Inside No. 9 – Saison 9

Chaque épisode de inside no 9 se déroule dans un numéro 9, un décor unique. Cette règle, comme un mantra, guide les auteurs / producteurs / acteurs Steve Pemberton et Reece Shearsmith, deux sinistres personnages bien connus des amateurs de comédie anglaise pour avoir dépassé les limites de la comédie noire et du grotesque dans La ligue des gentlemen et Psychoville. Les voilà partis pour dix ans (la série est diffusée sur BBC 2 entre février 2014 et juin 2024) vers quelque chose de plus insidieux, de plus fin, de plus réel et de plus contraint. Mais plus la contrainte est grande, plus l’écriture est inventive.

En 9 saisons d’analyses de nos faiblesses, de nos veuleries, de nos angoisses dans des formes de huis clos sans cesse renouvelées, Shearsmith et Pemberton ont renouvelé avec bonheur l’anthologie anglaise. Depuis le début de l’été, la Revanche du Film leur rend hommage en revenant sur les 9 saisons de la série. Pour le clore en beauté, pénétrons sans plus tarder dans la 9ème et dernière saison d’Inside N°9.

9.1 Boo to a Goose

Une nuit, neuf passagers d’une même rame de métro subissent une panne dans un tunnel. Alors que les lumières étaient éteintes, le sac à main de l’infirmière Elena a disparu. La tension monte alors que Raymond, professeur agacé par le manque de civisme de certains passagers, décide de fouiller les sacs de chacun pour trouver le voleur, et il n’hésitera pas à utiliser la force si nécessaire. Des divergences commencent à s’affirmer entre ceux qui pensent que les moyens sont justifiés et ceux qui se révoltent contre cet abus d’autorité.    

« See it. Say it. Sorted ». Ces mots vous sont probablement familiers si vous avez emprunté le métro londonien ces dernières années. C’est le petit slogan qui enjoint les usagers à dénoncer toute chose anormale aux agents pour qu’il soit réglé au plus vite. Steve Pemberton et Reece Shearsmith le prennent au mot dans ce huis clos particulièrement tendu qui ne se passe finalement pas de nos jours à Londres, mais dans une société quelque peu totalitaire qui s’amuse à tester ses bons citoyens au hasard sur leur capacité à défendre le statu quo, et s’ils échouent, ils sont remplacés par des clones moins tapageurs. Les trois infortunés non-conformistes qui vivent sans le savoir les dernières minutes de leur vie auraient dû deviner que le service de remplacement n’était pas pour la ligne, mais pour les passagers. Et nous aussi, car au bout de huit saisons, nous connaissons très bien l’humour noir du duo. Mais nos scénaristes facétieux réussissent toujours à nous étonner.

Si on met à part ce twist final qui transforme le huis-clos en récit digne d’une nouvelle de Philip K.Dick (ou d’Ira Levin pour The Stepford wives), Boo to a Goose vaut déjà le détour pour ses premières minutes qui dressent le portrait de neuf personnages en un temps record, et avec une belle virtuosité. La tension monte ensuite de façon graduelle autour de Mark Bonnar, excellent en citoyen exaspéré prêt à exploser. La réalisation de George Kane parvient à monter en épingle cette situation tellement familière, de se retrouver seul avec des inconnus dans un métro en panne. Tellement familière et tellement riche en drames potentiels qu’on en vient à se demander pourquoi le duo n’y avait pas pensé plus tôt. Les scénaristes tirent ce qu’il faut de leurs personnages, allant (un peu trop) souvent dans le sens du stéréotype, mais pas toujours. On sourit plutôt deux fois qu’à la composition hilarante de Steve Pemberton en drag-queen blasée qui nous prouve que l’habit ne fait pas le moine. Fidèles à leur rôle d’observateurs des penchants noirs de l’espèce humaine, nos deux virtuoses ne tiennent d’aucun côté, mais on peut deviner aisément qu’ils sont plutôt remontés contre le statu quo.

9.2 The Trolley Problem

Un psychiatre sauve un homme suicidaire qui allait sauter d’un pont et le ramène chez lui. Alors qu’il l’interroge en utilisant ses méthodes de psy, il se rend compte que l’homme porte une arme. Ce patient de fortune un peu trop désespéré pourrait bien ne pas être celui qu’il prétend être.

