Inside No. 9 – Saison 4

Chaque épisode de Inside no 9 se déroule dans un numéro 9, un décor unique. Cette règle, comme un mantra, guide les auteurs / producteurs / acteurs Reece Shearsmith et Steve Pemberton, deux sinistres personnages bien connus des amateurs de comédie anglaise pour avoir dépassé les limites de la comédie noire et du grotesque dans La ligue des gentlemen et Psychoville. Les voilà partis pour dix ans (la série est diffusée sur BBC 2 entre février 2014 et juin 2024) vers quelque chose de plus insidieux, de plus fin, de plus réel et de plus contraint. Mais plus la contrainte est grande, plus l’écriture est inventive.

En 9 saisons d’analyses de nos faiblesses, de nos veuleries, de nos angoisses dans des formes de huis clos sans cesse renouvelées, Shearsmith et Pemberton ont renouvelé avec bonheur l’anthologie anglaise. Cet été, la Revanche du Film leur rend hommage en revenant sur les 9 saisons de la série.

4.1 Zanzibar

Le couloir du 9ème étage de l’hôtel Zanzibar va être le théâtre d’une soirée que ses occupants n’oublieront pas de sitôt car une coïncidence rassemble deux sosies au même étage de cet hôtel sans que personne ne s’en soit rendu compte. L’un est le prince Rico, accompagné de son garde du corps Henry qui projette de l’assassiner dans la nuit pour que sa famille s’installe au pouvoir. L’autre est Gus, un touriste qui s’installe à l’hôtel avec sa petite amie, Amber, qui se sent délaissée. Dans la confusion des deux hommes, les occupants de l’étage et le personnel de l’hôtel vont de quiproquos en quiproquos qui mènent à des situations ubuesques.

Situé intégralement dans le couloir du neuvième étage d’un hôtel, Zanzibar est un début de saison drôle et rythmé qui bénéficie d’une mise en scène au timing impeccable, et qui assume sans soucis la difficulté d’une écriture intégralement en vers (en pentamètre lambique, pour les connoisseurs). Vous avez bien compris, les personnages de ce segment qui se situe à notre époque (en 2018) déclament leurs tirades comme dans une pièce de Shakespeare. Mais comme le contexte est suffisamment présent, on accepte cet effet comme un jeu. Il est d’autant plus naturel que l’épisode est construit sur des ressorts classiques de la comédie théâtrale. Toute cette théâtralité rend par ailleurs la série de coincidences qui peuplent l’épisode beaucoup plus acceptables, comme si une force extérieure venait à secouer tout ce petit monde pour son propre plaisir.

En plus de Reece Shearsmith et de Steve Pemberton, Zanzibar peut compter sur le talent de Rory Kinnear (Penny Dreadful, les derniers James Bond), épatant dans le rôle de deux hommes opposés, de Bill Patterson en vieil homme au bout du rouleau et d’une belle galerie de personnages qui semblent tous bien s’amuser. Voilà un beau petit segment qui prouve qu’Inside No 9 peut fonctionner dans un registre plus léger sans laisser de côté son humour noir si caractéristique.

4.2 Bernie Clifton’s Dressing Room

Il y’a 30 ans, le duo comique Cheese & Crackers composé de Tommy et Len se séparait. Devenu un homme d’affaires, Tommy a accepté la proposition de Len de faire rempiler le duo pour un unique spectacle, visiblement pour venir en aide à son ancien partenaire ruiné. Mais il ne semble guère réjoui de reprendre les vieux numéros potaches du duo qui ont mal vieilli et ne conviennent plus du tout à notre époque. Alors que leur préparation du spectacle avance, Tommy évoque l’argent que Len lui doit pour ce qu’il s’est passé dans la loge de Bernie Clifton lors d’une de leurs dernières représentations. Il s’en suit un long silence qui en dit long sur l’importance de l’évènement en question.

Après la comédie théâtrale de Zanzibar, Reece Shearsmith et Steve Pemberton s’offrent la part du lion dans cet épisode au ton très tendu et dramatique. Les numéros comiques datés écrits pour l’occasion aident à faire un peu à faire respirer ce face à face en vase clos entre deux anciens duettistes que la vie a séparés il y’a très longtemps. Bernie Clifton’s Dressing Room est un épisode coincé entre la nostalgie (pour l’un) et l’embarras (pour l’autre) qui nous envoie vers des fausses pistes pas toujours de la façon la plus fine. Mais on pardonne volontiers la facilité scénaristique que le duo emploie grâce à un twist aussi bien amené qu’émouvant. Leur performance d’acteur sur ce segment est une des plus mémorables de la série, ce qui lui valut de constituer une partie de la pièce Inside No. 9 / Stage Fright qu’ils jouèrent au début de cette année 2025 au Wyndham’s Theater et qui se poursuivra cet automne.

