
Un signal séquentiel provenant de plus de 600 années lumière est capté par un observatoire spatial américain. Au terme de nombreux brainstormings, les scientifiques se rendent compte qu’il s’agit d’une séquence ADN répétée à l’infinie. Des chercheurs reproduisent la séquence dans un laboratoire pour l’expérimenter sur des rats. Lorsque l’une d’entre eux est mordue, elle semble contaminée par un mal étrange qu’elle ne tarde pas à transmettre en embrassant les personnes présentes dans le bâtiment. Loin de toutes ces considérations, Carol Sturka parcourt l’Amérique avec sa conjointe et agente Helen pour promouvoir son nouveau livre, l’énième opus d’un cycle de « romantasy » qui connaît un grand succès. A son grand malheur. Car Carole déteste autant ce qu’elle écrit que son public de ménagères frustrées qui semble vénérer sans grandes raisons ce monde peuplée de beaux pirates et d’aventurières énamourées. Alors que la pandémie extraterrestre s’est globalisée, Carol assiste à la fin du monde tel qu’elle le connaît et au décès de sa compagne. La contagion a lié l’ensemble de l’humanité en une seule et même conscience, et seuls une douzaine de personnes dans le monde – dont elle – ont pu y’échapper.
Toujours plus misérable et (presque) seule au monde, Carol devra apprendre à cohabiter avec un envahisseur non-violent et pétri de bonnes intentions qui souhaite avant tout son confort et son bonheur, dans le but de l’assimiler à longue ou moyenne échéance.

C’est peu dire que Vince Gilligan et sa merveilleuse équipe de scénaristes nous manquaient depuis la fin de Better Call Saul. Mais nous n’avions pas tardé à recevoir deux bonnes nouvelles : un retour du showrunner à la science-fiction, lui qui avait été formé sur les plateaux des X Files. Et il serait diablement bien accompagné, puisque Rhea Seehorn – la plus grande révélation de Better Call Saul – serait la tête d’affiche de cette nouvelle série diffusée sur Apple TV+. Cette invasion d’un nouveau genre devint d’office l’évènement de cette année 2025. C’est avec fébrilité que nous attendions le lancement de Pluribus le 7 novembre dernier sur la même chaîne qui nous a livré la très bonne série Severance.
Il ne fallait pas s’attendre à un retour de l’univers de Breaking Bad, ni à des extraterrestres de Roswell car Vince Gilligan est continuellement en mouvement. Il a cette extraordinaire capacité à assimiler toutes ses influences pour en faire sortir – non sans humour – quelque chose de fondamentalement nouveau. Et sur cette nouveauté, il a appliqué la même méthode, de Breaking Bad à Better Call Saul, et maintenant de Better Call Saul à Pluribus : Proposer quelque chose qu’il n’a pas vu ailleurs et rayer tout rebondissement prévisible de la carte pour nous amener dans des directions surprenantes et d’une cohérence étudiée. Car dans cet ouvrage patient et sinueux qu’est Pluribus, les briques se posent les unes après les autres et donnent déjà, en cette première saison, des premiers fruits qui présagent de grands lendemains.

Qui voudrait tout avoir tout de suite a peut-être oublié ce qu’étaient Breaking Bad et Better Call Saul avant leurs montées en puissance. Vince Gilligan et ses scénaristes bâtissent un univers par touches et chaque détail y’est important. Pluribus prendra toute sa première saison pour dévoiler cet univers et les nouvelles règles de la nouvelle humanité, et dans un calme apparent et une réalisation anti-démonstrative, ce qui nous est montré regorge de détails. Nous sommes plongés dans le quotidien de Carol, qui rassemble les indices à sa vitesse, notant – pour élaborer un plan de renversement de l’invasion – ses découvertes sur un tableau comme elle construirait l’intrigue d’un de ses romans. Carol est une personnalité attachante et entière que vous aimerez (ou détesterez de façon viscérale) accompagner. Une sorte de pile électrique d’hormones et de sentiments qui passera par tous les états durant cette première saison. Un peu le contraire du de notre Kim Wexler de Better Call Saul, parangon du contrôle de soi. Rhea Seehorn a peut-être loupé l’Emmy Award pour Kim, mais elle a gagné de nombreux fans, et son plus fervent est Vince Gilligan. L’actrice était censée ne participer qu’aux premiers épisodes de la préquelle de Breaking Bad, et elle est devenue – avec Bob Odenkirk – l’élément pivot de la série. A 53 ans, le showrunner lui a offert une sorte de one-woman show sur un plateau, et elle relève le défi de porter vers le haut chaque scène avec un grand enthousiasme, une intelligence réelle et un esprit punk communicatif.

