Dream Scenario

Paul Matthews est professeur en biologie de l’évolution dans une petite université. Effacé, il mène une vie calme avec sa femme et ses deux filles. Mais bientôt, il est reconnu par des gens qui ne le connaissent pas et ses étudiants avouent rêver de lui toutes les nuits. Comme un virus, de plus en plus de personnes voient Paul Matthews apparaître dans leurs rêves. La vie du pauvre professeur est sur le point de basculer dans notre dimension.

Pas de Rod Serling pour ce récit étonnant qui aurait pu faire un bon segment dans une nouvelle mouture convaincante de La Quatrième Dimension mais un chef d’orchestre norvégien de 38 ans, Kristoffer Borgli. Son deuxième long, Sick of Myself – sorti en France le 31 mai dernier – était une satire trash du narcissisme toxique. Une jeune femme y détruisait sa peau et sa santé pour être plus au centre des attentions que son petit ami. Avec Dream Scenario, Borgli monte en gamme puisqu’il est produit par la désormais célèbre A24 et le réalisateur Ari Aster (Hérédité, Beau is Afraid). Avec cette histoire d’homme normal projeté malgré lui dans l’inconscient de centaines de personnes, il trouve un terrain idéal pour déployer le même humour noir dérangeant qui traversait Sick of Myself, mais sans l’horreur corporelle. Déguisé en film de Spike Jonze (un concept malin et référentiel dans un univers d' »intellectuels »), son scénario porte une horreur plus insidieuse et une satire intelligente de la manipulation de l’image (la création d’une deuxième version de soi) transmise de façon virale dans une sphère intime où la victime n’a plus de défenses (le rêve peut très bien être par les réseaux sociaux).

Que notre professeur soit incarné par Nicolas Cage rend l’analogie d’autant plus évidente car l’acteur a été le sujet d’un des plus grands nombres de « mêmes » viraux depuis l’apparition du ouaibe. Omniprésent malgré lui dans la vie des gens à travers un autre, Paul Matthews / Nicolas Cage entretient l’amalgame pour vendre son livre. Mais lorsque ce double devient violent au point de traumatiser les mêmes gens dans leurs cauchemars, plus personne ne fait la différence entre ce double et le vrai Paul Matthews, tant qu’il lui est demandé de s’excuser pour des méfaits qu’il n’a pas commis. Il devient cancelled par tout son entourage. Kristoffer Borgli décrit cette descente aux enfers avec la même cruauté que celle de l’anti-héroïne de Sick of Myself, à ceci près (et ce n’est pas un détail) que le héros ici subit sa situation. Il condamne les « victimes » incapables de faire la différence entre ce qui se passe dans leurs rêves (l’image construite par les réseaux sociaux) et la réalité, et qui envoient à la potence un homme sur la base de créations de l’esprit. Nicolas Cage a prouvé bien des fois qu’il était un grand acteur, et il nous le rappelle à travers ce rôle difficile, un peu grotesque, mais attachant. Tout sonne juste et terrifiant dans Dream Scenario, jusque dans la dernière partie où le titre du film révèle l’isolement définitif du professeur, dont la vérité ne sera jamais réellement reconnue. Pire : son expérience a engendré l’idée malade de publicités dans les rêves, qui ne tarde pas à se concrétiser. Original, poignant et radical, Dream Scenario épate et rafle de justesse le titre de film de l’année 2023 à Beau is Afraid. Tant que ça reste dans la famille…

Réalisateur : Kristoffer Borgli

Scénario : Kristoffer Borgli

Directeur de la Photographie : Benjamin Loeb

Montage : Kristoffer Borgli

Musique : Owen Pallett

Cheffe Décoratrice : Zosia Mackenzie

Direction Artistique : John O’Regan, Anoma Modi

Production : Ari Aster, Nicolas Cage, Tyler Campellone, Jacob Jaffke, Lars Knudsen

Pays : USA

Durée : 1h40

Sortie française le 27 décembre 2023

Acteurs Principaux : Nicolas Cage, Julianne Nicholson, Michael Cera, Tim Meadows, Dylan Gelula, Dylan Baker, Kate Berlant

Genre : Fantastique, comédie noire, satire

Note : 9/10