La disparition de Josef Mengele – Das Verschwinden des Josef Mengele

En 1943, le trois quart des déportés qui arrivaient au camp d’Auschwitz-Birkenau étaient considérés comme inaptes au travail après un examen rapide des médecins SS et promis à l’extermination dans les chambres à gaz. Parmi eux, des femmes, des enfants, des personnes agées et des hommes considérés comme handicapés ou atteints d’anomalies congénitales. Ils étaient tziganes ou juifs. Le médecin chef du camp, que certains détenus du camp nommaient l’« Ange de la Mort » profitait de ces « sélections » pour dénicher des sujets pour ses expériences sur la génétique et les marqueurs raciaux qu’il menait dans des conditions inhumaines. A la défaite d’Hitler, Josef Mengele fut prisonnier des américains, mais libéré faute d’avoir pu l’identifier comme criminel de guerre (il ne portait pas le tatouage des SS), il entra ensuite en zone soviétique et trouva un travail comme ouvrier agricole. Craignant d’être capturé et jugé, il s’arrangea pour que sa famille le fasse passer pour mort et trouva de l’aide auprès d’anciens SS pour envoler en Argentine en juillet 1949. C’est là que démarre un exil qui durera toute sa vie, sur près de trente ans, de l’Argentine vers le Paraguay, puis du Paraguay vers le Brésil où réside maintenant son squelette formellement identifié. Le roman La Disparition de Josef Mengele (2017, éditions Grasset) d’Olivier Guez est le fruit d’un travail de fond de trois ans à reconstituer le puzzle de cette fuite.

Quand les producteurs qui détenaient les droits du livre d’Olivier Guez proposèrent à Kirill Serebrennikov (La femme de Tchaikovski, La Fièvre de Petrov) de l’adapter au cinéma, le cinéaste eut d’abord un peu de mal à se trouver des affinités avec cette Histoire. Puis vint la guerre en Ukraine qui remit au goût du jour cette question de la justice, de la vengeance et de ce qui adviendrait des personnes qui commettent actuellement des actes abominables. Le réalisateur russe exilé avoue avoir été impressionné par le roman « les bienveillantes » de Jonathan Litell, qui entrait dans la tête d’un officier SS fictif. C’est sans doute ce qui le pousse à conter les évènements du point de vue très subjectif de Josef Mengele, avec pour unique concession l’irruption de son fils Rolf dans le récit. L’élégant noir & blanc thrilleresque de la grande majorité du film est en lui-même un saut dans la subjectivité de l’ancien médecin SS, marqueur d’une vie dans l’ombre avortée, loin du passé « idéal » de ses années au service du IIIème Reich qui nous sont montrées en couleur. Dans ce noir et blanc du repli, il voit sa vie prise en otage par un monde qui n’aurait pas dû être et se transforme en fantôme condamné à se cacher.

L’interprétation rentrée mais charismatique d’August Diehl, d’abord froide et de plus en plus fiévreuse, montre la rigueur métronomique d’un soldat qui ne laisse pénétrer sa carapace qu’en de brefs moments. Mais ces moments sont une explosion de victimisation et de paranoia. Son Mengele puise dans cette victimisation le déni de sa lâcheté à assumer ses positions idéologiques hors du contexte où celles-ci dominent. Une lâcheté tellement inconciliable avec la perfection aryenne qu’il est censé incarner qu’il ne peut que la nier pour continuer d’exister. Mengele a t’il souffert de son exil au point de rêver que la seule fin en couleur à sa vie soit la mort de la main des hommes du Mossad ? On ne le saura jamais car on ne peut que se baser sur les impressions (elles aussi subjectives) de Rolf Mengele lors de son unique visite à son père. Mais les suppositions littéraires et cinématographiques peuvent être utiles lorsqu’elles reposent sur une base d’informations vérifiées, car elles recréent un semblant d’équilibre face à un jugement qui n’a jamais eu lieu. Habitué à s’engager dans les délires de personnages extrèmes, Kirill Serebrennikov n’a eu pas besoin d’artifices oniriques pour raconter les années noires de Josef Mengele et on lui en en est plutôt reconnaissant. La Disparition de Josef Mengele est son film le plus fluide, le plus direct et le plus intéressant depuis Leto.

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