Inside No. 9 – Saison 5

Chaque épisode de inside no 9 se déroule dans un numéro 9, un décor unique. Cette règle, comme un mantra, guide les auteurs / producteurs / acteurs Reece Shearsmith et Steve Pemberton, deux sinistres personnages bien connus des amateurs de comédie anglaise pour avoir dépassé les limites de la comédie noire et du grotesque dans La ligue des gentlemen et Psychoville. Les voilà partis pour dix ans (la série est diffusée sur BBC 2 entre février 2014 et juin 2024) vers quelque chose de plus insidieux, de plus fin, de plus réel et de plus contraint. Mais plus la contrainte est grande, plus l’écriture est inventive.

En 9 saisons d’analyses de nos faiblesses, de nos veuleries, de nos angoisses dans des formes de huis clos sans cesse renouvelées, Shearsmith et Pemberton ont renouvelé avec bonheur l’anthologie anglaise. Cet été, la Revanche du Film leur rend hommage en revenant sur les 9 saisons de la série.

5.1 Dead Line

28 octobre 2018. A l’occasion d’Halloween, les créateurs d’Inside no. 9 relèvent le défi de jouer un épisode qui sera transmis en direct des studios Granada à Manchester : Arthur Flitwick rentre chez lui avec un téléphone mobile qu’il a trouvé dans la rue. Pour retrouver le propriétaire, il appelle le dernier numéro composé qui appartient à une femme, Moira. Celle-ci lui conseille de contacter le révérend Neil que la propriétaire de l’appareil connaît bien. Il pourra lui restituer l’appareil. Le soir venu, Arthur reçoit le révérend. Tout à coup, des problèmes de son rendent une partie des dialogues inaudibles. La transmission est interrompue par des images de vieilles émissions de la BBC, il y’a des gremlins dans les studios, des caméras des coulisses du tournage ou de la loge de Reece Shearsmith et Steve Pemberton retransmettent seules. Un danger mortel guette l’équipe de notre show préféré.

Bien heureusement (car sinon ce serait la fin de la série), Dead Line n’est que de la fiction, mais il a vraiment été diffusé en direct sur BBC 2 le 28 octobre 2018. Shearsmith et Pemberton avaient préparé leur intervention, notamment par quelques déclarations et conditionnements dans la presse et ils interagirent réellement avec le public via twitter durant le show. Vivre ce canular en direct pouvait être une belle surprise dans une petite lucarne qui n’offre plus vraiment d’évènement, et on peut même se surprendre à croire que certains spectateurs ont pu être dupés et croire le temps d’une soirée que la transmission était possédée par des fantômes du studio.

Une diffusion perturbée (et pour combler) de A Quiet Night In. Cherchez le troll…

Dead Line est habile dans sa volonté de surfer sur le passé douteux des studios de Granada, connus pour avoir la réputation d’être hantés et d’avoir donné lieu à quelques incidents télévisuels par le passé (qui nous sont montrés pour l’occasion), mais c’est à peu près tout. 9 ans après Paranormal Activity et près de 20 ans après le Projet Blair Witch, il fallait se lever tôt pour s’en sortir à bon compte avec tous les procédés roublards employés dans la construction de l’épisode. Il semble que l’intérêt de ce canular en direct – et c’est tout à son honneur – était tout entier dans le fait de voir l’épisode en direct. Quelques années plus tard, on ne peut qu’amusés par cette retransmission qui a sa propre vie et qui enferme peu à peu les créateurs du show dans leur propre piège. Une des parties les plus finement drôles étant l’utilisation de l’épisode muet A Quiet Night In pour combler des problèmes techniques liés…au son : Un bel exemple d’humour méta parfaitement à propos, encore réhaussé par la contamination du segment par les fameux Gremlins, puis la réutilisation de son final dans une boucle hilarante. N’ayant pas vu l’épisode lors de sa diffusion en direct, on se gardera donc de le noter.

5.2 The Referee is a W***er

Vestiaires des officiels, avant un match de foot décisif. C’est un grand jour pour l’arbitre professionnel Martin Rutherford car le match qu’il s’apprête à arbitrer est le dernier avant sa retraite. Fidèle à sa réputation d’arbitre intransigeant et méthodique, il se prépare au maximum avant la rencontre. Ce n’est pas forcément le cas de ses assistants et il met un point d’honneur à les remettre à leur place, avec autorité et tact, pour chacun de leurs manquements. Mais Rutherford cache lui aussi un secret : Sa relation amoureuse avec le capitaine d’une des équipes du match. Ce léger conflit d’intérêt ne serait rien si, à la mi-temps, une action d’un des assistants arbitres ne laissait sous-entendre qu’il a été corrompu. Dès lors, la rencontre cesse d’être sur le terrain et Rutherford devra jouer sa réputation sur ce dernier round.

