Rio de Janeiro. Janvier 1971. Ancien député du parti travailliste brésilien, Rubens Paiva vit avec sa femme Eunice et ses cinq enfants dans la capitale. La famille Paiva est très soudée et accueille régulièrement les familles de leurs amis dans de grandes fêtes qui contrebalancent l’austérité de la Dictature Militaire installée dans le pays depuis 1967. Un jour, six hommes armés font irruption dans leur maison pour conduire Ruben à un interrogatoire. Ils occupent durablement les lieux et convoquent ensuite Eunice et une des filles, qui sont elles aussi placées en détention. Après plusieurs jours d’emprisonnement, Eunice est relâchée et elle apprend la disparition de son mari. Le récit officiel est qu’il a pris la fuite, mais elle sait que la vérité est différente. Avec l’aide de ses amis, elle décide de démarrer une procédure judiciaire. La vie de la famille Paiva va changer profondément.
Je suis toujours là est un grand film, puissant et tout en retenue qui ne cède jamais au sirènes du mélodrame. Le contraire aurait desservi le parti pris du récit porté par le réalisateur Walter Salles (Central Do Brazil, Carnets de Voyage) d’opposer la vie et le mouvement à l’autoritarisme, les droits humains à l’obscurantisme et à la violence. Le film est adapté du roman autobiographique Ainda Estou Aqui de Marcello Paiva, le seul fils de la fratrie. Mais Walter Salles est bien placé pour le porter à l’écran, lui qui était ami avec les cinq enfants Paiva lors de son adolescence. Il a été témoin du quotidien dynamique, du mouvement permanent de création de souvenirs, de musique et de partage qui régnait dans leur maison. Un mouvement qui s’érigeait comme une réponse à la dictature en place comme un contre-exemple à destination de ses enfants.

L’irruption brutale des hommes du régime amorce une deuxième partie tendue qui met à l’épreuve la famille jusque dans ses fondations. Un vent de terreur et d’incertitude empruntant les ressorts du home invasion et du film politique (sans jamais totalement s’y conformer) sonne le lever de rideau de cette époque. La troisième partie, la plus importante, raconte le chemin difficile d’Eunice Paiva pour garder le cap et le mouvement en dépit de l’omniprésence du régime et de la difficulté à faire admettre les agissements de l’armée. Suivre ce cap que Rubens avait tracé, ne pas céder à l’apathie sous l’horreur de la situation est la meilleure façon de le garder en vie. Un combat s’engage entre la force d’inertie que représente la menace militaire et la force de vie et d’unité que porte Eunice. Ce combat passe par le refus d’afficher une mine défaite sur les photos de presse, par la confiance qu’elle porte à la justice au point d’embrasser la carrière d’avocate à 46 ans, par ce lien qu’elle cultive entre le frère et les soeurs qui leur permettra à tous, des années plus tard, de goûter encore à des réunions familiales communes. Centre de gravité du film, Fernanda Torres compose un personnage dans la retenue et l’intelligence qui rend hommage à cette femme hors du commun.

Le vent de censure qui soufflait encore au Brésil sous Bolsonaro a retardé Walter Salles dans la production de Je suis Toujours là. Mais à la sortie du COVID, le film a permis aux brésiliens de revenir en masse dans les salles (près de 5 millions de spectateurs). De nombreuses familles ont été touchées par la dictature militaire et ont pu en parler librement. Dans un contexte international de plus en plus précaire pour les droits humains, le film de Walter Salles et le combat d’Eunice Paiva ont une résonnance qui dépasse le Brésil. On espère que son Oscar du meilleur film étranger le gardera dans nos salles le plus longtemps possible.
