L’Homme qui rétrécit

Fort du succès de son premier roman Je suis une Légende (1954), Richard Matheson publie L’Homme qui rétrécit en 1956. Il y raconte l’histoire de Scott Carey, un homme qui rétrécit à vue d’oeil après avoir été en contact avec une brume radioactive. Chaque jour, sa femme et la vie qu’il a construit lui échappent un peu plus, mais il ne peut pas contrôler ce processus irréversible vers sa propre disparition. Une aventure incroyable l’attend alors qu’il se retrouve abandonné dans sa propre cave. Tenaillé par la survie de personnages solitaires dans un environnement qu’ils ne maîtrisent plus – il écrira un peu plus tard certains des meilleurs segments de la Quatrième Dimension – Richard Matheson tire de ce postulat absurde un récit angoissant, introspectif et réel. Un véritable chef d’oeuvre littéraire. A une époque où la peur de la radioactivité fait bien entrer les sous, le potentiel cinématographique de cette histoire rend son adaptation inéluctable. L’auteur en signera lui-même le scénario. Réalisée par Jack Arnold, cette adaptation voit le jour à peine un an après la sortie du roman. Elle est brillante et dotée d’effets spéciaux crédibles qui font encore leur effet à notre époque. Mais comme toute histoire universelle, elle attendait de passer le cours du temps pour être remise en image. C’est de façon plutôt improbable qu’elle tombe dans l’escarcelle du français Jan Kounen qui y retrouve Jean Dujardin 18 ans après 99 francs. A la vision en salles de cette nouvelle adaptation, on peut laisser échapper un soupir de soulagement car le réalisateur a visiblement saisi l’esprit du roman et, avec le concours du scénariste Christophe Deslandes, il la revisite à notre époque avec humilité et un talent certain.

A époque différente, peurs différentes. En 2025, une adaptation de L’Homme qui rétrécit ne pouvait pas reprendre l’élément radioactif comme catalyseur du changement. Elle a le courage de ne pas expliquer ce qui a provoqué le rétrécissement, ce qui conduit le récit plus vers le fantastique que vers la S-F, et qui rend encore moins probable les chances de Paul de vaincre le mal qu’il a contracté. L’absence de contrôle, le sentiment de voir s’échapper sa vie est au coeur du film. Il n’y avait pas besoin de cette voix off un peu plombante pour voir dans l’histoire de Paul un récit sur la vieillesse qui approche, ou de façon plus générale sur la survie et l’acceptation d’une nouvelle réalité qui rapproche chaque jour de sa propre disparition. Jean Dujardin a suffisamment bien fait le travail, abandonnant son costume de Jean Dujardin pour devenir un monsieur tout le monde faillible et identifiable, et Jan Kounen sait parfaitement nous rapprocher de lui jusqu’à nous enfermer dans son point de vue dans toute la deuxième partie. Les seuls images parlent très bien d’elles-mêmes. Le changement d’échelle change le rapport de Paul au monde, et lorsqu’il n’y a plus aucun humain pour être témoin de ce changement, il cesse peu à peu d’exister. Néanmoins, le film raconte une renaissance, un combat à l’issue duquel la plus grande victoire est l’acceptation.

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Comme le film de Jack Arnold était une prouesse visuelle en 1957, Jan Kounen n’a pas choisi la facilité. Sur le tournage, le mouvement de Jean Dujardin était capturé dans une caméra pilotée par ordinateur qui a filmé dans de vrais décors mis à échelle. Des éléments aggrandis ont donc été construits. Utiliser cette méthode sur un aussi grand nombre de plans était un vrai défi, et il produit une belle illusion, d’autant plus réelle que le changement de dimension visuelle s’accompagne d’une nouvelle dimension sonore qui s’épanouit réellement dans une salle de cinéma. La deuxième partie du film est captivante, en apparence simple et dépouillée, mais très tournée vers la survie du personnage face à cette araignée qui l’a pris pour cible (arachnophobes, passez votre chemin!). Cette simplicité qui rapprochait le roman d’une expérience et qui faisait la force de sa première adaptation est en elle-même une belle réussite, d’autant plus louable dans un monde qui cherche à tout remplir sans rien développer. Dans ses rares variations (qu’on voit surtout dans le rapport de Paul avec sa fille), dans son premier degré complet et dans les beaux moments de cinéma qu’il offre, cet homme qui rétrécit fait honneur à Richard Matheson, mais aussi à tous ses français pionniers qui ont oeuvré pour donner vie à l’imaginaire (dont Méliès et Jules Verne à qui Jan Kounen dédie son film). Il est tellement rare que le cinéma français accepte d’embrasser cet héritage en ayant à ce point foi en son récit. Il serait bête de ne pas se déplacer en salles pour s’y laisser emporter sans trop se poser de questions.

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