Depuis qu’il a rendu les clés de Doctor Who, Steven Moffat semble avoir perdu les clés de son génie créatif : Des reprises de classiques qui n’arrivent plus à apporter une valeur ajoutée à l’original comme le faisaient Jekyll ou Sherlock (Dracula, The Time Traveller’s wife), une série Netflix bien mal écrite (Inside Man) et un retour récent sur Doctor Who via deux épisodes qui appliquent sans talent les ressorts de ses épisodes d’avant 2010. Dans ce contexte, Douglas is Cancelled a tout de la mise en danger faite pour provoquer un sursaut créatif. Un présentateur de JT aimé de tous s’y voit accusé sur twitter X d’avoir fait une blague sexiste à un mariage, mais il ne s’en souvient pas. Le micro-évènement monte en épingle après le re-tweet « amical » de Madeline, sa co-animatrice et il devient un phénomène. Tiraillé entre les conseils de Madeline, ceux de sa femme (patronne d’un grand tabloid) et la crainte d’être désavoué par sa fille (archétype de l’ultra-revendicatrice de la génération Z) , Douglas peine à rebondir pour stopper l’imminence de sa cancellation. La solution pourrait être dans une explication crédible lors d’un entretien mené par une femme. Madeline organise une répétition pour préparer son collègue à l’entretien, et elle ne lui fera pas de cadeau.
Steven Moffat avance à dessein sur un terrain miné. L’existence de la culture du boycott continue d’être niée dans les cercles qui la pratiquent malgré des exemples évidents. Le simple fait de donner le feu vert à une mini-série satirique de 4 épisodes sur le sujet en première partie de soirée montre qu’une prise de recul sur l’époque est en marche, mais le travail de défrichage reste encore à faire. Le showrunner ne choisit pas la facilité en abordant le sujet par le sexisme systémique car, lors de son showrunning sur Doctor Who, ses détracteurs sur les réseaux sociaux l’accusaient régulièrement de misogynie pour avoir écrit une pelletée de personnages de femmes fortes « castratrices » (River Song, Irene Adler etc…). Mais le but de l’entreprise est bien de soulever ces sujets. Il semble être prêt à dédramatiser tout ce bordel avant de mettre les point sur les « i ».
Les deux premiers épisodes de Douglas is Cancelled rappellent que Steven Moffat était à l’origine un excellent scénariste de sitcom (Coupling reste un modèle en la matière). Il transforme son sujet de société brûlant en une farce familiale qui aurait très bien pu être jouée dans un théâtre. Il parvient avec finesse à exploiter le comique qui se loge dans la disproportion tout en présentant une satire des médias un peu surannée, mais juste. En dépit d’une réalisation plate et d’un traitement très sorkinien des scènes de bureau, le dynamisme de son écriture et sa capacité à ménager les révélations rendent le tout enlevé et divertissant. A aucun moment la blague en question n’est révélée, et nous saurons bientôt pourquoi.
Monsieur Moffat a notre attention. Il en avait besoin pour entrer dans un deuxième acte plus dramatique qui dévoile l’histoire derrière la « blague », pour solliciter un peu plus notre intelligence. Nous sommes prêts à accueillir le point de vue de celle qui était alors considérée comme la manipulatrice, et cela prendra un épisode complet (soit un quart de la série). Un épisode perturbant et malsain était nécessaire pour que les zones de gris se rétablissent, pour que le scénariste puisse prouver qu’il est conscient que le sexisme est un sujet, même si ce n’est pas tout le sujet. Egalement pour que le personnage s’exprime dans toute son humanité, sans les attributs de son archétype.
La répétition d’interview par tweet interposé qui suit entre dans la confrontation des points de vue pour révéler que le véritable préjudice est l’acte de trahison d’un ami. Un outrage qui, du point de vue de l’accusateur, mérite de briser sa carrière. Le noeud du problème est qu’aucune infraction objective justifiant la peine n’a été constatée. Le seul commentaire du scénariste à ce fait sera le visage défait de l’accusateur quelques temps après le prononcé de la sentence. Il n’y a aucune rédemption, ni aucun soulagement dans la vengeance. En dépit d’une approche nécessairement tiède envers les masses accusatrices (on ne gagne rien à tirer sur son audience), le scénariste soulève déjà suffisamment de sujet pour les porter à leur réflexion, et il le fait dans une ambiance familiale plutôt réjouissante et légère. Karen Gillan est surprenante dans un rôle très difficile, et c’est un plaisir de la revoir donner la réplique à Alex Kingston (ne me forcez pas à spoiler Doctor Who ! ). Hugh Bonneville (Downtown Abbey) est, quand à lui, fidèle à lui-même dans son rôle de gentil garçon, centre de gravité d’un monde un peu dépassé.
Disponible sur Arte TV jusqu’au 27/06/2025. Diffusion sur Arte à partir du 6 mars 2025.

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