Réalisation : Jean Epstein
Scénario : Jean Epstein, Luis Bunuel d’après Edgar Allan Poe
Chef Opérateur : Jean & Georges Lucas
Assistant Réalisateur : Luis Bunuel
Montage : Jean Epstein
Directeur Artistique : Pierre Kefer
Décorateur : Pierre Kefer
Pays : France
Durée : 1h05
Sortie française le 5 octobre 1928. Version restaurée disponible sur Henri

Production : Jean Epstein
Acteurs Principaux : Jean Debucourt, Marguerite Gance, Charles Lamy, Fournez-Goffard, Abel Gance
Genre : Fantastique, Drame
Note : 7,5/10
C’est avec cette adaptation du classique d’Edgar Allan Poe que la cinémathèque Française lança le 9 avril dernier sa quatrième salle virtuelle HENRI, destinée à mettre en valeur ses collections de film de patrimoine. Ce lancement résulte évidemment de l’obligation d’investir le territoire virtuel, les trois autres salles étant fermées jusqu’au 15 juillet pour cause de COVID 19. Le choix de « la chute de la maison Usher » millésime 1928 est symbolique car le réalisateur possède sa salle à la cinémathèque française, mais il est aussi avisé en ce que cette adaptation, avant-gardiste à son époque, peut toujours en remontrer à tout un pan du « cinéma d’auteur » et fantastique actuel. L’histoire suit le canevas de l’ouvrage de Poe : Un homme rend visite à son ami Roderick Usher, héritier d’une longue lignée de la bourgeoisie qui semble mourir peu à peu, à force de se terrer dans son château et de pratiquer l’endogamie. Artiste souffrant d’une hyper acuité des sens, Usher se plaît à peindre le portrait de sa femme Madeline. Mais à mesure que le portrait prend vie sous l’émerveillement de son créateur, la femme dépérit à vue d’oeil, jusqu’à mourir lors d’une des séances de pose. Incrédule, Usher refuse de l’enfermer dans son cercueil, mais il doit se résoudre à accepter sa perte et à entrer lui-même dans une lente agonie. Le film de Jean Epstein est une très bonne adaptation de l’ouvrage de Poe, en ce qu’il s’autorise des infidélités (Usher et Madeline ne sont plus frères et soeurs), sans trahir le fond de l’histoire. Epstein a également disséminé des indices qui renvoient à d’autres nouvelles d’Edgar Alan Poe (la plus visible est Ligeia) et matérialisé une grande partie des obsessions morbides de l’écrivain/poète.
Mais il a surtout su utiliser les images et à travers sa réalisation et les effets spéciaux à sa disposition, permis de matérialiser le tourment intérieur de Roderick Usher. Certes, l’introduction est une parfaite intro fantastico-gothique qui renvoie autant au Dracula de Bram Stocker qu’à son avatar cinématographique Nosferatu. Le côté expressionniste de la mise en scène ménage pas mal de plans sur la tronche hallucinée de l’artiste, autant d’indices du point de vue de l’élément extérieur (l’ami). Mais dans son ensemble, le film est presque un complet subjectif de Roderick Usher. Tous les moments clés soulignent une instabilité matérialisée par des inserts de paysages, des ralentis malaisants, dédoublements d’images, surimpressions, dilatations du temps qui tiennent plus du ressenti que de la description d’un temps arrêté. La réalisation traduit l’instabilité du héros et comment sa santé mentale prend peu à peu naufrage. Si le tableau de Madeline focalise l’attention, le château conserve son rôle de reflet de la santé de Roderick, et de celle de sa Maison. Il était donc inévitable que la fin du film rejoigne celle du livre dans cette destruction du bien. Cependant, Epstein à joué la carte d’un semi-happy end prenant racine dans la catalepsie de Madeline, et qui ne paraît pas injustifié, car il rejoint cet empathie qu’on a développé pour le malade. Une fin cathartique pour un oeuvre qui tutoie constamment le fantastique plus par son atmosphère que son sujet. La restauration, effectuée en 1997 par la Cinémathèque Royale de Belgique et la Cineteca del comune de Bologne à partir d’une copie nitrate noir et blanc propose une belle restauration des teintes qui contribue à l’immersion, au même titre qu’un accompagnement musical puissant émotionnellement.
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