Veni Vidi Vici

Amon Maynard est un milliardaire qui a tout réussi. Il aime ses trois filles adoptives qu’il élève avec sa femme Viktoria et il ne manque jamais une occasion de se détendre au grand air durant des parties de chasse avec son fidèle majordome. De temps en temps, abattre un homme au hasard permet de faire tomber la pression. A mesure que son tableau de chasse augmente, les hautes sphères doivent redoubler d’efforts pour que personne ne sache que le magnat est le mystérieux sniper qui sévit dans la région. Lassé de ne voir aucune opposition, Maynard trouvera un nouveau challenge dans la personne d’un journaliste opiniâtre et humaniste. Pendant ce temps, son aînée aborde la vie avec le modèle paternel en ligne de mire, bien décidée elle aussi à ne pas laisser les règles l’empêcher de faire ce qu’elle veut. Comme lui, elle sera disruptive.

Un certain candidat à la prochaine présidentielle des Etats Unis d’Amérique a dit un jour qu’il pourrait abattre quelqu’un sur la cinquième avenue, cela n’empêcherait pas les gens de voter pour lui. Sous le parrainage d’Ulrich Seidel (à la production), les cinéastes autrichiens Daniel Hoesl et Julia Niemann prennent cette déclaration au pied de la lettre. Ils nous plongent dans l’état d’esprit des vainqueurs du libéralisme, ceux qui ont flairé les bonnes idées au bon moment et ont su écraser tout le monde à coup de disruptions opportunes, de rachats sauvages ou de politiquement correct de façade. Veni Vidi Vici est un objet filmique détonnant, une farce à froid qui rappelle un peu les dernières oeuvres d’Adam McKay, tout particulièrement la série Succession, sans le recul satirique posé par le point de vue du réalisateur américain. Narré par la fille de Maynard, une élève douée qui apprend du meilleur, cette vision carnassière est exposée à nue jusqu’à la provocation.

Mais cette provocation, que le producteur Ulrich Seidl a lui aussi maintes fois utilisée, n’a rien de gratuite. Elle vise à faire réagir le spectateur face à un risque, lui, bien réel. Les ultrariches comme Elon Musk (un des modèles pour le personnages d’Amon Maynard) ne bénéficient pas d’une impunité totale, mais celle-ci progresse à mesure que personne ne vient leur fixer des limites et que de subvertir les règles devient le mantra du système dominant au point de les récompenser. Ici, la victoire de Veni Vidi Vici (en latin « je suis venu, j’ai vu et j’ai vaincu », phrase prononcée par Jules César au sénat romain après une bataille) est d’éviter d’être inquiété pour un des crimes les plus importants de notre société : Le meurtre de masse avec préméditation. Un challenge suprême relevé devant les yeux du spectateur, autant témoin (la narratrice le met au défi de les empêcher d’agir ainsi) que complice. La limite entre l’une et l’autre de ces positions étant effacée à la fin de l’histoire, lorsqu’un des seuls personnages qui voulait agir finit par passer de l’autre côté. La question ouverte est : Qui pourra les arrêter ? Pourquoi pas vous ?

Hoesl et Niemann ne se reposent pas sur leur message. Ils créent un univers visuel et narratif savoureux dans lequel il est facile d’entrer, où certains gags ont plusieurs niveaux de lecture et où les seconds rôles, tous crédibles, donnent un sentiment de réalité. Nombre d’entre eux ont une existence propre au delà du cadre du film (la vie du majordome Alfred auraient pu faire un spin off). La jeune Olivia Goschler est parfaite en gamine tête à claque, donnant le « la » à un casting trop normal, et d’autant plus efficace. Veni Vidi Vici sort en salles ce 17 septembre, et nous vous recommandons fortement (au moins) d’y aller et de le voir. Vous jugerez ensuite pour le reste.

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