Episode sur le football qui ne met pas un pied sur le terrain, The Referee is a W***er se déroule en trois actes dans le vestiaire des arbitres : un avant le match, le second à la mi-temps et le troisième après le match. Un découpage très bien pensé qui accentue la dramaturgie. Ce premier (vrai) épisode de la saison 5 est encore une fois un modèle d’écriture de scénario qui ramasse en trente minutes et trois unités de temps une histoire contenant pas mal de rebondissements qui aurait pu tenir plusieurs épisodes sur une autre série. Sans montrer une seule seconde du match, Pemberton et Shearsmith arrivent à rendre clairs les enjeux de la rencontre et à rendre palpable cette excitation particulière de ceux qui aiment le ballon rond autant que leur vie, qui est encore plus importante en Angleterre qu’en France. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas le foot, on est vite happés au cœur des enjeux et on ne décroche pas.

L’atout maître de l’épisode est David Morrissey. L’acteur incarne la discipline et l’autorité, et il excelle naturellement dans ce rôle d’arbitre, non sans lui apporter une pointe de décalage. Son effort de jeu, il le place dans les nuances, laissant apparaître petit à petit toutes les facettes du personnage, d’abord sa réserve et sa discipline, puis sa vulnérabilité et enfin son sang-froid. Chacune de ces facettes n’est pas fausse, mais elles dissimulent celle qui prévaut, point d’achoppement d’un twist dévoilé avec finesse et élégance. L’arbitre est avant tout un stratège et un passionné, prêt à sacrifier son honneur pour que son équipe monte de division. Dans leur besoin d’interaction avec le téléspectateur, les facétieux scénaristes auront glissé un double sens dans le titre même de l’épisode The Referee (l’arbitre) is a W***er , décodé différemment qu’on se place du côté des supporters de la rencontre (ils hurlent que l’arbitre est un branleur (wanker)) ou du côté de l’arbitre (de son point de vue, c’est un winner).

5.3 Death be not proud

Beatie et Sam, un jeune couple, emménage dans un appartement vendu à bas prix dans lequel des choses horribles auraient été commises (lorsqu’il n’était pas encore le 9). Beatie ressent de plus en plus une présence étrange et elle remarque des manifestations qui pourraient être surnaturelles. Un matin, l’étrange David Sowerbutts, ancien propriétaire des lieux sonne à sa porte et s’invite à sa table. Il lui raconte son histoire avec sa mère dans l’appartement, puis comment il a rencontré sa femme et les évènements qui ont conduit à la vente de l’appartement. Intriguée, Beatie écoute le récit étrange d’un dégénéré fan de tueurs en série qui a entretenu une relation étrange avec sa mère, au point de laisser son cadavre pourrir dans la salle de bains.

Véritable concentré d’humour noir grotesque et morbide, Death be not proud se complait dans les déviances les plus sombres avec une délectation certaine. Reece Shearsmith et Steve Pemberton s’y laissent aller à ce qui a fait leur succès dans Psychoville, ou auparavant de La ligue des gentlemen. Mais ils ne restent pas pour autant dans leur zone de confort. Death be not proud est un trompe-l’œil qui joue subtilement du décalage entre le taré qui raconte son histoire et celle qui l’écoute, une jeune femme totalement normale incarnée par Jenna Coleman. L’actrice qui jouait Clara Oswald dans plusieurs saisons de Doctor Who nous avait habitués à l’ambiguité et encore une fois, quelque chose semble ne pas aller dans son personnage. Comment une jeune femme aussi raisonnable peut-elle conserver son sérieux devant l’horrible récit de son visiteur ou bien se montrer aussi peu interloquée par les éléments paranormaux qu’il a glissés ?

Mais ce n’est pas tant son twist que le récit du personnage incarné par Steve Pemberton qui rend l’épisode aussi savoureux. Death be not proud apporte le point de vue d’un homme dérangé raconté comme si ces aventures étaient normales. Et si tout indique qu’il pourrait être un tueur psychopathe en devenir, il n’en demeure pas moins touchant. L’amour qu’il porte à sa mère, à sa femme et à son fils est réel, mais il s’exprime d’une façon qui n’appartient qu’à lui. Le duo a encore visiblement des trésors d’inventivité à offrir dans le registre du grotesque noir et on en reprendrait volontiers.