4.3 Once Removed

L’employé d’une société chargée de débarrasser les meubles lors de déménagements se présente au numéro 9 d’une rue, dans une maison de campagne. Celle qui apparaît comme la maîtresse des lieux se comporte étrangement avec lui. Peut-être est-ce parcequ’elle n’est qu’une voisine. Cette voisine fait elle-même la connaissance d’un mystérieux homme en robe de chambre qu’elle prend pour le copain de la maîtresse des lieux. De retour dans la maison, le pauvre employé se retrouve bien malgré lui témoin d’un beau jeu de massacres.

Difficile de résumer un épisode où rien n’est vraiment comme paraît au départ. Et pour cause, Once Removed nous accueille avec une flopée de questionnements pour nous faire le coup du retour-arrière à façon Mémento de Christopher Nolan. On commence par la dernière séquence du film, puis on rembobine à chaque fois un peu plus loin pour revenir au début, chacune des séquences revenant progressivement sur l’origine des évènements racontés dans précédente. A la façon d’une enquête rondement menée, ils dévoilent peu à peu le fin mot de l’histoire et tout ce qui a mené à la présence des corps dans l’appartement. La surprise finale étant un peu la cerise sur la gâteau, puisque c’est la première fois que le numéro 9 est utilisé comme élément du scénario.

On ne serait pas dans Inside No. 9 si la qualité de l’écriture ne poussait pas jusqu’au bout du concept. La cohérence du scénario saute aux yeux à la fin de l’épisode, mais Once Removed est un épisode écrit pour être vu et revu. Les dialogues révèlent des double-sens et sont perçus différemment lorsqu’on les entend et lorsqu’on revoit l’épisode à la lumière de ce qui a été révélé ensuite. C’est aussi le cas d’éléments dans le décor qui attireront plus notre attention à mesure des visionnages. L’épisode est traversé de seconds rôles savoureux, en particulier le personnage de David Calder, père de la propriétaire qui se prend pour le compositeur Andrew Lloyd Weber (créateur de la comédie musical Cats) ou cette voisine interprétée par Monica Dolan qui cache très bien son jeu. Bref, un autre bel avatar de cette saison 4 qui met le paquet sur la mise en scène.

4.4 To Have and to Hold

Au n°9 d’une rue vit un couple comme les autres. Adrian est photographe pour les cérémonies de mariage mais il peine à joindre les deux bouts. Sa femme Harriet décide de raviver leur flamme après 20 ans de mariage, d’abord par le renouvellement de leurs vœux, puis en épiçant leur vie sexuelle, mais ses tentatives sont vaines. Elles ne font qu’embarrasser Adrian. En désespoir de cause, elle leur offre un voyage en amoureux en Europe. Mais Adrian ne semble pas décidé à quitter le domicile puisqu’il s’y passe quelque chose qu’il a toujours dissimulé à sa femme.

Après quatre saisons d’Inside no. 9, on attend dans chaque épisode le double twist qui tombera comme un couperet. Un des challenges scénaristiques de Shearsmith et Pemberton est de nous détourner de cette routine de ces retournements avec tous les moyens à leur disposition, en bousculant les formes ou en captivant le spectateur par un bon suspens. To Have and to Hold ne fait ni l’un ni l’autre car il veut nous faire ressentir une routine réelle et pesante. C’est donc un segment plus modeste qui mise en grande partie sur la proximité créée avec le couple. On suit des séquences de leur vie commune qui illustrent pour chacune une partie des voeux du mariage, rappelés pour l’occasion par des cartons. Tout passe par l’authenticité des acteurs. Steve Pemberton est très convaincant dans un registre introverti au complet opposé de son personnage du récent Bernie Clifton’s Dressing Room (3×04), et Nicola Walker porte une femme sympathique et humaine qui force l’identification.