Le duo gagnat Vince Gilligan / Rhea Seehorn
La méticulosité de Vince Gilligan n’a d’égale que sa capacité à créer des personnages mémorables, sans doute les plus grandes figures de la télévision de ces dernières années : Walter White, Jesse Pinkman, Mike Ehrmantraut, Hank Schrader, Gus Fring, Saul Goodman / Jimmy McGill, Kim Wexler, Lalo Salamanca, Nacho Varga (…). Ces personnages partent parfois d’archétypes pour devenir uniques, tellement réels et caractérisés avec autant de détails par les scénaristes et les acteurs qui les composent qu’ils sont capables de surprendre le téléspectateur. Le showrunner ne pouvait pas laisser Carole subsister avec elle-même, uniquement face à cette ruche personnifiée par la convaincante Karolyna Wydra. C’est tout naturellement qu’il introduit dans le décor une poignée d’autres survivants, parmi lesquels Manousos Oviedo.

Vivant au Paraguay, Manousos a refusé tout contact avec « les autres » depuis la contamination. Il se terre chez lui dans l’espoir de pouvoir craquer la fréquence par laquelle le signal extra-terrestre a été émis. Tenu au courant de la volonté de Carol de mener bataille contre l’envahisseur par une version toute personnelle de l’appel du 18 juin (!) , il rejoindra le Nouveau-Mexique par ses propres moyens, au terme d’un horrible road trip qui culmine dans la traversée du périlleux Bouchon du Darién. L’acteur colombien Carlos-Manuel Vesga est la grande révélation Gilliganienne de cette saison, qui culmine dans la rencontre entre Carol et Manousos, au moment où Carol commence à être assimilée par les « autres ». Cette rencontre est un peu l’équivalent de la révélation de Walter White en Heisenberg à la fin de la courte première saison de Breaking Bad. Toute la saison concourt à ce climax explosif en forme d’affrontement, une sorte de premier pay off pour récompenser celles et ceux qui auront su rester.

Pluribus est un récit de science-fiction, et la S-F est en général, un miroir des angoisses de son temps. On aurait beau jeu de décoder cette première saison inclassable, récit d’une invasion anti-spectaculaire au possible par une espèce extraterrestre pacifiste, collectiviste et qui occupe le territoire à distance (Les « autres » sont toujours des humains). Carol cite sans vraiment le faire l’invasion des profanateurs de sépultures, un très bon film sur la suppression de l’individualité, mais un vestige de la guerre froide. On reconnaît plus dans cette connexion complexe « à tout moment » de chaque être humain au monde, un avatar de la connexion globale apportée par internet et les réseaux sociaux, sorte de parachèvement théorique d’une utopie globale. La Guerre Froide est derrière nous (peu importe ce qu’en disent les médias), mais cette utopie globale portée par les nababs de la Silicon Valley semble être le nouveau destin de l’humanité. Ce Pluribus nous parle d’un monde où tout assimilé se sent connecté au monde, mais où aucun amour réel ne peut être ressenti pour un individu / un animal en particulier (on le sent dans la conversion finale de la jeune Kusimayu, dans l’épisode 9).

L’assimilation est un piège qui guette toute personne qui a besoin d’être connectée ou qui est dépendant d’une vie de conforts où tout service peut être fourni sans effort (c’est le « gap » qui sépare Carole de Manousos dans l’épisode 7). La doctrine des « autres » revêt la façade d’une lutte tout à fait défendable contre l’individualisme. Mais sous cette façade, c’est l’individualité, la particularité, qui est menacée. Sauver le monde revient à sauver l’individualité et ce qui fait l’originalité de chaque être humain. Cela peut être les âmes, selon la conception teintée de catholicisme de Manousos, ou pour l’athée convaincue Carol, ce qu’elle assimile au libre-arbitre. Dans les deux cas, il s’agit de garantir pour chacun un semblant d’espace privé et de déconnexion au monde global pour ne pas être complètement refondu par le global. Cette nouvelle façon d’aborder la science-fiction apporte soulève beaucoup de questions passionnantes, des questions qui s’invitent à mesure de l’intrigue et qui se poursuivront dans une saison 2, et peut-être jusqu’à une saison 4 (c’est ce que qu’a prévu le showrunner…). Contre toute attente, cette première livraison de Pluribus a coiffé au poteau la saison 2 de Severance en devenant la série la plus visionnée d’Apple TV, faisant des téléspectateurs de la « pomme » un bon réservoir pour péréniser une Science-Fiction ingénieuse. La production de cette nouvelle saison se fera en 2026. Il faudra donc attendre, on l’espère, pas trop longtemps, pour voir ce que donnera l’équilibre de la Terreur.


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