Le problème du Tramway (trolley problem) est un dilemme moral connu qui force une personne à choisir entre sauver d’un accident un grand nombre de personnes en sacrifiant une d’entre elles, ou bien à ne rien faire et risquer la mort de tous. A partir de là et du prémisse d’un psy qui tente de sauver un suicidaire, mettez Steve Pemberton et Reece Shearsmith seuls dans une pièce, et une tension quasi HItchcokienne est garantie. Sauf erreur de notre part, The Trolley Problem est le seul épisode d’Inside n°9 à n’avoir à l’écran aucun autre acteur que les duettistes scénaristes. Certes, on entend la voix de deux autres personnages, mais jamais nous ne les verrons. Nous sommes durant trente minutes entre ces deux personnages qui se retrouvent au carrefour d’un même drame.

The Trolley Problem a de quoi rappeler quelques épisodes de la série, mais c’est au final un duel original qui traite de l’abus de faiblesse, opposant dans son viseur un père qui a brisé l’esprit de sa fille et le psychiatre qui a profité d’elle. Et d’enfoncer le clou après le premier épisode de cette saison sur le thème de la responsabilité de la personne qui n’agit pas. Le tout est emballé dans le ton d’un thriller aux relans de tragédie. Pemberton et Shearsmith n’ont plus à montrer qu’ils excellent dans le registre dramatique. Ils s’autoriseront donc de ne pas recourir aux artifices de l’humour noir le temps de cet épisode, même si le final expose une ironie bien dans le ton de la série.

9.3 Mulberry Close

Val et Damon sont nouveaux dans le quartier de Mulberry Close. Installés au n°9, ils ne tardent pas à rencontrer leurs nouveaux voisins : Larry, amoureux de son chien popcorn qui habite à côté de chez eux et les époux Sheila et Ken qui habitent face à eux, de l’autre côté de la route. Le soir d’Halloween, Damon rentre ivre et se dispute avec sa femme. Les voisins n’entendent plus parler de Val par la suite et ils remarquent les allées et venues de Damon avec des bagages. Il n’en faut pas plus pour qu’ils s’imaginent (et nous aussi) que quelque chose d’horrible s’est passé au numéro 9.

Steve Pemberton et Reece Shearsmith tenteraient-il un spin off Outside Number 9 ? La série nous a habitués à voir durant huit saisons ce qui se passait à l’intérieur du n°9.  Cet épisode nous donne la configuration contraire. Nous savons que quelque chose s’est passé dans l’appartement, mais nous n’avons que le point de vue d’une caméra de surveillance qui donne sur l’extérieur. La quasi-totalité de Mulberry Close montre un montage des images fixes de cette caméra fixée près de la sonnette de la demeure du couple, avec en plein champ la route et l’avant de l’appartement de Sheila et Ken, archétypes des voisins encombrants. Il ne nous reste plus que notre imagination qui nous confirment les suspicions des voisins : toutes les apparences sont contre Damon. Pemberton et Shearsmith réussissent à rendre vivant un found footage de vidéosurveillance en plan fixe avec la seule arme dont ils disposent : le montage. Le reste n’est qu’emballement de notre imagination et de celle des trois voisins. Mais ces derniers sont fans des true crimes de Netflix. Ils ont donc de quoi prendre leurs désirs pour des réalités.

Le retour inopiné de Val à la fin de l’épisode aurait pu faire office d’unique twist de l’épisode. Mais ç’aurait été une fin insatisfaisante pour nos auteurs, qui aurait laissé tout un tas de pistes qu’ils ont semés sur le bas-côté : l’attachement gaga de Larry pour son chien, la brique pour décourager les renards de fouiller dans les poubelles, la conduite de Sheila, le désir des voisins d’apparaître dans un true crime de Netflix. Tous ces éléments étaient de sombres présages (un peu comme les fantômes de l’épisode 8-1) qui annonçaient que le destin de Val était bien scellé…mais sans que Damon n’y soit pour rien. Alors qu’ils nous lançaient sur une mauvaise piste, Pemberton et Shearsmith nous avaient révélé ce que serait l’arme du crime, le mobile, l’élément déclencheur et même la vraie nature de ce « montage choisi ». Les épisodes expérimentaux sur la forme de Inside n°9 ne sont généralement pas les meilleurs, mais celui-ci fait office de belle exception. Il nous bluffe de ses premières minutes jusqu’à son gag final. On a aussi un vrai plaisir à voir apparaître au côté de notre super duo l’excellente Dorothy Atkinson et le trop rare Adrian Scarborough (le valet de Patrick Stewart dans la série Blunt Talk).

9.4 CTRL, ALT, ESC

Jason est un passionné d’énigmes. Dans l’un des derniers week-ends avant le départ de sa fille Millie à l’université, Il emmène sa femme et ses deux filles à un espace game de plus. La famille devra s’allier pour sortir de l’antre du Dr. Death, une sorte de savant-fou qui les supprimera de la pire des façons s’ils ne sortent pas de là. Alors que Jason est attaché au lit et ne peut sortir de la pièce, Millie parle à sa mère de quelque chose qui arrivera bientôt à son père et dont elles ne sont pas fières. L’homme devra rester seul dans la pièce alors que le reste de la famille trouve une sortie dans un tunnel. Mais l’ombre du Dr. Death pourrait être plus réelle qu’elle ne le semble de prime abord.

