Inside No. 9 – Saison 6

Chaque épisode de inside no 9 se déroule dans un numéro 9, un décor unique. Cette règle, comme un mantra, guide les auteurs / producteurs / acteurs Reece Shearsmith et Steve Pemberton, deux sinistres personnages bien connus des amateurs de comédie anglaise pour avoir dépassé les limites de la comédie noire et du grotesque dans La ligue des gentlemen et Psychoville. Les voilà partis pour dix ans (la série est diffusée sur BBC 2 entre février 2014 et juin 2024) vers quelque chose de plus insidieux, de plus fin, de plus réel et de plus contraint. Mais plus la contrainte est grande, plus l’écriture est inventive.

En 9 saisons d’analyses de nos faiblesses, de nos veuleries, de nos angoisses dans des formes de huis clos sans cesse renouvelées, Shearsmith et Pemberton ont renouvelé avec bonheur l’anthologie anglaise. Cet été, la Revanche du Film leur rend hommage en revenant sur les 9 saisons de la série.

6.1 Wuthering Heist

Un braquage va avoir lieu. Dans l’entrepôt n°9, le cerveau de l’opération Pantalone organise son plan avec une équipe d’experts pour voler des diamants d’une valeur de vingt millions de livres. Mais il s’avère que les experts semblent plus proches de picassiettes, bien plus motivés par les intrigues secondaires de l’histoire que par l’intrigue principale du braquage.

Wuthering Heist (en référence à Wuthering Heights, titre anglais des Hauts de Hurlevent) est un épisode concept qui rend hommage à la comedia dell’arte, genre de comédie italienne apparue aux XVIe qui se caractérisait par ses intrigues, les masques de ses acteurs et ses personnages très typés. Les personnages portent donc les noms et revêtent l’identité d’archétypes de la Comedia dell’arte : Scaramouche (le capitaine joué par Reece Shearsmith), Pantalone (le leader incarné par Patterson Joseph) ou Colombine (la narratrice incarnée par Gemma Whelan) sont les personnages hauts en couleyr de ce récit classique de braquage. La première partie raconte la préparation, et la seconde relate le retour à l’entrepôt après l’échec de l’opération et la recherche de la taupe dans le groupe, un peu comme le faisait le Reservoir Dogs de Tarantino, à ceci près que la taupe nous est déjà connue lorsque le second rideau se lève.

Ce n’est pas la première fois que Inside n°9 a recours à un artifice narratif pour ouvrir une saison. On se souvient de Zanzibar, le premier épisode de la saison 4 qui faisait parler ses personnages en vers shakespearien. Mais l’artifice passait alors bien mieux que pour cet épisode. L’idée de s’appuyer sur un récit de braquage pour rendre hommage à la Comedia Dell’arte est astucieuse car il est autant questions de masques que de quiproquos dans cette histoire. Mais on s’accomode moins bien du constant enfonçage du quatrième mur. La narratrice et les acteurs nous parlent face caméra et n’ont pas l’air dupes que tout est faux. Employer ce procédé sonne un peu faux sur un récit qui, au final, est plutôt premier degré. Il faut donc être familier de la Comedia Dell’Arte ou s’armer d’une belle suspension d’incrédulité pour adhérer à cet exercice de style. Beaucoup risquent d’être laissés sur le bas côté.

5.2 Simon Says

Spencer Maguire, showrunner de la série de fantasy à succès The Ninth Circle, rentre chez lui après une altercation fatale avec un fan. Simon, un podcaster tout aussi fan de la série, a tout vu et tout filmé. Il sait que le défunt avait rédigé un scénario en forme de « fan fiction » pour relancer la série dont la fin avait déplu à la communauté de fans. Simon fait chanter son héros pour qu’il reprenne le scénario et offre une conclusion alternative à ses personnages favoris. L’histoire se complique quand Simon a la prétention de jouer dans cette suite.

