Inside No. 9 – Saison 1

Chaque épisode de Inside No. 9 se déroule dans un numéro 9, un décor unique. Cette règle, comme un mantra, guide les auteurs / producteurs / acteurs Reece Shearsmith et Steve Pemberton, deux sinistres personnages bien connus des amateurs de comédie anglaise pour avoir dépassé les limites de la comédie noire et du grotesque dans La ligue des gentlemen et Psychoville. Les voilà partis pour dix ans (la série est diffusée sur BBC 2 entre février 2014 et juin 2024) vers quelque chose de plus insidieux, de plus fin, de plus réel et de plus contraint. Mais plus la contrainte est grande, plus l’écriture est inventive.

En 9 saisons d’analyses de nos faiblesses, de nos veuleries, de nos angoisses dans des formes de huis clos sans cesse renouvelées, Shearsmith et Pemberton ont renouvelé avec bonheur l’anthologie anglaise. Cet été, la Revanche du Film leur rend hommage en revenant sur les 9 saisons de la série.

1.1 Sardines

Une chambre dans une maison de campagne, au numéro 9 de la rue. A l’occasion de fiançailles, une famille huppée organise une partie de sardines, un jeu de cache-cache au cours duquel une seule personne se cache et les autres doivent la trouver puis la rejoindre dans sa cachette. La future mariée est la première à trouver Ian, un collègue du marié dissimulé dans la garde-robe. La famille se reconstitue au fur et à mesure que de nouveaux personnages entrent dans la pièce et trouvent à leur tour leur place dans l’armoire.

Sardines est le segment le plus ouvertement british de la série, et un des plus minimalistes qui confine l’esprit d’Agatha Christie dans une garde-robe.
Teintée de comédie dans sa première partie, l’histoire se referme sur les personnes à mesure qu’ils s’agglutinent et que les masques tombent. Le jeu met à jour les infidélités, puis les réactions du frère de la future mariée laissent à penser que quelque chose d’innommable s’est passé en ces lieux plusieurs années auparavant. Le spectateur est invité à découvrir un à un des personnages fantasques interprétés par des acteurs s’en donnant à cœur joie, tandis que gêne et claustrophobie font leur apparition. Le réalisateur David Kerr parvient à donner l’illusion d’être enfermé avec douze personnages par la combinaison d’une fausse armoire pour les plans rapprochés et d’une vraie pour les plans d’entrée des nouveaux arrivants).

Le spectateur sera bien en peine de deviner le retournement final tant le duo de scénaristes Shearsmith/Pemberton s’est ingéniés à brouiller les pistes. Nous ne nous aviserons pas de spoiler outre mesure un retournement empreint d’ironie et de cruauté.

1.2 A Quiet Night in

Une nuit comme les autres. Deux cambrioleurs entreprennent de voler un tableau dans une luxueuse demeure au numéro 9 alors que le maître de maison, sa femme, la domestique et le chien occupent toujours les lieux.

Episode le plus brillant de cette première saison, A Quiet Night In présente la particularité de ne contenir qu’une seule ligne de dialogue, l’action étant soutenue par la musique à la manière des films muets.

Shearsmith et Pemberton s’appuient sur une construction en trois actes : les deux cambrioleurs « bras cassés » qu’ils incarnent rapprochent le premier acte d’une comédie de duettistes dans lequel l’un devra réparer les erreurs de l’autre pour ne pas se faire prendre. Le deuxième acte voit une pénétration dans le nid intime. Les cambrioleurs se retrouvent spectateurs d’un drame conjugal atypique et dangereux. L’acte 3 voit l’arrivée d’un représentant en produits de nettoyage sourd-muet qui vient compléter une équation déjà difficile à démêler.