Alors qu’il ne reste plus que trois épisodes avant qu’Inside n°9 tombe le rideau, CTRL, ALT, ESC nous rappelle que la série aurait encore de quoi se prolonger sur une décennie de plus sans baisser son niveau de qualité. Mais nous n’aurions pas la satisfaction de terminer avec la saison 9. Le jeu est un des motifs récurrents de la série (on se souvient du génial Riddle of The Sphinx (3×03) ), mais on en vient très vite à soupçonner que cet espace game n’est pas le centre de l’épisode. Il se trame quelque chose dans une intrigue secondaire liée à la famille. Serait-ce le terrible choix de la mère qui impacterait négativement son mari ? Ou bien cet espace game serait-il au final plus qu’un jeu. Pemberton et Shearsmith tirent avec doigté sur le deuxième fil à plusieurs reprises, mais nous aurions été déçus par un jeu de massacre pour seule conclusion à cette sortie familiale. Nous l’aurions été d’autant plus après l’échange émouvant auquel nous assistons entre Millie et son père.

Il est pourtant bien question d’une mort réelle et d’une décision à prendre. La mort est celle de Jason, et la décision est de le débrancher. L’homme est dans le coma (en apparence) en mort cérébrale et cet escape game est le délire que lui transmet son esprit alors qu’un médecin (le vrai Dr. Death) va bientôt mettre fin à ses jours. Nous voilà d’un coup dans une version ludique de 12 Days of Christine (2×02) où la pièce d’un escape game remplace la maison de l’héroïne. On voit rétrospectivement sous un nouvel oeil les dialogues des femmes de la famille, recontextualisés dans cette réalité : La révolte de Millie, la peur d’Amy, la résolution de leur mère. On comprend aussi les difficultés de communication de Jason avec les siens, puisqu’ils sont dans deux mondes différents. On imagine l’autre versant de l’histoire, lorsque ce gentil infirmier (le maître de jeu de l’escape game) est venu expliquer à la famille ce qui se passerait jusqu’au dernier souffle de leur père, les adieux de chacun, les entrées et les sorties du docteur de la chambre. Et je ne parle pas des multiples indices à relever lors des revisionnages. CTRL, ALT, ESC est véritablement deux épisodes en un, dont le second ne sera jamais montré. Et il réussit encore l’exploit de nous étonner par un miroir qui brandit le chiffre XI comme une porte de sortie (EXIT) inespérée. Après tant de tragédies causées par des 9, nous aurons enfin notre happy end. On n’aurait pas pu espérer meilleure fin à un épisode aussi brillant.

9.5 The Curse of the Ninth

Le grand compositeur Nathaniel Burnham s’est tiré une balle dans la tête, hanté par une malédiction qui semble atteindre tous les compositeurs ayant composé leur neuvième symphonie. Des années ont passé et sa veuve Lilian appelle Jonah, un accordeur de piano, pour réaccorder le vieux piano de son mari. Mais tout cela n’est qu’un stratagème pour pousser l’admirateur des travaux de son mari à piller la tombe de Nathaniel où se trouve cette neuvième Symphonie (selon ses dernières volontés) et à le forcer à la terminer pour qu’elle puisse la vendre au prix fort. Ainsi elle l’expose à la malédiction fatale sans trop se mouiller.

La malédiction des neuvièmes Symphonies fut une superstition bien réelle qui fit suite à la mort d’un grand nombre de musiciens célèbre après l’achèvement de leur neuvième pièce . Comme cette malédiction fut brisé lorsque Villalobos et Chostakovitch purent terminer leur dixième symphonie respective aux alentours de 1950, ce Curse of the Ninth ne saurait être daté après ces années-là. L’action se passe visiblement au début du XXe, dans la période Edwardienne, dans le décor splendidement reconstitué d’un manoir anglais. Cette nouvelle, mais rare incursion historique et le fait d’avoir sorti cette malédiction du 9 à ce point de la série se trouve parfaitement justifiée car nos deux scénaristes ne vont-ils pas bientôt achever la neuvième saison de leur oeuvre ? Non, ce petit clin d’œil ne peut pas être un hasard, surtout de la part de Pemberton et Shearsmith.