Tous les fans de Die Hard 3 le savent. « Simon Says » est un peu l’équivalent français de « Jacques a dit ». Et ce Simon a de quoi faire tourner en bourrique notre showrunner. Après un démarragede saison 6 plutôt moyen, ce second épisode riche et cruel reprend la vitesse de croisière d’Inside n°9. La série the Ninth Circle renvoie évidemment à Game of Thrones dont les dernières saisons et le final avaient heurté la communauté de fans. Et si un fan obligeait un des showrunners de Game of Thrones à faire revivre sa série pour la finir d’une autre façon ? C’était déjà l’idée du roman Misery de Stephen King, dans lequel la fan d’une série de best-sellers séquestrait l’auteur pour redonner vie à son héroïne préférée. Ici, pas de Kathy Bates, ni de sévices corporels, mais une horreur psychologique et un suspens bien dosé qui mèneront fatalement à des conséquences tragiques.

Le face à face entre Steve Pemberton, en auteur agacé et Reece Shearsmith, en archétype du fan exigeant qui agit « pour le bien de » est savoureux et malsain, d’autant plus que le second torture la personne qu’il aime le plus au monde. On se sait de quel côté tenir, et Pemberton et Shearsmith prennent un plaisir malin à nous balader jusqu’à un twist bien vu que le showrunner acculé prendra à son compte. Une guest star de luxe, Lindsay Duncan (Rome), et une star montante Nick Mohammed (Ted Lasso) complètent la distribution de ce bel épisode qui confirme qu’après cinq saisons, Inside n°9 avait toujours de quoi satisfaire sa fanbase.

5.3 Lip Service

Felix Hugues s’est isolé dans une chambre d’hôtel pour espionner sa femme qui se trouve dans un autre hôtel, dans une chambre face à la sienne. Il la soupçonne de le tromper avec Novak, un activiste politique pour qui elle travaille comme attachée de presse. Harcelé par le propriétaire un peu trop zélé des lieux, il parvient tout de même à recevoir une professionnelle de la lecture des lèvres qui pourra lui rapporter, à l’aide d’une lunette, tout ce que se disent la femme et le diplomate. Mais les apparences sont trompeuses et la professionnelle découvre vite que son client n’est plus avec cette femme depuis quelques temps, mais qu’il caresse toujours l’espoir qu’elle lui revienne. Attendrie par son attitude, elle se rapproche peu à peu de lui.

Lip Service est un beau jeu de faux-semblants qui démarre comme un drame conjugal, se poursuit en romance intimiste pour se terminer en thriller conspirationniste avec les services secrets britanniques. Bien malin qui saura repérer les moments qui font basculer l’intrigue d’un genre à l’autre, car le duo a toujours plusieurs longueurs d’avance sur le téléspectateur. Mais le plan tout de même là sous nos yeux, et en regardant une deuxième fois l’épisode, chacune de ses phases apparaît au grand jour, partant de l’approche timide jusqu’à l’exécution finale. Sur tout ce temps, Steve Pemberton et Sian Clifford se partagent le haut de l’affiche, entre échanges complices et suspicion, avec des interventions sporadiques de Reece Shearsmith en maître d’hôtel germanique un brin insupportable qui se charge du volet comique pour faire passer un peu la tension de ce huis clos à fleur de peau.

Si l’écriture du personnage de Sian Clifford en couches de poupée russe est bluffante, on apprécie encore plus le jeu des scénaristes sur la lecture des lèvres, quand un terme est pris pour un autre (par exemple, « Max » pour « My Ex ») ou quand un appel téléphonique renvoie les mots des deux interlocuteurs sans avoir recours au split-screen qui aurait compromis la sacro-sainte unité de lieu d’Inside n°9. On apprécie également qu’ils parlent à notre intelligence jusque dans cette dernière scène. Rien n’est appuyé, et tout fait sens dans ce segment d’une belle originalité.