A Quiet Night In ne souffre d’aucun problème de compréhension, l’action étant assez visuelle et fluide pour ne pas perdre le téléspectateur. Elle laisse libre court au talent comique des auteurs autant qu’à leur inventivité de scénariste. On relèvera le jeu sur la composition de cadre, la mise en valeur sur différents niveaux de plan de l’action des cambrioleurs et des occupants des lieux qui poursuivent leur vie sans se douter de la présence des intrus, et cela sans un mot. Parfaitement justifié par l’incommunicabilité au sein du foyer et l’obligation de discrétion des cambrioleurs, l’utilisation du muet voit un prolongement comique dans l’apparition de SMS des cambrioleurs sur l’écran et dans plein d’autres trouvailles. Alors qu’elle n’aurait pu que servir d’ambiance, la musique classique mélancolique contribue au contraste avec les situations absurdes et violentes et décryptent l’état d’esprit du propriétaire des lieux. Oona Chaplin (Talisa dans Game Of Thrones), la petite fille de Charlie en maîtresse de maison nous adresse un dernier clin d’oeil au cinéma muet tandis que son mari est brillamment incarné par Denis Lawson, qui fut le général Wedge Antilles dans la première trilogie Star Wars.

1.3 Tom & Gerri

Tom est un professeur d’histoire frustré qui se verrait bien comme le nouveau Bukowski. Il partage son appartement avec sa petite amie Geri, actrice dans des rôles ingrats, qui tente de le distraire d’une dépression grandissante. Un soir où elle est absente, l’irruption d’un sans domicile fixe dans l’appartement de Tom vient complètement bouleverser sa vie.

Après l’irruption silencieuse dans le domicile de A quiet night in, Tom & Geri invente le home invasion psychologique en décrivant le vol insidieux d’une vie. Le SDF gagne la confiance de Tom, puis il le dépossède peu à peu de tout ce qu’il a pour prendre un ascendant psychologique sur lui. L’issue de son plan pourrait être d’inverser les rôles, de prendre la place de Tom dans son appartement, en faisant de lui une loque humaine. Bien décrit visuellement et porté par le personnage inquiétant incarné par Steve Pemberton, ce processus d’inversion fait monter la tension psychologique. Après deux épisodes à twist, on s’attend bien évidemment à un retournement final. Les scénaristes nous prendront à notre propre jeu dans une ironie grinçante. Dans cet épisode très sombre et moins drôle, on notera la présence rafraichissante de Gemma Arterton qui campe un rôle bien plus important qu’on ne pourrait le soupçonner.  

1.4 Last Gasp

Last Gasp se déroule dans une maison de banlieue au…numéro 9 (c’est bien, vous suivez !). Les parents de la petite Tamsin sont passés par l’association Wishmaker pour faire une surprise à leur fille malade : la visite du célèbre crooner Frankie J. Parsons, qu’elle et sa mère admirent. Lorsque la star s’écroule raide morte après avoir gonflé un ballon, les parents, le garde du corps et l’animatrice de l’association se retrouvent dans une situation délicate. Le père de Tamsin comprend que le ballon gonflé contient le dernier souffle de la star et qu’il peut rapporter beaucoup d’argent sur Internet. Devant les yeux de la gamine, les adultes se persuadent qu’ils sont dans leur droit d’exploiter la mort de Parsons et ils s’engagent dans des plans machiavéliques pour garantir leur avenir.

Last Gasp tire vers la satire sociale, mettant en avant un concours de circonstances qui guide des gens normaux, au premier abord animés des meilleures intentions, vers le cynisme ordinaire. Le pavillon familial devient l’antre de la noirceur et contamine peu à peu chaque personnage, y compris le plus empathique. Les auteurs ne se privent pas de les confronter aux intérêts divergents qui font cause commune pour préserver le dernier souffle du chanteur. Le défi sera dès lors de sortir le ballon de la maison, ou de lui réserver un destin plus poétique. La gamine malade le fera au-delà de toute espérance dans un instant de merveilleux salvateur qui emporte derrière lui une demi-heure de cynisme. Conte moral sur le versant charognard de l’être humain, Last Gasp est une confrontation jouissive et absurde qui doit beaucoup à son casting comprenant Steve Pemberton (sans son compère) et l’excellente Tamsin Greig (Black Book, Episodes).

