L’ Agent Secret – O Agente Secreto

L’histoire de Kleber Mendonça Filho prend racine en 1977 au Brésil, sous la dictature militaire. En pleine période de carnaval, un homme revient dans la ville de Recife pour reprendre contact avec son jeune fils. Il se fait loger dans une pension occupée par d’autres personnes qui ont intérêt à ne pas divulguer leur vrai nom aux autorités brésiliennes et il tente de vivre une vie normale. Mais il est poursuivi par son passé – qui ne nous sera divulgué que tardivement – et il pourrait bien payer de sa vie son retour en ville. Qu’est-ce qui a bien pu attirer autant d’ennuis à ce « monsieur tout le monde » à qui on donnerait le bon Dieu sans confession ? Qui est-il vraiment ? Qui sont ces deux hommes envoyés à ses trousses par un homme qui semble lui en vouloir personnellement ?

L’Agent Secret est un cas typique de titre déceptif car on a envie de répondre à l’invitation de voir le Pablo Escobar de Narcos revêtir un costume de James Bond brésilien. Et le film de Kleber Mendonça Filho joue avec nous, comme s’il cherchait à reporter, sous une couche d’intrigues plus anecdotiques, une grande révélation sur son personnage. La vérité est qu’il n’yen aura pas car le personnage incarné par Wagner Moura se rapproche dangereusement d’un monsieur tout le monde. Mais un « monsieur tout le monde » qui vit au Brésil en 1977, dans un régime dictatorial et corrompu, peut à tout moment devenir un homme à abattre.

Quand on a compris cela, la portée politique de cet étrange thriller néo-noir aux allures quasi-documentaire est claire comme de l’eau de roche. Peut-être moins directe dans le drame et la dénonciation que le très bon Je suis Toujours là qui évoquait aussi cette période terrible, mais elle suinte dans atmosphère du film. On se perd vite dans le dédale de corruption et de crime du Récife de la fin des années 1970, où les tueurs fricotent avec les flics le temps d’une virée, où on retrouve une jambe dans un requin quand elle ne se balade pas dans les lieux mal fréquentés de la ville pour botter des fesses, où un chat à deux têtes cohabite avec un groupe de paumés et de réfugiés politiques sous la bienveillance d’une vieille femme de plus de 70 ans. Dans une ville où la mort peut surgir à tout moment et être vite maquillée. Lorsqu’on déterre les cadavres des décennies plus tard, on peut y découvrir des histoires incroyables.

Rien n’est vraiment anecdotique dans la peinture d’époque minutieuse de 2h38 (!) que nous fait Kleber Mendonça Filho. Même cette scène déconnectée où un flic contraint un allemand incarné par Udo Kier (dans son dernier rôle) à montrer ses blessures de guerre contribue à créer une atmosphère d’étrangeté poisseuse, un climat à la fois malsain, précaire et révoltant. Entre références cinématographiques appuyées aux Dents de la Mer ou à la Malédiction (le beau-père du héros tient un cinéma) et détails de presse incongrus, le film capte comme un instantané d’une époque, de souvenirs et des ressentis peut-être revenus à la surface avec l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro ? Une atmosphère et des impressions si précises qu’on se croit parfois dans une version naturaliste et absurde du Summer of Sam de Spike Lee. Le scénariste / réalisateur manie le grotesque et parfois la poésie sans se départir d’un réalisme grave. On peut sourire devant les caricatures de gros bras pourris par la corruption, mais à aucun moment on ne doute du sérieux de la menace et de la réalité des personnages modestes qui entourent l’anti-héros. Et on tremble pour eux sur la grande montée de la menace avant l’explosion de la dernière partie. Bref, une belle coproduction franco-brésilienne qui mérite le coup d’oeil.

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