The Pitt

Le 27 juin 1996, Urgences devenait la première série dramatique américaine à passer en première partie de soirée sur une grande chaîne française. Avec deux ans de retard, le public de France 2 entrait dans le vortex quotidien du jeune Dr. Carter et des urgentistes du Cook County Hospital de Chicago pour n’en ressortir que durant l’été 2009. La série a eu ses hauts et ses bas, mais elle a su maintenir avec brio une nouvelle forme de narration tournée vers l’action, privilégiant les plans séquences et un certain degré de réalisme porté par les consultants médicaux présents sur le tournage. Une qualité qu’on ne retrouve plus actuellement dans les séries médicales, plus tournées vers des résolutions de cas ou des intrigues liées aux relations entre les personnages. Recevoir son shot d’adrénaline hebdomadaire des urgences et retrouver tous ces personnages était alors un passage obligé avant de démarrer la semaine. La série imaginée par Michael Crichton créa ainsi de nombreuses vocations à travers le monde et aida à soutenir les médecins urgentistes dans leur quotidien. Les producteurs d’Urgences n’ont jamais eu l’intention de refaire une série médicale car ils pouvaient difficilement faire mieux.

R. Scott Gemmill, Noah Wyle et John Wells (Photo : Evans Vestal Ward/WBTV)

L’impulsion pour The Pitt vint de Noah Wyle, l’acteur qui incarna le Dr. John Carter durant toutes ces années. Pendant la pandémie de COVID 19, il reçut de nombreux messages d’urgentistes sur ses réseaux sociaux qui le remerciaient d’avoir été une inspiration pour eux et parlaient de leurs difficultés à gérer la pandémie au jour le jour. Avec la montée de la désinformation médicale et les nouveaux challenges que rencontraient ces urgentistes, Il y’avait matière à donner une suite contemporaine à Urgences. Noah Wyle échangea dans la durée avec les producteurs d’Urgences John Wells et R. Scott Gemill mais aussi l’expert médical Joe Sachs sur les possibilités d’innover dans le drama médical. L’idée était de développer un spin-off centré sur le Dr.Carter des années plus tard. Elle fut abandonnée abandonnée en raison de l’impossibilité d’obtenir un accord entre Warner Bros et les héritiers de Michael Crichton.

Mais la plateforme Max cherchait à développer des contenus originaux détachés de la marque HBO, et elle cherchait justement un nouveau drama medical qui puisse « engager » les télespectateurs sur plusieurs semaines. R. Scott Gemill accepta la proposition de développer une série chez Max sans reprendre le personnage de Carter. Il suggéra de prendre à leur avantage les contraintes de diffusion de la plateforme de 12 épisodes par saisons en développant un drama médical dans le style d’Urgences qui se déroulerait sur une garde en temps réel de 12 heures, chaque épisode décrivant une heure de cette garde. En réduisant le buget, ils purent porter le nombre d’épisodes à 15, réduisant ainsi quelque peu l’attente entre deux saisons de la série. La société de production de John Wells rejoint l’aventure et Noah Wyle rempile dans le rôle du Docteur « Robby », un vétéran des urgences de cet hôpital fictionnel de Pittsburg (le fameux « Pitt ») qui partage de nombreux traits avec le Dr. John Carter.

Le Docteur Robinavitch au début d’une journée mémorable

La première saison de The Pitt fut diffusée sur Max de janvier à avril 2025 à raison d’un épisode par semaine, une stratégie peu habituelle sur les plateformes et qui se rapproche de la diffusion de network dans laquelle avait évolué Urgences. Nous arrivons en territoire conquis car la garde démarre par l’accueil de quatre nouveaux internes et la mise en scène, très spatiale et sans temps mort,rappelle furieusement celle de la série-mère. The Pitt s’en démarque néanmoins par l’arrivée du temps réel dans l’équation. Elle joue avec le côté feuilletonnant des séries de plateforme, introduit des suspens sur les cas d’un épisode à l’autre pour faire revenir les télespectateurs et ménage les zones d’ombres sur les différents protagonistes.

Au Cook County de Chicago, un épisode présentait en général une journée, et nous pouvions suivre les personnages régulièrement en dehors de leur travail (ou hors de l’hôpital dans des épisodes spéciaux). Comme The Pitt ne pourra le faire qu’à la toute fin de la saison, les scénaristes s’appuient sur leurs réactions et les caractérisent presque uniquement dans l’action. A ce niveau, The Pitt surpasse son aînée car sa réalisation doit capter le moindre indice qui peut nous guider dans les origines et le statut des personnages dans le service sans passer par le dialogue ou trop surligner certains points, ce qui pourrait nuire au réalisme. The Pitt parvient à nous rendre familier un grand nombre de personnages en peu d’épisodes. Leur découverte qui courrait en continue dans Urgences devient même un fil rouge de la saison au même titre que le devenir des patients admis. Nous sommes particulièrement bien accompagnés par quatre internes caractérisés au cordeau. King, Jawadi, Santos et Whitaker composent un vrai carré d’as, tous différents dans leur caractère, leurs forces comme leurs faiblesses et bien ancrés dans l’époque actuelle. Les quatre jeunes acteurs qui les incarnent sont attachants. Ils passent d’une émotion à l’autre avec une aisance remarquable et seront les parfaits passeurs pour la génération qui n’a pas connu le Cook County. Autour d’eux, on apprend à apprécier les autres médecins (parmi eux, Fiona « Chucky » Dourif et Shawn Hatosy) et des infirmiers particulièrement mis en avant.