Au-delà de l’ironie méta, Curse of the Ninth est une fable horrifique élégante qui se justifie rien que par la touche de justice poétique de son final. Toute l’histoire semble avoir été composée pour ce moment où Jonah brandit la dernière feuille de la composition de Nathaniel à Lilian en lui disant qu’elle a maintenant complété l’œuvre de son mari. Cette phrase sonne comme un couperet qui ne tarde pas à se vérifier. Cet avant-dernier épisode bénéficie d’une distribution prestigieuse. Sans surprise, Nathalie Dormer (Game of Thrones, The Tudors) est parfaite dans ce rôle de riche beauté manipulatrice. Le typecast de l’ex Miss Tyrell aurait même pu nous mettre la puce à l’oreille sur le premier twist si nous n’étions pas distraits par le meurtre de sang-froid exécuté si brutalement par celui que nous pensions être le héros. L’inimitable Eddie Marsan vient quand à lui interpréter un compositeur fiévreux et un fantôme qui aurait pu terrifier bien des musiciens. Hayley Squires campe quand à elle une domestique qui a un certain toupet. On saluera enfin l’atmosphère créée par Guillem Morales. Une belle symphonie collective, en somme.

9.6 Plodding on (Episode Final)

Inside n°9 touche à sa fin. En guise de fête de fin de tournage, Steve Pemberton et Reece Shearsmith ont convié à un évènement spécial de nombreux acteurs ayant joué dans la série. Dans les coulisses, tout le monde parle des deux compères et de la suite. Reece a prévu de lancer une comédie policière. Mais il découvre que Steve aurait feint une attaque sur le tournage de CTRL, ALT, ESC pour passer l’audition pour une grosse série sur Amazon. Retenu pour le rôle, Steve est partant pour se séparer de son compère et voler vers les Etats-Unis. C’est dans ce contexte tendu que de tous les invités visionnent une vidéo des grands moments de la série…

Une anthologie est composée d’histoires indépendantes donc par nature, elle ne peut pas avoir de fin. On imagine la tempête dans la tête de Pemberton et Shearsmith pour réussir à livrer un épisode exceptionnel pour la fin de la série. Le dernier épisode diffusé parlait déjà de la malédiction sur la fin d’une oeuvre. Alors que faire ? La seule solution viable était qu’Inside N°9 sorte d’elle-même. Le twist est donc que le vrai dernier épisode était The Curse of the Ninth. Peu importe que Plodding on se passe dans un numéro 9, c’est un épisode bonus offert aux inconditionnels de la série.

Mais cela ne veut pas dire qu’il est dénué d’intrigue, d’émotion, de twist et de tension, qu’il ne se suit pas en tant qu’épisode à part entière, même si on a pas vu ce qui précédait. Bien au contraire, Plodding on touche au coeur de ce qui a fait la réussite d’Inside N°9, l’alchimie incroyable à l’écriture comme à l’écran entre Reece Shearsmith et Steve Pemberton. Et si tout se terminait là après toutes ces années ? Les scénaristes / acteurs s’exposent, ponctuant la fiction d’éléments réels de leur relation pour donner plus de réalité à cette brouille fictive prompte à mettre en danger leur élan créatif commun. On sent une pointe de vérité dans la satire de ce petit monde des acteurs anglais, mais à aucun moment on ne vient à douter de la sincérité de tout le petit monde à la fête. Tous les acteurs présents ont pris plaisir à tourner Inside n°9. Leur réunion rappelle bien des moments de la série, mais l’épisode est aussi une belle occasion pour Pemberton et Shearsmith de placer des « easter eggs ». Vous en verrez pour tous les épisodes de la série. Ils sont listés ici (désolé, l’article est en anglais).

Plodding on est le titre du nouveau projet de Reece Shearsmith, mais cela signifie aussi « avancer péniblement », « persévérer lentement ». C’est cet état transitoire avant qu’une nouvelle idée jaillisse. L’idée fictive qu’apportera cette brouille est savoureuse puisque nos deux larrons vont poursuivre ensemble sur une série qui reprend l’idée de l’épisode Hold on TIght ! qui n’a jamais été tourné la saison dernière (rappelez-vous, l’épisode dans un bus qui a été remplacé par le quizz TV). Un projet fictif sur un épisode qui n’a jamais été tourné, voilà une belle pirouette pour clore ces dix belles années au cœur du chiffre 9. Mais le tandem (qui s’entend toujours bien, qu’on se rassure) n’en a pas fini avec Inside N°9. Cette année, ils se produisent sur scène dans le spectacle Inside No.9 Stage / Fright. Et connaissant la tévé anglaise, il devrait y’avoir de la place pour quelques retours exceptionnels.

THE END (pour le moment)

Inside n°9 n’est pour le moment disponible qu’en VOST (avec ST anglais).

Cette saison 9 est également disponible en VOSTA sur Arte TV

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