1.5 The Understudy

Dans un théâtre du West End londonien, une troupe de théâtre vit au rythme des représentations de MacBeth. La loge numéro 9 appartient à Tony, l’acteur star de la troupe, caractériel et alcoolique. De temps en temps, sa doublure Jim et Laura, également doublure et fiancée de Jim, investissent la loge en rêvant de la vie et de l’argent qu’ils n’ont pas. Persuadée que le talent de Jim, Laura commence à intriguer sur un mauvais coup qu’ils pourraient jouer à Tony pour que Jim prenne sa place. De la pensée à l’acte, il n’y a qu’un pas. Un soir de représentation, notre MacBeth ivre mort est victime d’un accident fatal.    

Divisé en cinq actes, The Understudy nous fait partager le point de vue des doublures, ces comédiens condamnés à vivre dans l’ombre des stars du show, ceux qu’on ne convoque qu’en cas d’imprévu. Un vie que connaît bien MacBeth, qui vit dans l’ombre d’un roi. Reece Shearsmith et Steve Pemberton (respectivement Jim et Tony) multiplient les références à la pièce de Shakespeare comme autant d’effets miroirs à ce qui se passe dans les coulisses.

Jim embrasse le costume de MacBeth. Laura celui de Lady MacBeth. Tony celui du roi. A moins que les apparences ne soient plus trompeuses qu’on ne le pense. Le duo de scénaristes fait glisser habilement les mots vers les actes pour enfermer le couple dans la tragédie, au même titre de ceux qu’ils imitent malgré eux. Les visions de sang bien intégrées à l’ensemble aident à envelopper les intrigues de la loge dans l’aura fantastique de MacBeth. Les cinq actes sont bien menés et réalisés au cordeau, mais l’épisode souffre d’un twist moins convaincant que les précédents et il sera moins accessible à qui ne connaît pas la pièce de Shakespeare.

1.6 The Harrowing

La première saison de Inside Number 9 se conclut par une belle incursion dans l’horreur. La jeune et naïve Kathy est engagée pour la soirée par les inquiétants Hector et Tabitha pour surveiller leur manoir gothique en leur absence. Une véritable maison des horreurs jonché de peintures morbides. Les lieux sont d’autant moins rassurants qu’à l’étage repose le frère aîné Andras, victime de malformations, alité depuis des années. A peine les propriétaires ont quitté les lieux que Kathy invite son amie Shell.

Après MacBeth, Shearsmith et Pemberton s’attaquent à la Chute de la Maison Usher d’Edgar Allan Poe, une des références affichées de cette histoire d’horreur gothique qui prend son temps pour installer son atmosphère. Hector et Tabitha renvoient de façon lointaine à Madelyn et Roderick Usher, vestiges mourant d’une époque révolue auxquels les scénaristes opposent Kathy, un pur produit de la modernité que l’absence de recul sur son époque semble condamner d’avance. Hector et Tabitha ont beaucoup plus de ressources que Kathy ne pourrait imaginer. Autre figure de l’horreur, le membre de la famille retenu prisonnier, vient s’inviter à la fête aux deux tiers de l’histoire. A ce moment, le soin apporté à l’exposition fait son effet et nous pouvons frissonner aux côtés de l’infortunée qui aurait dû faire regarder à deux fois le numéro de l’adresse du manoir avant d’accepter le job. The Harrowing est habile, traversé de pointes d’humour noir, visiblement influencé par les films de la Hammer et il a un atout réel en la personne d’Helen McRory (Peaky Blinders), splendide en relique victorienne. Une belle façon de conclure une première saison magistrale.

A SUIVRE…

Inside n°9 n’est pour le moment disponible qu’en VOST (avec ST anglais).

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