Whitaker et King emportés dans le vortex des urgences

Cette remarquable gestion des personnages n’est pas due au hasard. Leur story-arc général était d’abord dressé et les cas des épisodes étaient répartis entre eux de façon à pouvoir mettre en valeur leur caractère, leurs qualités et leur passé en un temps très limité. L’arrivée des cas et leur parcours est elle-même guidée par le temps réel et par une structure globale qui entremèle le spatial et le narratif. Les parcours de chaque patient au sein du service était tracé et storybooardé dans le temps pour ré-apparaitre à l’occasion dans l’arrière plan d’autres scènes. Chaque scène partait d’un traitement avec peu de dialogues, ensuite revu par des consultants médicaux. Un premier draft était ensuite écrit, et revu par l’équipe sur plusieurs semaines avec de nombreuses réécritures.

Plus de quinze ans après la fin d’Urgences, les problématiques ont bien évolué dans le monde de la médecine. Cette première saison de The Pitt est centrée sur la résurgence trauma du Dr. Robby qui a perdu son mentor du COVID en ce jour cinq ans auparavant. Cet arc permet de contexualiser la série et de garder à l’esprit que ces urgentistes sont revenus malgré l’épreuve qu’a été la pandémie et ils doivent vivre au jour le jour avec les horreurs qu’ils ont vécu. Durant ces quinze épisodes menés à tambour battant, ils seront confrontés à toute sorte de drames qui croisent les grands enjeux actuels et dans lesquels leur vie est parfois baignée : attente des patients dus à des moyens toujours plus faibles, méfiance vis à vis du médical au profit de google et des sites désinformatifs, tueries de masse plus importantes, Augmentation de la violence envers le personnel médical, violences faites aux femmes (etc…). Tous ces sujets sont abordés de façon discursive, sans opinion tranchée, dans un dialogue de points de vue pour ainsi dire anachronique.

Mohan et McKay, deux médecins très différentes mais aussi impliquées

A ce niveau, The Pitt est une vraie bouffée d’air frais, même au regard des séries HBO qui tendent souvent vers le prosélytisme. Cet hôpital est universitaire et les personnages apprennent en continu, que ce soit dans le médical ou sur la vie, rappelle un personnage dans un dialogue qui semble venu d’un autre temps. Durant ses quinze épisodes, The Pitt développe certes des intrigues autour de ses personnages, mais elle met surtout en avant l’entraide, la collaboration et l’ingéniosité déployée pour sauver des vies. C’est une série plus empathique que son aînée, plus à fleur de peau dans sa réalisation et sa bande son, qui n’hésite pas à montrer les failles et les doutes des séniors du service des urgences à un moment très difficile pour leur profession.

En somme, le pari est plus que tenu. Le seul reproche qui pourrait être fait à cette première saison serait l’accumulation des cas complexes et des drames en une même journée, ainsi que les nombreuses interventions limites avec les moyens du bord. Mais cette journée est pointée comme extraordinaire car ne reflétant pas le quotidien de l’hôpital. Il est encore plus extraordinaire que ce jour ait été le premier jour de nos quatre nouveaux venus. Il faut garder à l’esprit que The Pitt est un drama, et non un documentaire. Et c’est un excellent drama qui joue sur le fil du rasoir dans une tension étudiée. Les derniers épisodes de la saison, soutenus et captivants, suivent l’arrivée imprévu d’un grand nombre de patients suite à une tuerie dans un festival et justifient la mise en place d’un' »hôpital de guerre« . Avec un minimum d’entorse au réalisme, les scénaristes parviennent à faire durer ce climax sur plusieurs heures tout en soldant une grande partie des enjeux installés dans les épisodes précédents.

Robby et Dana Evans, l’âme des urgences de Pittsburgh

The Pitt a réussi à ramener l’esprit d’Urgences tout en ajoutant cette touche de temps réel qui en fait une série encore meilleure. En un temps record, on se sent tellement proches de ces personnages qu’on a envie d’y retourner le jour suivant. La deuxième saison est déjà en tournage et elle devrait raconter une autre journée neuf mois plus tard, celle du retour du Dr.Langdon dans le service. On se surprend à rêver qu’une série aussi ambitieuse puisse de nouveau être diffusée sur une de nos grandes chaînes en prime time, accessible au plus grand nombre. Mais on se contentera de renouveler l’abonnement Max pour ne pas louper l’an prochain la diffusion hebomadaire de The Pitt.

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