On ne peut pas accuser Fabrice du Welz de faire dans la demie-mesure. Depuis Calvaire, il n’a cessé de nous asséner des films d’une puissance émotionnelle sans égale qui se ressentent plus qu’ils ne s’analysent et qui peuvent même épuiser. Le dossier Maldoror s’inspire librement de l’affaire Dutroux, un fait divers belge dont toute personne en âge de suivre les informations en 1996 se souvient encore. La Belgique était alors en pleine réforme de ses polices, ce qui provoquait de graves tensions entre la gendarmerie, la police communale et la police judiciaire. Ce refus de collaborer coûta la vie à plusieurs fillettes séquestrées et violées par le pédophile Marc Dutroux. Du Welz adapte le faits divers presque tel quel dans la première partie du film, en intégrant un gendarme tenace et impulsif à l’histoire familiale trouble qui devra choisir entre sa famille et son obsession de résoudre l’affaire en dépit du contexte administratif. Il trouve ici une bonne balance entre la réalité et l’appropriation, un exercice auquel s’était essayé de façon plus froide et opératique David Fincher à travers son excellent Zodiac. Mais Fabrice du Welz est un réalisateur « chaud ». A la vue du Dossier Maldoror, il est difficile de ne pas penser aux polars français des 70’s, particulièrement ceux d’Yves Boisset, où le social croisait le politique, et où la sécheresse du ton provoquait des décharges chez le spectateur. Presque tout est là.
Le réalisateur de Calvaire est dans son élément au milieu des prédateurs ordinaires, affreux, sales et dépourvus de sens moral, mais il mise suffisamment sur son héros pour ne pas trop avoir à s’y attarder – peut-être conscient des excès qu’on lui connaît, qui pourraient disqualifier sa reconstitution. Ou peut-être par respect pour son sujet. Il préfère se donner entièrement à son acteur Anthony Bajon, stupéfiant dans son rôle de flic trop investi prompt à passer à tout moment de l’autre côté. Face à lui, un Sergi Lopez qu’on avait pas vu aussi inquiétant et abject depuis Le labyrinthe de Pan et un grand nombre d’acteurs provenant de la « famille cinématographique » du réalisateur. On connaît l’histoire de l’homme contre la machine, mais on aime la suivre une nouvelle fois, d’autant plus si on est accompagnés d’une distribution aussi flamboyante, du premier au second rôle.
On découvre à Du Welz une réelle aptitude à poser un contexte, à prendre son temps pour faire ressentir les grands instants familiaux, ce qui crée un contraste plutôt unique, un univers qui n’appartient qu’à son film et qui le rend réel. On apprécie aussi qu’il ait placé sa caméra au milieu du peuple belge pour capter l’incompréhension, le dégoût, mais aussi une certaine résignation au fil du temps. L’équilibre créé est malheureusement brisé sur la seconde partie qui extrapole au delà du faits divers. Libéré de ce poids, Fabrice du Welz embrasse sans concession la croisade de son personnage. Il délaisse ses personnages secondaires, les détails qui faisaient le sel de son film et il emprunte trop de raccourcis, rendant son récit hautement prévisible. On a du mal à lui en vouloir, car il reprend une forme d’intégrité cinématographique en revenant à ce qu’il sait le mieux faire : aller le plus loin possible. Mais ayant vu naître quelque chose de plus grand, de plus poignant obtenu avec une meilleure mesure, on peut ressentir une certaine frustration. Pourtant l’enthousiasme demeure à la sortie du film car le dossier Maldoror reste un polar rare, comme venu d’un autre temps.
Maldoror sortira en salles le 15 janvier 2025.