5.4 Love’s Great Adventure

La famille de Jules et Trevor s’apprête à vivre un mois de décembre difficile. Derrière les rires et l’éducation aimante qu’ils offrent à leur fille Mia et au petit Connor, la famille souffre déjà du manque d’un des siens. Si le 9 du Calendrier de l’Avent n’a pas été ouvert, c’est qu’il correspond un évènement qui va perturber la cellule familiale, mais qui n’entamera en rien l’amour de deux parents prêts à tout pour conserver cette famille intacte.

Reece Shearsmith et Steve Pemberton nous ont habitués à guetter les indices qui mennt au double twist final de chaque épisode de Inside no. 9. La particularité de ce Love’s Great Adventure est qu’il n’y a pas de twist, et c’est bien une première. Il n’y a donc rien à chercher, mais cela ne veut pas dire que les scénaristes n’ont pas laissé quelques notes de mystère dans l’intrigue pour maintenir notre attention en éveil. Des mystères qui seront tous résolus durant l’épisode dans les scènes ultérieures. Au début de l’histoire, nous ne savons pas si Connor est le fils de Jules et Trevor. Il s’agit en fait de leur petit-fils. Qui est ce Patrick dont parle le frère de Jules ? C’est le fils du couple, et le père de Connor. Pourquoi a-t-il quitté le domicile ? Parcequ’il est paumé et accroc à la drogue. Pourquoi Trevor a pioché l’argent de Noël ? Il ne l’a pas fait, il a couvert son fils Connor. Et cet accident de voiture dont parle Jules à son frère ? La mère en a probablement fini avec l’usurier qui menaçait Patrick et commis un délit de fuite, comme vient le confirmer la visite des flics un peu plus tard.

Toutes ces réponses ne sont pas fournies dans des dialogues sur-explicatifs, mais au fil des scènes, visuellement ou au travers d’un échange (en apparence) anodin. Rien n’est laissé au hasard, tout s’emboîte dans un schéma global. Décrivant des gens modestes confrontés à des problèmes trop grands pour eux, un peu comme on peut en voir dans les films de Ken Loach (on pense à un Sorry We Missed you qui aurait bien fini), Love’s Great Adventure aurait pu avoir des allures de soap opera ou être marqué par un trop plein de pathos. Mais il tire encore une fois sa force du tact des scénaristes, de la justesse des dialogues et du ton juste de ses acteurs qui n’ont aucun mal à nous faire ressentir à la proximité des membres de cette famille. Il n’y a donc aucune déception dans cette histoire simple racontée d’une si belle façon.

5.5 Misdirection

Magicien peu expérimenté, Griffin tue un de ses collègues pour lui voler son tour révolutionnaire de la chaise qui s’élève. Neuf ans plus tard, le jeune Gabriel se présente dans le même entrepôt 9 pour interviewer Griffin, devenu un magicien renommé grâce au tour subtilisé. Gabriel se montre d’abord curieux, mais il se laisse vite impressionner par Griffin avant de tenter sur lui un tour de magie de sa composition. Au terme de ce tour, il pense avoir trouvé la combinaison du coffre du magicien, mais Griffin le prend de cours. Gabriel avoue être le petit fils du magicien que Griffin a tué et qu’il voulait le confondre en mettant la main sur le carnet de tours volé à son grand-père. Son plan semble avoir échoué, à moins qu’il n’ait réussi un plan encore plus sournois sans que Griffin ne s’en rende compte.

Le détournement de l’attention (qu’on traduit par « Misdirection ») du téléspectateur est une des clés d’Inside no.9. Tels des prestidigitateurs, Reece Shearsmith et Steve Pemberton élaborent une histoire faite de faux semblants pour dévoiler leurs tours de passe-passe dans les dernières minutes. Souvent nous sommes bluffés, et c’est encore le cas sur cet épisode. Pour réussir son tour (l’arrestation de Griffin), Gabriel avait besoin de la combinaison du coffre de Griffin, de la garantie que Griffin était le seul à connaître la combinaison, de ses empreintes et de l’effacement volontaire des enregistrements des caméras de sécurité. Pour les obtenir, il exploite le narcissisme de Griffin, lui faisant croire qu’il a l’avantage sur tous les niveaux. Il emballe son tour d’une chausse-trappe donnée volontairement dans laquelle le magicien arrogant tombe à pieds joints.

