
C’est un scénario catastrophe bien flippant que nous assène le dernier film de Kathryn Bigelow. Un missile nucléaire fonce vers les Etats-Unis sans que quiconque puisse savoir d’où il vient et à qui il appartient. Peut-être est-ce la Corée du Nord. Mais tout n’est que scénarios et conjectures. Où va-t-il ? Les protagonistes de A House of Dynamite qui ont le malheur d’être aux premières loges de cette catastrophe imminente ne tarderont pas à le savoir. De la salle de crise de la maison blanche à une base militaire très importante pour la défense du pays, en passant par l’avion présidentielle Air Force One, nous suivons les discussions dans une urgence sans précédent, puisque tous ces décisionnaires, et le plus important d’entre eux, le président des Etats-Unis ont moins de vingt minutes pour prendre une décision.

Noah Oppenheim signe un scénario remarquable qui, non content de fourmiller de personnages qu’il présente à vitesse grand V, prend le risque de perdre le téléspectateur en racontant les évènements sous une multitude de points de vue. Le thriller suit donc trois grosses progressions dramatiques successives, dans le même mouchoir de poche temporel, et il joue particulièrement bien du suspens sur lequel il nous laisse à chaque fin de séquence, tellement qu’il provoquera à coup sûr des frustrations. De par sa construction, A House of Dynamite n’a aucun temps mort. La première séquence dévoile certes les rebondissements majeurs du film, mais chaque nouveau point de vue est une nouvelle occasion de vivre ces moments décisifs dans la tête de nouvelles personnes, et de cristalliser un peu plus la conscience du danger.

Le Capitaine Olivia Walker (Rebecca Ferguson) au coeur d’une très mauvaise journée
Une telle ambition narrative aurait pu dépasser n’importe quel réalisateur, même chevronné. Rompue à l’adrénaline et aux montées de tension, la réalisatrice de Zero Dark Thirty, Detroit, Démineurs, Aux Frontières de l’Aube (…) est comme un poisson dans l’eau. Elle évacue tout sentiment d’irréel, tout effet de manche cinématographique qui pourrait nous ramener à de la fiction. Elle enferme ses maillons de la chaîne décisionnaire comme dans une cellule intérieure, les pousse dans leurs retranchements et révèle leurs limites humaines. Les moyens de communication à distance et le hors champ qu’ils traduisent deviennent autant de barrages communicationnels qui viennent s’ajouter au temps qui s’écoule. L’état de tension des personnages est contagieux et il cloue le spectateur à son siège plus qu’aucun thriller ne l’a fait cette année.
A mesure qu’un personnage au second plan dans une séquence précédente passe au premier plan, on comprend à quel point toute la chaîne est complètement dépassée par ses outils et par ses émotions, aussi préparée soit-elle. Ce qui ressort le plus, en effet, de A House of Dynamite, c’est le décalage entre la gravité de la situation et la vulnérabilité émotionnelle, l’état de choc de ceux qui la traitent. L’intro du film nous annonce que nous vivons le retour d’une menace qu’on pensait appartenir au passé. Le mot le plus important viendra du général incarné par Tracy Letts au président qui lui lance que le choix qu’il doit faire est un non-sens. C’est la réalité. Cette réalité n’a jamais cessé d’être, mais comme tout à notre époque participe de la dé-réalisation et de la fictionnalisation, chacun ne voyait pas qu’il semait les graines de cette situation. Ces quelques vingt minutes avant la sentence font l’effet d’un réveil brutal d’un monde où tout était sans conséquence pour entrer dans celle qui sera ultime.

Le show est fini. Le Président des Etats-Unis (Idris Elba) doit prendre une décision.
Bien sûr, dans notre réalité, le président des Etats-Unis est très loin de celui incarné ici par Idris Elba. Sans doute cette concession fictionnelle d’un président humaniste mais impuissant est-elle faite pour trancher avec les hommes providentiels qu’on nous sert depuis trente ans dans les films et séries. Malgré sa structure de thriller en temps réel et sa distribution qui transpire le charisme, A House of Dynamite n’a pas de Jack Bauer, ni de président sage / ancien combattant, ni de cellule de guerre qui a réponse à tout, ni de garde du corps incroyable, ni de Deus ex Machina. Il montre que si on ne cesse pas de poser des dynamites, il n’y aura dans cette réalité aucun héros pour arrêter l’explosion.

Un Conseiller adjoint à la Sécurité Nationale qui n’attendait pas autant d’attention
Ce choix étouffe aussi tout jugement politique clivant pour porter le sujet à un niveau plus grand, et c’est en cela que les recours au drame au sein du thriller politique réaliste sont importants. Si c’était la volonté de Kathryn Bigelow de provoquer un réveil à un moment où la politique internationale renoue avec ses pires heures, elle y’arrivera au moins le temps de ce film (car disons-le, il n’y a pas de miracle). A House of Dynamite n’est pas le Point Limite de Sidney Lumet, mais soixante ans après, il ravive un choc semblable. Un choc encore aggravé par ce qu’il laissera hors champ, derrière ses fondus au noir et les notes anxiogènes de son générique, et même derrière son absence de réponse. Tout est calculé pour nous laisser dans l’inconfort. C’est un nouveau grand film dans la grande carrière d’une grande réalisatrice qui ne cesse d’étonner, et probablement ce que vous verrez de mieux en 2025 hors des salles obscures.

A House of Dynamite sera sur Netflix le 24 octobre.

Bravo pour l’article, même avis pour moi.
Bigelow façonne un thriller d’anticipation remarquable en effet, point limite d’une trilogie dédiée aux arcanes de la sûreté nationale, elle-même découpée en trois segments. C’est surtout film qui interpelle les consciences, qui réveille cette idée trop vite oubliée que notre monde n’est plus le même depuis 1945. Et ce n’est pas là la moindre de ses vertus.
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