
En cet Etrange Festival 2025, la journée du samedi 6 septembre était sous le signe du Grand-Guignol. Un adjectif « grand guignolesque » s’est taillé une place dans notre dictionnaire il y’a bien longtemps et se trouve utilisé à toutes les sauces, plus souvent qu’il ne faut de façon impropre. Mais qu’est réellement le Grand-Guignol ?
C’est avant tout un théâtre inauguré en mai 1896 dans un bâtiment du fond de l’Impasse Chaptal, près de Pigalle. Oscar Méténier, secrétaire de police le jour, y organise des pièces de théâtre naturalistes dans lesquels se jouent les horreurs ordinaires et les crimes les plus viles, souvent dans un déchaînement d’horreur gore. L’horreur représentée sur scène n’est pas fantastique. Elle est issue d’un quotidien populaire d’une grande misère et des grands titres des journaux, comme de nouvelles de Maupassant. Porté par la fin du romantisme et par l’intérêt toujours plus grand pour la représentation de la vie des plus démunis, encore grandi par le succès d’Emile Zola, Le théâtre du Grand-Guignol devient vite un phénomène national qui voit se déplacer le tout Paris d’Ouest en Est, et un peu plus tard devient une attraction touristique incontournable du quartier de Pigalle.

Le documentaire de l’anglais David Gregory produit par Severin Films et projeté en avant-première mondiale au Forum des Images Theatre of Horrors – The Sordid Story of Paris’ Grand-Guignol parle de cet engouement sans précédent pour un théâtre hors du commun. Pour narrer cette aventure, David Gregory a choisi la voix de Barbara Steele qui était aussi présente lors de cette première, du haut de ses 87 belles années. L’actrice inoubliable du Masque du Démon de Mario Bava et de nombreux films d’horreur des années 60 représente un trait d’union parfait entre le théâtre du Grand-Guignol et l’horreur contemporaire. Guidés par son timbre unique, nous voyageons dans le Pigalle du début du XXème, au coeur de cette salle pas toujours bien fréquentée qui rejouait les atrocités de son époque.

David Gregory et Barbara Steele (photo : Fred Ambrosine)
Nous goûtons à l’atmosphère très particulier et aux anecdotes liées à ces réprésentations, aussi bruyantes et sulfureuses que montées avec les moyens du bord (à ses débuts, du sang des abbatoirs était utilisé et déversé dans la rue au matin). Son histoire se construit à travers ses propriétaires successifs, son auteur attitré André De Lorde et celle qui sera à jamais la star du genre, l’actrice Paula Maxa… Construit chronologiquement au travers des entretiens menés avec des spécialistes enthousiastes (qui ne sont pas si nombreux) et des documents d’époque, Theatre of Horrors – The Sordid Story of Paris’ Grand-Guignol parvient à situer cette petite histoire dans la grande Histoire et à réhabiliter un théâtre souvent oublié dans les livres d’histoire du Théâtre en dépit de l’importance qu’il a eu dans son siècle.
David Gregory est un habitué des documentaires puisqu’il a déjà produit entre autres le très intéressant Lost Soul: The Doomed Journey of Richard Stanley’s Island of Dr. Moreau. Il lui aura fallu dix années pour achever celui-ci, qui se révèle être tout aussi riche et passionnant, qu’on soit de prime abord intéressé ou non par le sujet. Il nous invite à comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans la fascination pour les actes abominables , encore visible de nos jours via les true crimes ou dans tous les âges du cinéma d’horreur, dans le Psychose de Hitchcock, les films gores d’Hershell Gordon Lewis, les gialli, survivals, slashers et à l’occasion, un film d’horreur français (Les yeux sans visage de Franju fut adapté dans les dernières heures théâtre Grand-Guignol). Autant d’héritiers indirects d’une invention bien de chez nous, alors que paradoxalement, l’héritage du Grand-Guignol en France reste plutôt timide. Nous sommes dans tous les cas ravis qu’un anglais ait eu l’idée de raviver ce pan de notre Histoire.
Theatre of Horrors – The Sordid Story of Paris’ Grand-Guignol n’est pas encore sorti en DVD/Bluray, mais nous ne manquerons pas de vous informer quand ce sera le cas.


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