« Ani » est strip-teaseuse dans un quartier russe de Brooklyn. Un soir, le patron du club où elle travaille l’incite à aguicher Vanya, le fils d’un oligarque russe qui profite de ses études en Amérique pour mener une vie de débauche avec ses amis. Vanya finit par payer Ani pour des prestations d’escort. La jeune femme prend goût à la vie de luxe sans interdits, ni soucis, qu’il lui offre. Le conte de fée se réalise lorsqu’en vadrouille à Las Vegas, il la demande en mariage. Les tourtereaux convolent. La nouvelle ne plaît pas à Toros, parrain du gamin chargé depuis des années de nettoyer ses frasques. Il dépêche son lieutenant Garnick, flanqué d’un sous-lieutenant Igor au domicile des jeunes mariés pour préparer l’annulation et annoncer que les parents vont débarquer. Paniqué, Vanya prend la fuite. Ani est retenue contre son gré dans l’appartement et bientôt forcée de suivre les nounous partout dans New-York pour retrouver le fuyard. Une très longue nuit s’annonce pour le petit groupe.
Les trente premières minutes d’Anora pourraient laisser croire que Sean Baker est passé de l’autre côté, qu’il se régale de l’opulence de l’oligarchie russe, mais ce n’est qu’un miroir aux alouettes qui retranscrit l’euphorie de son héroïne. Une écorchée vive qui rejoint dès ses premières scènes les personnages de Tangerine, The Florida Project et Red Rocket. Anora est le contraire de ce sur quoi il est vendu : une sorte de Pretty Woman un peu plus trash. La descente y’est à la hauteur de la montée. Le coeur du film est une virée nocturne sous adrénaline, une version prolongée de la quête de Sin-Dee dans Tangerine.

Une fois les enjeux et les personnages posés dans une scène théâtrale aux limites de l’absurde que n’aurait pas rejetée Quentin Tarantino, le show peut enfin démarrer. Sean Baker avec plus de moyens et plus de temps pour s’exprimer, c’est du Scorsese sans le montage, ni l’application, mais on y gagne en sentiment d’urgence, en adrénaline. Outre un attrait pour le monde de la nuit, le réalisateur partage avec Marty cet appétit dans la description de personnages entiers qu’il prend dans leurs défauts et leurs qualités. Ils peuvent parfois être irritants, mais il trouve toujours un moyen de révéler une part de leur humanité, au détour d’un échange ou d’une vérité échangée. Tout se révèle dans une action menée à vive allure, qui trouve pourtant le moyen de s’arrêter de temps à autre sur un visage pour exprimer avec pudeur des sentiments qu’on aurait cru absents.
Anora n’est pas une belle histoire, ni un conte moral (même si on sent poindre un point de vue fort sur les dernières minutes), ni un drame (certaines scènes sont très drôles), ni un film militant qui victimise à outrance son héroïne. Il donne juste à apprécier des personnages atypiques, qu’on a pas l’habitude de voir dans de vrais rôles, en train de vivre sans justification, ni excuse. C’est une force que Sean Baker n’a visiblement pas perdu. On espère que sa palme d’or ne lui fera pas mettre de l’eau dans son vin.