L’exercice de diversion est d’autant plus étonnant que le tour nous était annoncé dans le titre, et que l’épisode nous dévoile d’une certaine façon la méthode (ou une des méthodes) employée par les deux scénaristes pour nous confondre sur toute la série. A défaut de revoir tous les épisodes d’Inside no. 9 pour décortiquer les talents de magicien du duo, on reverra cet épisode avec plaisir car à l’instar du superbe The Riddle of the Sphinx de la saison 3, il recèle de nombreux indices sur son dénouement, particulièrement lors des résultats du tarot. Pour ne rien gâcher, il est particulièrement bien réalisé par Guillem Morales et accompagné d’une superbe bande son lancinante.

5.6 Thinking out Loud

Un veuf enregistre une vidéo pour trouver l’âme sœur. Plusieurs personnes soliloquent ensuite devant une caméra : une femme en thérapie, un tueur en série, une influenceuse devant sa fanbase, un homme malade laissant des vidéos à sa fille avant sa mort, une chanteuse de cantiques. Elles semblent n’avoir aucun lien entre elles, si ce n’est des post-it avec leur nom disposés sur un tableau par une mystérieuse personne.

Dans cet épisode composé de plans fixes sur toutes ces personnes, Shearsmith et Pemberton utilisent le montage pour détourner notre attention du twist. Comme elles n’apparaissent jamais dans le même cadre et qu’elles semblent isoler spatialement et temporellement, on ne voit pas vraiment le lien que ces hommes et femmes peuvent avoir un lien entre eux. On suppose alors qu’il faut chercher dans leurs récits respectifs. Il y’a différents points communs qui peuvent les connecter, mais c’est justement parceque ces personnages ne sont qu’une et même femme, celle qui se trouve présentement en psychothérapie (qui n’en est même pas une, vue qu’elle est face à une autre personnalité régulatrice). La personnalité multiple a déjà été employée comme un twist au cinéma dans le très sympathique Identity de James Mangold. Shearsmith et Pemberton n’innovent ici que par la forme de l’épisode et ce petit tour de montage qui nous offre le second twist. De par cette forme contraignante, Thinking out Loud semble peu naturel et peine à ne pas provoquer une pointe d’ennui jusqu’aux révélations finales. Mais on aura plaisir, entre autres, à y retrouver Phil Davies, un habitué des séries tévés britanniques (Whitechapel, Silk, Doctor Who, Sherlock…) et Maxine Peake dans un beau rôle de tarée.

5.7 The Stakeout

Un policier qui a perdu violemment son partenaire se retrouve en planque dans un cimetière avec un nouveau partenaire. Ils apprennent à se connaître à travers des jeux pour passer le temps et se découvrent très différents l’un de l’autre. Mais nous savons déjà qu’à la fin de l’histoire, le nouveau partenaire sera mort à son tour.

The Stakeout est un bon épisode de fin de saison, très finement écrit. Les dialogues entre les deux personnages incarnés par Shearmith et Pemberton sonnent juste et réalistes, si bien qu’on a l’impression d’être dans un vrai polar, ou au pire dans l’avatar d’un slasher. Les zones de non-dits portent naturellement la tension de l’épisode sur ses trois segments : Trois nuits pour faire évoluer les rapports entre les deux coéquipiers et planter une atmosphère qui rendra le final d’autant plus effrayant.

The Stakeout est un épisode bardé d’indices pourvu qu’on soit déterminé à chasser le twist final (bon courage, dans ce cas). Le premier indice est que beaucoup d’épisodes de fin de saison ont été des récits fantastiques déguisés en polars. Le deuxième est encore une fois le titre de l’épisode : « StakeOut » peut se traduire par une planque (ce que font les deux flics), mais aussi par l’action de sortir un pieu. On se souvient aussi a posteriori que le flic rookie incarné par Reece Shearsmith demande toujours à être invité avant d’entrer dans la voiture, et qu’il a d’autres attitudes qui semblent être liées à sa condition. Le duo de scénaristes nous aura entre temps bien dupés en faisant porter le doute sur l’autre élément du tandem. Et même au bout de cinq saisons, on en redemande…

A SUIVRE…

Inside n°9 n’est pour le moment disponible qu’en VOST (avec ST anglais).

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