Mais il y’aura bien un double twist, et le premier retournement de l’histoire est d’autant plus efficace qu’il est tardif et qu’il replace brutalement les vœux du mariage dans une perspective beaucoup plus…horrible. Le second twist opère un rééquilibrage dans une forme de justice poétique un peu grotesque. En apparence plus modeste mais bien écrite et interprétée, cette déclinaison « Desperate Housewife » d’Inside No. 9 est au final une histoire très bien alignée sur le côté sombre de la série, qui réussit à nous berner une fois de plus.

4.5 And the Winner is…

Le jury 9 de la Royal Academy of Motion Picture Arts composé de réalisateurs, scénaristes, acteurs et critiques, se réunit dans une salle pour décider qui aura le prix de la meilleure actrice cette année. La nouveauté est qu’un membre du public vient s’intégrer au jury – Jackie – une jeune femme enthousiaste mais un peu perdue. Qui de la Star, de la  « Dame », de la « girl next door » ou de l’ingénue décrochera le prix à l’issue de ces délibérations ?    

Nous n’en avons pas grand-chose à faire, car l’épisode qui se déroule autour d’une table n’est pas du tout centré sur le suspens de qui va gagner. And the Winner is… est un concentré de comédie satirique qui égratigne gentiment le milieu de la télévision anglaise. Sous couvert de juger, de façon plutôt arbitraire, quel archétype d’actrice obtiendra le prix, il nous donne à savourer tous les archétypes du milieu présents dans autour de la table, personnifiés par une belle brochette d’acteurs qui attirent chacun l’attention vers eux (dont Noel Clarke, le Mickey de Doctor Who). Autour d’un maître de cérémonie obséquieux qui peine à manager les égos et qui paternalise vivement Jackie – ils se laissent aller à leurs travers, jusqu’à un twist plutôt prévisible repoussé à la toute fin de l’épisode. And the Winner is… est un des segments les plus légers d’Inside No.9 qui cherche pas du tout à dépasser son postulat de départ et tourne parfois en rond, étiré sur une durée de trente minutes. Mais il comporte quelques moments plutôt drôles.

4.6 Tempting Fate

C’est un jour presque normal pour Keith et Nick, deux employés municipaux chargés de nettoyer le domicile d’un vieil homme décédé accompagnés de leur nouvelle recrue, Maz. Le défunt était un acheteur compulsif et l’appartement est une accumulation de bric-à-brac dans une odeur pestilentielle. Les trois employés découvrent bientôt un coffre-fort qui dissimule une VHS et un paquet avec l’inscription « danger ». Dans le paquet, il n’y a qu’une petite statue de lapin que le vieil homme décrit dans la VHS comme un puissant artefact qui a eu le pouvoir de réaliser tous ces souhaits, dont celui de devenir très riche. Une aubaine pour le petit groupe. Mais comme le rappelle Keith, toute tentative de contrecarrer le destin peut vite se transformer en malédiction.

Un peu de frissons pour terminer la saison ? Ce conte moral horrifique à l’atmosphère et la bande son travaillée fait très bien le boulot. Tempting Fate est un huis-clos peu éclairé qui déterre méthodiquement dans le bric-à-brac les secrets d’un défunt peu conventionnel qui dit être entré en contact avec une force surnaturelle qui lui a permis de réaliser tous ces vœux. Jusqu’au twist final, un doute plane sur le postulat fantastique du segment, mais il n’y a absolument aucun doute sur l’incohérence scénaristique majeure qui s’est glissée au premier tiers de l’histoire, comme une perche lancée au téléspectateur. Comment aurait-on pu croire que Shearsmith et Pemberton aient laissé sciemment passer une pareille incohérence ?

Les personnages sont crédibles et possèdent chacun leur faiblesse : l’impatience de la jeunesse, l’alcoolisme ou un proche atteint d’une maladie dégénérative. L’idée d’incorporer dans le groupe un ancien universitaire qui a étudié l’occulte est bien vue, car il symbolise le petit ange sur l’épaule des personnages censé équilibrer leurs chances de ne pas tomber dans les pièges dans lesquels le vieil homme s’est fourvoyé. Tempting Fate ne cherche pas à prendre au dépourvu car il a en lui une ironie noire propre au show qui nous fait guetter les erreurs des personnages, nous qui avons sur notre canapé un peu plus de recul que les pauvres hères manipulés par Shearsmith et Pemberton. Mais c’est le réalisateur Jim O’Hanlon qui a fait le gros du travail en mettant en valeur avec autant d’inventivité un décor sinistre et bien peu cinématographique.

A SUIVRE…

Inside n°9 n’est pour le moment disponible qu’en VOST (avec ST anglais).

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