Je n’aurai pas grand-chose à dire du sinistre Civil War d’Alex Garland, à part saluer la performance toute en nuances de Kirsten Dunst. Mais alors que mon esprit vagabondait entre deux scènes chocs sensées provoquer un effet de sidération chez le spectateur, un autre film mêlant le journalisme et une guerre civile américaine fictive s’est rappelé à ma mémoire. Pour être juste c’était un téléfilm de luxe produit par HBO, de ceux qui fleurissaient sur les chaînes câblées américaines dans la deuxième partie des 90’s et dont le budget, le casting et les ambitions n’avaient parfois rien à envier aux productions cinématographiques. Bref, pas les téléfilms des networks, ni ceux de notre bon vieux Paysage Audiovisuel Français. Et quand HBO s’alloue les services d’un nom comme Joe Dante pour conter à sa manière « rentre-dedans » une montée vers la violence aussi absurde que satirique, cela met des étoiles dans les yeux. Je resortai donc mon vieux DVD de The Second Civil War et ma soirée était sauvée…

La chaîne d’informations NewsNet est sur le qui-vive. Suite à l’explosion d’une bombe atomique indienne au Pakistan, des dizaines d’orphelins pakistanais soutenus par une association volent vers l’Idaho. Ancien démocrate qui a viré de bord, le gouverneur de l’Idaho (Beau Bridges) décide de fermer les frontières de son état pour stopper l’immigration, un acte foncièrement inconstitutionnel. Tout aussi irresponsable, le président des Etats-Unis (Phil Hartman) fait appel à un lobbyiste qui a soutenu sa compagne (James Coburn) pour gérer la crise. Il lance un ultimatum au gouverneur. La pression monte et les troupes se mobilisent des deux côtés. Alors que le conflit accentue les divisions entre les groupes de pression ethnique et gagne les autres Etats sous les yeux des journalistes complices, le gouverneur ne pense qu’à se rabibocher avec sa maîtresse (Elizabeth Pena), journaliste de NewsNet d’origine mexicaine, et le Président tente maladroitement de rentrer dans l’Histoire.

Ce joyeux bordel contient à n’en pas douter l’ADN du réalisateur de Gremlins, mais Joe Dante n’en est pourtant pas à l’origine. The Second Civil War est scénarisé par le romancier/cinéaste canadien Martin Burke et produit pour HBO par Baltimore Pictures, la société de Barry Levinson. D’abord pressenti pour le réaliser, Levinson décida d’aller tourner Des Hommes d’influence. L’imminence de la diffusion tévé raccourcit les délais lorsque la chaîne appelle Joe Dante à la rescousse. Séduit par bien des idées du scénario, il doit procéder avec son équipe à de nombreuses réécritures dans l’urgence pour les affiner et il distribue quatre-vingt-dix rôles en deux semaines grâce à l’efficacité du directeur de casting Mike Fenson. Le rythme sans temps mort du téléfilm a sans doute hérité de cette urgence, mais il a aussi de quoi rappeler des œuvres précédentes du réalisateur.
Patchwork de reportages télévisés, pastiche de soap opera, satire débridée et drame humain, The Second Civil War est un peu tout à la fois. On y retrouve la ferveur politique de Joe Dante et son amour du montage audiovisuel hérité de The Movie Orgy comme de son passé de monteur de bande annonces pour la AIP de Roger Corman. En alternant reportages et vue sur les coulisses, Dante accentue le gap entre la réalité et sa représentation, entre l’indignité de ce qui se passe hors champ et les enjeux réels de l’affrontement, entre la nécessité de communication et les prises de décision arbitraire. Si aucun des acteurs de cette heure historique n’est à la hauteur, est-ce parce que l’appareil démocratique des Etats-Unis d’Amérique n’est devenu qu’une immense blague auto-référentielle (les citations constantes des présidents d’avant en attestent), dépouillée des principes qui l’ont construite ? En direct, les journalistes voient cette débâcle contaminer leurs images, et seulement à la fin, ils perdent pied. The Second Civil War est plutôt optimiste car il comporte des personnages « pivot » aux points de vue plus nuancés (en tête le journaliste interprété par James Earl Jones), mais ils n’ont pas (ou plus) l’oreille du pouvoir. 27 ans plus tard, la farce se joue tous les jours ouvertement devant nos yeux, de façon décomplexée et normalisée. Il n’y a même plus de débat à ce sujet.

La grande force de The Second Civil War est qu’il tape sur tout le monde, qu’il soit républicain ou démocrate, de toute ethnie ou religion. C’est un gigantesque festival de l’égo où chacun a « son bouton ». On pourrait en sortir dégoûtés, mais l’humour absurde présent à tous les étages (le comble étant la mise à feu de la statue de la liberté comme symbole de la protestation contre les migrants…) est finement écrit, les dialogues sont percutants et les personnages mémorables. Joe Dante avoue que dans le rush du tournage, « beaucoup de ce qui se trouve dans le film a été apporté par les comédiens » (Joe Dante et les Gremlins de Hollywood, Bill Krohn, 1999, Cahiers du cinéma). On a peu de peine à le croire. Beau Bridges parviendrait presque à rendre humain la pourriture qu’il incarne et Phil Hartman fait sourire à chacune de ses interventions à côté de plaque. On a aussi le plaisir de retrouver les habitués du réalisateur : Dick Miller, Robert Picardo, Kevin McCarthy et Roger Corman lui-même.
Même dans les années 90, un film pareil n’était pas une sinécure. La collaboration qu’a eu Joe Dante avec HBO lors de la postproduction n’est pas dans ses meilleurs souvenirs. « Le principal conflit autour de ce film est venu de ce qu’à la première preview, le public a ri franchement et à beaucoup de choses. Et puis à la fin, nous sommes en guerre et ce n’était plus drôle du tout ». De nombreuses sous-intrigues étayant les personnages et une grande partie des scènes de la présentatrice du J.T jouée par Joanna Cassidy passent à la trappe, mais même en l’état, The Second Civil War demeure aujourd’hui tout aussi percutant et malheureusement très pertinent.

Laisser un commentaire