6.4 Hurry Up and Wait

Acteur qui a longtemps été figurant, James (Reece Shearsmith) a enfant obtenu un petit rôle dans un film aux côtés d’un acteur qu’il admire, Adrian Dunbar. Le film parle d’un faits divers local, la disparition du bébé Ryan et il est tourné dans le parking à caravane le drame a eu lieu. Pour l’occasion, une famille qui vit dans le parking a loué sa caravane à la production, et c’est dans ce « foyer des artistes » improvisé que James est conduit pour répéter son rôle car sa grande scène avec Dunbar a été retardé. il fait la connaissance des occupants des lieux, tout aussi bruyants qu’agressifs :  La fille Bev au comportement enfantin, constamment flanquée d’une poupée, la très bavarde mère Oona et l’agressif père de famille Stan, interprété par un Steve Pemberton menaçant et hargneux.

Hurry up and Wait mêle dans un grand équilibre trois aspects majeurs de Inside No. 9. La famille qui habite la caravane amène le récit vers le versant trash et haut en couleurs que Pemberton et Shearsmith affectionnent. On ne peut pas suspecter cette famille d’avoir fait, ou d’être capable de faire des choses horribles. Intimement lié à cette famille, il y’a le drame criminel que relate le film et qui semble encore prégnant dans la communauté. Les échanges entre le pauvre acteur et les occupants des lieux sont au poil, mais ils ne peuvent pas nous détourner – en tant qu’habitué de la série – de nombreux indices sur lesquels le héros fait aussi une fixette. Paranoia ou réalité ? Jusqu’à la dernière minute comme à leur habitude, Pemberton et Shearsmith jouent avec nous alors que la résolution est devant nos yeux dès le départ, et elle est particulièrement glauque.

Enfin il y’a le troisième versant, la satire du monde du spectacle, qui vise dans cet épisode la production d’un film qui n’est pas toujours aussi rose qu’on le voit décrit dans les featurettes des DVD. On voit le dédain avec lequel est traité l’extra interprété par Reece Shearsmith, non seulement par la production, mais aussi par la star qui lui donne la réplique. Car le duo a pour l’occasion pu recruter Adrian Dunbar, star de la série policière Line of Duty (Enquêtes internes), qui officie dans son propre rôle, ou plutôt dans le rôle d’un acteur diva prêt à tout pour tirer la couverture à lui, quitte à voler des répliques à ses partenaires. L’épisode combine ces trois aspects dans un récit aussi malin que tendu, traversé d’un humour noir servi très frais. On ne peut qu’applaudir des deux mains.  

5.5 How do you Plead ?

L’infirmier Urban Bedford a dû libérer sa soirée pour se rendre au chevet d’un patient très spécial, l’ancien ténor du barreau D. Webster devenu un vieil homme irrascible aux portes de la mort. Se sentant acculé, il confesse à son infirmier un horrible mensonge qui l’a permis d’innocenter un tueur des décennies plus tôt. L’infirmier est loin de se douter que l’avocat a conclu un contrat de sang des décennies plus tôt et qu’il compte bien l’utiliser pour s’en défaire dans un dernier tour de passe-passe juridique. 

Intimiste, ténébreux et solennel, How do you plead ? a de sérieux arguments pour se placer parmi les meilleurs épisodes d’Inside no.9. Le plus évident est le couple d’invités prestigieux que Pemberton et Shearsmith se sont offerts sur ce segment. Déjà passé par là pour le traumatisant The Devil of Christmas (3×01) où il était le réalisateur en voix off, Sir Derek Jacobi incarne avec talent un autre personnage particulièrement sinistre qui ne se dévoile que tardivement. A l’instar de l’infirmier, on en vient à s’apitoyer sur le sort du vieil homme, aussi insupportable soit-il envers ses proches. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Machiavélique ou veule, ce dernier joue son âme sur un dernier tour de piste. Il doit se défaire d’un contrat signé avec le diable en personne (notre seconde guest star, incarnée par un Steve Pemberton au top sur cette saison) et il a avec lui une victime toute désignée pour prendre sa place, ce pauvre Bedford, une âme trop bienveillante et non souillée par le crime.

