Pique Nique à Hanging Rock – PicNic at Hanging Rock

« Un rêve dans un rêve : Tout ce que nous voyons ou paraissons n’est rien d’autre qu’un rêve, un rêve à l’intérieur d’un autre rêve ». Cette phrase sortie de la saison 3 de Twin Peaks (et bien avant, de l’esprit d’Edgar Allan Poe) ouvrait déjà en 1975 le premier grand succès de Peter Weir dans son pays d’origine, Pique-Nique à Hanging Rock. Et elle résumait d’une belle façon l’atmosphère hors du temps qui précédait la disparition fictionnelle de trois jeunes filles d’un pensionnat le jour de la St Valentin de l’année 1900, alors qu’elles étaient parties avec leurs camarades et professeure faire un pique-nique sur un lieu millénaire. Au milieu des festivités, le temps s’arrête. Miranda s’éloigne avec ses amies sous l’œil de sa professeure qui déclare qu’elle ressemble à un « ange de Boticceli ». La jeune fille, une de ses amies et une autre professeure disparaîtront derrière les mystérieux rochers de Hanging Rock pour ne jamais être retrouvées. Cette journée mystérieuse marquera de façon indélébile les deux garçons qui croisèrent les jeunes filles ce jour-là, la directrice du pensionnat, les jeunes survivantes et surtout la pauvre orpheline Sarah qui adorait Miranda.

Nous sommes en 1972 lorsque la productrice Patricia Lovell dévore en une nuit le roman de Joan Lindsay. Elle en voit tout de suite le potentiel cinématographique et en acquiert les droits un an plus tard. Elle le fait lire à Peter Weir, qui n’a alors pas 30 ans et qui en ressort enthousiaste. Lovell parvient à trouver les fonds, notamment grâce à la South Australian Film Corporation et aux coproducteurs des Voitures qui ont mangé Paris. A la fin 1974, le scénario écrit à trois mains avec Weir et Cliff Green est prêt. Le film sera tourné en 6 semaines dès février 1975 à Victoria, sur les lieux de Hanging Rock et au Sud de l’Australie, dans une superbe demeure de Martindale Hall reconvertie en pensionnat pour jeunes filles du début du XXème. Peter Weir est assisté pour la première fois du directeur photo Russell Boyd (Master and Commander) et du chef opérateur John Seale (la dernière vague, Gallipoli, le patient anglais). Au milieu d’un casting dominant de jeunes australiennes novices, on peut remarquer le jeune anglais Dominic Guard qui fut le gamin du Messager de Joseph Losey. Il donne la réplique à un non moins jeune John Jarratt qui deviendra plus de vingt ans après le très dangereux Mike Taylor de Wolf Creek. La tumultueuse Rachel Roberts arrive tardivement pour succéder à Vivien Merchant, à l’origine pressentie, mais elle marque le film d’un ton spécial dans son rôle de responsable de pensionnat à la dérive.

Pique-Nique à Hanging Rock est un drame d’un nouveau genre à sa sortie, et son succès marque les débuts du rayonnement international de la Nouvelle vague australienne. Il demeure encore aujourd’hui singulier dans la force de ses images, dans sa façon de filmer les paysages sauvages et de livrer des plans semblables à des peintures. Encore inégalé dans sa façon de faire vivre un fait d’une grande noirceur tout en baignant dans la lumière. Tout au plus pourra t’on lui voir un successeur avoué dans le premier film de Sofia Coppola, The Virgin Suicides. Mais les nappes mélodiques atmosphériques du groupe Air et la moue angélique de Lux Lisbon / Kirsten Dunst (qui renvoie à la jeune Miranda) et de ses sœurs ne s’éteindront de façon absurde qu’à la fin du film, alors qu’ici, nous ne voyons les filles que quelques minutes mémorables, puis c’est la sidération de la disparition, le chaos du trauma collectif et l’enchaînement des dégâts causés chez les vivants, jusqu’à ce que les jeunes filles et leur professeure restent à jamais une image figée dans le temps.

Ont-elles été choisies et volées par la nature ou ont-elles été victimes d’un crime odieux ? Le doute que sème Peter Weir en filmant ces rochers démesurés et ce soleil comme des prédateurs, le temps qui se suspend tournent le film vers un fantastique mystérieux qui donne l’impression – sans jamais le dire – que notre réalité n’est que le coulisse d’une autre réalité plus grande. Le son de la flute de Gheorghe Zamfir et la musique de Bruce Smeaton envoutent dès les premières minutes.

En 1998, Peter Weir et Patricia Lovell saisissent l’occasion d’un director’s cut pour rendre le film plus « cohérent ». Ils coupent quatorze minutes de la dernière partie, de la découverte d’Irma à la conclusion. Le résultat est un récit encore plus inéluctable et désespéré. Weir refait l’étalonnage pour remplacer le teint jaunâtre des débuts par des couleurs vivantes, la bande son est ajustée et doublée d’un son Dolby. Un lifting de très bon goût qui offre une deuxième vie au film et un nouveau public. Vingt ans plus tard, Pique Nique à Hanging Rock revit encore à travers une série produite par Showtime et diffusée en France sur Canal +. Décevante, elle ne parvient pas à restituer le charme que produit ce chef d’oeuvre à chaque nouveau visionnage.

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