
Au programme de l’Etrange Festival 2025, un film d’animation en stop motion avec des marionnettes qui ne laisse pas indifférent de par l’originalité de son sujet et le petit monde fermé qu’il parvient à créer. Déjà projeté au festival du film d’animation d’Annecy dans la section Contrechamps, Memory Hotel est le fruit du travail au long cours de l’allemand Heinrich Sabl durant vingt cinq ans sur à peu près tous les postes : Scénariste, réalisateur, chef opérateur, monteur et producteur. Il en ressort un objet inclassable coincé entre le récit historique et le conte noir à la Grimm qui voit une femme redevenir chaque jour l’enjeu d’une guerre qui n’en finit pas.
Les malheurs de notre Sophie est-allemande démarrent le 8 mai 1945. Alors que la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin, la gamine de 5 ans fuit l’avancée de l’Armée rouge avec ses parents, en quête d’une nouvelle vie en Amérique. En chemin, ils s’arrêtent dans un hôtel délabré, où ils sont accueillis par un officier nazi, Scharf, et un membre des Jeunesses hitlériennes, Beckmann. Un affrontement éclate, qui se conclut par l’irruption d’un parachutiste russe très zélé, Wassili. Sophie tombe dans la cage d’ascenseur et perd la mémoire, les parents meurent dans l’affrontement. L’armée russe investit l’hôtel pour y rester et Wassili a ordre de le gérer. Sophie grandit au milieu des russes, employée comme servante pour servir les repas dans une machinerie bien huilée. Accusée de mal faire son travail, elle ne sait pas que Beckmann se cache dans les murs et s’emploie régulièrement à être la pierre dans l’engrenage de la vie de l’armée occupante. Chaque jour, l’horizon d’une fuite en Amérique devient de plus en plus lointain.

Le style d’animation de Memory Hotel est particulier, grotesque mais soviétiquement austère, grouillant paradoxalement de multiples détails. Les marionnettes ne sont pas très expressives, mais le jeu très convaincant des acteurs et les mouvements parviennent à donner vie à cette galerie de personnages typés qui s’humanisent dans l’action. Au sein d’une mécanique parfaitement (trop) huilé et d’une gestion de l’espace qui rappelle parfois le Delicatessen de Jean-Pierre Jeunet, l’histoire de Memory Hotel se perd et pourrait aussi perdre les spectateurs. Le film est répétitif car il met en valeur le côté carcéral de la vie de Sophie, un jour sans fin où les mêmes conflits se reproduisent sans cesse avec les mêmes acteurs.
Les protagonistes y sont comme des fantômes coincés en ce point fixe du 8 mai 1945, catalyseur de toutes leurs relations sur plusieurs décennies. L’importance de ce moment est cristalisée dans le soin apporté à la scène d’ouverture, un modèle de fluidité et d’inventivité. L’action y’est menée à cent à l’heure et l’enchaînement des situations y’est surréaliste, donnant l’illusion d’un film qui suivra ce schéma sur toute sa durée. Le côté répétitif qui s’en suit peut destabiliser car Heinrich Sabl s’abstrait d’une ligne scénaristique claire pour nous faire ressentir cet enfermement physique et mental de Sofie. Il n’en oublie pas pour autant de nous divertir via de belles péripéties, dans un humour noir discret mais grinçant qui tape tantôt sur la discipline de l’Armée Rouge, tantôt sur leur décalage face à la réalité et surtout sur cette proportion de ce petit monde à vouloir faire de Sophie sa prise de guerre personnel sans jamais vraiment y’arriver. En somme, une sombre métaphore de l’enfermement des allemands à l’époque de la RDA.


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