure…). Ce sont uniquement le jeu de Reece Shearsmith et l’idée de calquer son état sur les saisons qui laissent envisager – de façon un peu tiède – les débordements finaux. Avec meilleur effort d’écriture, cette très belle idée de départ aurait pu déboucher sur quelque chose de bien plus efficace.
3.6 Private View

Invités à l’exposition rétrospective du défunt sculpteur Elliot Quinn, un groupe de gens de tous horizons qui ne savent visiblement pas pourquoi ils ont été invités, découvrent le corps d’un homme. Ils réalisent qu’ils sont coincés dans la galerie. Un à un, ils seront exécutés par un mystérieux tueur. La clé de leur survie pourrait se trouver dans le seul et unique point commun qu’ils partagent.

Private View est dans sa première partie une version modernisée des Dix Petits Nègres d’Agatha Christie qui vrille ensuite vers le slasher pour nous offrir une fin digne du premier Vendredi 13. L’autre influence affichée de l’épisode est Theatre of Blood, un classique des années 70 avec Vincent Price et Diana Rigg qui conte la vengeance d’un acteur envers un groupe de critiques, mais cette influence est une fausse piste car la résolution du mystère est ailleurs. Le tout est plutôt drôle (toujours dans l’humour noir), saupoudré d’une pincé de gore et emballé sans prétention dans une réalisation efficace. Le réalisateur attitré de cette saison Guillem Morales montre qu’il est autant à l’aise dans des univers confinés que dans des lieux plus ouverts comme cette galerie. Dans un contexte plus fictionnel, le côté archétypal des personnages passe mieux que dans l’épisode Empty Orchestra (3-04). Le scénario est (trop) classique pour du Inside number 9, mais cohérent de bout en bout, à l’exception d’une conclusion abrupte et peu compréhensible qui ne nuit heureusement pas à l’ensemble.

Inside n°9 n’est pour le moment disponible qu’en VOST (avec ST anglais).