Mais How do you Plead ? ne serait qu’une énième variation sur le mythe de Faust – certes avec deux acteurs au top – s’il n’y avait pas ce troisième élément, cette âme bienveillante incarnée par Reece Shearsmith. Ce personnage est aussi la clé de voute du twist final, et une nouvelle fois, on ne pourra pas taxer les auteurs de ne pas nous avoir mis la vérité sous le nez. Comme déclencheur de sa vocation d’infirmier, Bedford confesse un épisode de son passé sur lequel il n’a rien de vraiment terrible à se reprocher. Mais son cauchemar sur les mêmes faits et ses constants rappels à l’avocat qu’il a aussi des choses à se reprocher auraient pu nous mettre la puce à l’oreille. Seulement, Shearsmith et Pemberton jouent tellement bien avec le vrai et le faux qu’on finit par s’y perdre. Et même à être soulagés qu’un ancien bully ait été sauvé des griffes de Belzébuth. How do you Plead ? est un pur bonheur sur son scénario et son trio d’acteur, et la mise en scène un brin horrifique sait s’effacer suffisamment pour préserver la surprise du passage au fantastique assumé. Il n’aurait plus manqué que cet épisode diabolique soit le sixième de cette sixième saison. Mais cela aurait été trop facile…

6.6 Last Night of the Proms

Une famille de musicophiles s’est réunie devant la télévision pour suivre religieusement la dernière nuit des concerts des Proms : Les deux hôtes Mick and Dawn, deux fervents patriotes, le beau-frère prétentieux râleur (et un brin alcoolique) Brian, la sœur un peu paumée, leur fiston pas du tout concerné par l’affaire et le grand-père atteint de démence. L’arrivée inopinée d’un étranger et les émotions suscitées par le concert classique vont être le catalyseur d’une folie collective inhabituelle dans ce cadre plutôt propret.

Last Night of the Proms est une fin de saison plutôt moyenne pour la série, et une fois n’est pas coutume, ce n’est pas un épisode fantastico-horrifique (l’interversion des épisodes 5 et 6 était-elle volontaire ?). Il rappelle un peu Nana’s Party (2×05) dans sa volonté de décrire un évènement familial qui tourne mal et révèle un secret enfoui. Un épisode avec lequel il partage aussi une galerie de personnages caricaturaux et un sur-jeu qui ne sied pas trop à Inside no.9. Il pâtit aussi de la niche dans laquelle il s’inscrit. A l’instar de Wuthering Heist qui pouvait sembler opaque à qui ne connaît pas la Comedia dell’arte, qui n’est pas familier des Proms aura peu de choses à se mettre sous la dent, aussi musicophile soit-il. L’initié(e) pourra apprécier le soin porté par Shearsmith et Pemberton pour faire coller les péripéties de l’épisode au déroulement du concert télévisé : Tous les ans, la dernière nuit des Proms se conclut à peu près de la même façon, par le Jerusalem d’Hubert Parry, par l’hymne national britannique et sur un ce n’est qu’un au revoir.

L’épisode n’est pas pour autant mauvais. C’est une belle prise de risque et un des plus baroques de la série. Dans ce spectacle familial un peu foutraque, on perçoit aussi un peu du repli identitaire des britanniques. Pemberton et Shearsmith auront probablement voulu évoquer le Brexit d’une façon ludique sans vouloir trop plomber leur série par des discours politiques. Les showrunners ont le mérite d’aller constamment où on ne les attend pas. Cette saison 6 produite entre 2020 et 2021 ne comporte aucun épisode sur la COVID alors qu’Inside No. 9 est la série de confinement par excellence. Quatre ans plus tard, on ne relève même plus la distanciation sociale des quelques épisodes, comme celui-ci, qui réunissent un grand nombre de personnages dans la même pièce.

A SUIVRE…

Inside n°9 n’est pour le moment disponible qu’en VOST (avec ST anglais).

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