No Country For Old Men

Ça commence sur fond d’un paysage désertique du Texas avec le monologue d’un homme désabusé. Un écho à un autre monologue qui nous opposait le collectivisme soviétique à l’individualisme texan deux dizaines d’années plus tôt. Le ton est donné. Même s’il parle d’un autre Texas, No Country For Old Men lorgnera tout de même dangereusement vers Blood Simple, le premier film des frères Coen. Cette adaptation de Cormac McCarthy conte la poursuite entre Llewelyn Moss, un soudeur retraité, vétéran du Vietnam, et une machine à tuer redoutable que les circonstances ont lancé à ses trousses. Moss est tombé par hasard sur un magot qu’il a voulu garder pour lui et pour sa femme, Carla Jean. En la conservant, il entraîne dans un bain sanglant les siens et tout ceux qu’il croise. Le shérif du coin l’aiderait bien à s’en sortir et les gros bonnets qui étaient dans le coup aimeraient aussi récupérer le fric…

Projeté à la Cinémathèque Française à l’occasion du 10ème festival du film restauré dont Joel Coen est le parrain (sans son frère Ethan), No Country For Old Men n’a pas pris une ride depuis sa sortie en 2007. Tellement puissant et unique, tellement bourré de détails qu’on pourrait en parler pendant des heures. Une masterclass entière a tenu sur le sujet, très instructive et menée par le réalisateur. L’homme tranquille est d’habitude avare de confidence, mais il était visiblement heureux de remonter le temps.

Joel Coen dans toute sa coolitude lors de sa masterclass à la Cinémathèque Française

No Country for Old Men c’est d’abord un des psychopathes les plus hauts en couleur que le cinéma nous ait offert : Anton Chigurh, sorte de Terminator glaçant armé d’un sens de l’humour bien à lui, interprété avec jubilation par Javier Bardem. Une distribution brillante lui dame le pion : Tommy Lee Jones, Woody Harrelson, Josh Brolin, Kelly MacDonald, Garrett Dillahunt, Stephen Root. A la manière de Blood Simple, ils évoluent dans un temps qui dilate. Les Coen et leur chef opérateur Roger Deakins filment le désert du Texas à perte de vue, ils collent au plus près à l’eurs acteurs pour guetter en silence un choix ou une réaction. Il y a toujours un détail qui fait mouche. Chaque lieu est exploité avec un sens de l’espace exemplaire doublé d’un montage parfait et d’une utilisation ingénieuse des éléments de l’histoire (un simple pisteur devient un aspect déterminant de la narration). En deux scènes dans un hôtel et leur prolongement dans la nuit, les frères Coen redonnent un sens au mot suspens uniquement par le montage et leur travaille sur la bande sonore. On retrouve dans la confrontation Llewelyn/ Cigurgh un peu de l’attente créée lors du western spaghetti, une attente qui est une fin en soi car cette confrontation n’aura pas lieu.

Les frères Coen se passent de musique, ne laissant pas même une note accompagner la solitude oppressante du personnage, . Cette solitude se double d’une mise au ban par la communauté et de sa condition de proie. Le chasseur creuse la route, éliminant toute trace du passage de Llewelyn, et celui-ci, blessé et couvert de sang, devient cet homme étrange que tout le monde fuit ou craint, qui ne peut se faire obéir que par l’argent. Une scène vers la fin du film inversera ce propos : des enfants accepteront d’aider gratuitement le tueur psychopathe. Mais Chigurh plantera encore en eux les graines du cynisme.

C’est au milieu de ce chaos qu’arrive l’observateur du drame, le shérif Bell, remarquablement interprété par Tommy Lee Jones. Il est affublé d’un sidekick, son adjoint (l’hilarant Garret Dillahunt, qui a depuis creusé son sillon), et ils remplissent à leur manière le quota de scènes typiques coeniennes. Mais No Country For Old Men n’est pas Fargo. Il n’a pas la lumière et l’espoir conférée par Frances McDormand. Il n’y a que le chaos de la réalité, vu à travers les yeux d’un homme dépassé et fatigué. Un shérif dépassé par le progrès qui vit dans le passé et qui traîne derrière lui une montagne de faits divers (auxquels vient s’ajouter celui qui se déroule devant nos yeux), comme ce « robot » meurtrier aux valeurs jusquauboutistes ou le mercenaire campé par Woody Harrelson. Désabusé, sans repère, l’homme de loi tente tant bien que mal d’empêcher les événements, puis il décide sa retraite dans résignation emprunte de désespoir. Un rêve lui rappelle que la lumière qu’il cherche dans ce monde n’existe plus que dans ses souvenirs. Film à suspens, Western moderne ou film d’horreur sur la vieillesse – selon les mots de Joel Coen – No Country For Old Men est bien un des meilleurs films des frères Coen.

Réalisation : Joel Coen & Ethan Coen

Scénario : Ethan Coen & Joel Coen, d’après le roman de Cormac MacCarthy

Directeur de la Photographie : Roger Deakins

Montage : Roderick Jaynes (Joel Coen & Ethan Coen)

Musique : Carter Burwell

Chef Décorateur : Jess Gonchor

Direction Artistique : John P. Goldsmith

Son : Skip Lievsay, Peter F. Kurland, Craig Berkey, Greg Orloff

Casting : Ellen Chenoweth

Production : Ethan Coen, Joel Coen, David Diliberto, Robert Graf, Mark Roybal, Scott Rubin

Pays : USA

Durée : 2h02

Sortie en salles le 19 mai 2007

Acteurs Principaux : Javier Bardem, Josh Brolin, Tommy Lee Jones, Woody Harrelson, Kelly MacDonald, Garret Dillahunt, Tess Harper, Barry Corbin, Stephen Root

Genre : Drame, Western, Comédie, Polar

Note : 9,5/10

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