Homicide Life on the Street – Saison 1

Créateur/Showrunner : Paul Attanasio

Scénario : Paul Attanasio, David Simon, Tom Fontana, James Yoshimura, Jorge Zamacoma, Noel Behn

Réalisation : Barry Levinson, Alan Taylor, Nick Gomez, Martin Campbell, Wayne Ewing, Michael Lehman, Peter Markle, Bruce Paltrow

Chef Opérateur : Wayne Ewing

Montage : Tony Black, Cindy Mollo, Jay Rabinowitz

Chef Décorateur : Vincent Peranio

Direction Artistique : F. Dale Davis, Susan Kessel

Pays : USA

Durée : 9 x 45 mn

Diffusée sur NBC du 31 janvier au 31 mars 1993. En France sur Série Club à partir du 3 avril 1998. Disponible en dvd zone 2 UK depuis le 26 février 2007

Production : Barry Levinson, Tom Fontana, Jim Finnerty, Gail Mutrux, Lori Mozilo

Acteurs Principaux : Daniel Baldwin, Ned Beatty, Richard Belzer, Andre Braugher, Yaphet Kotto, Melissa Leo, Jon Polito, Kyle Secor, Lee Tergesen, Edie Falco, Wendy Hughes, Zeljko Ivanek

Genre : Polar

Note : 9,5/10

1. Baltimore. Un 31 janvier 1993…

L’année 1988 fut une année comme une autre pour les détectives de la brigade criminelle de Baltimore, plus ou moins déterminante pour les uns et les autres. Une année de routine dans une ville gangrénée par le crime ordinaire. A ceci près qu’un journaliste du Baltimore Sun nommé David Simon s’était donné pour mission de les suivre partout.

Au terme d’un long travail d’acclimatation, le futur showrunner de la série Sur Ecoute fut peu à peu accepté, jusqu’à faire suffisamment partie du décor pour que ces hommes habités par leur travail lui ouvrent les portes de leur univers, leurs règles, leurs quotidien. David Simon en tira un ouvrage Homicide : A year on the killing streets (rebaptisé Baltimore en France). Le journaliste avait déjà un talent certain pour dépeindre avec une grande humanité ces hommes imparfaits investis de la mission de faire parler les morts. L’ouvrage était aussi passionnant que les meilleurs polars, bien que peu spectaculaire. Il fut couronné dans la foulée d’un Edgar Award, la récompense attribué par l’association des auteurs de romans policiers (mystery writers of America). Si la France a longtemps attendu la sortie du livre, l’onction de David Simon quelques années après la diffusion de Sur Ecoute – aux tournant des années 2010 – fait qu’il peut désormais être aisément trouvable en nos terres. C’est même un français, Philippe Squarzoni, qui, en 2016, a franchi le pas d’en faire une adaptation en bédé, dépouillée et plutôt fidèle.

La carte de presse de David Simon au Baltimore Sun, « Homicide : A year on the killing streets » version américaine, et la première édition française (Sonatine)

Le début des années 90 était une période de vaches maigres pour la chaîne américaine NBC, qui perdait ou était sur le point de perdre tous ses gros succès des années 80 (The Cosby Show, Matlock, Cheers…). Il fallait de nouvelles séries pour tirer le network vers le haut. Après plusieurs essais infructueux sur des sitcoms, les exécutifs de la chaîne optèrent pour les dramas à haute valeur ajouté. La chaîne fit appel à Barry Levinson pour développer un de ces dramas. Un choix audacieux mais calculé, car le réalisateur était auréolé des succès de Rain Man et Good Morning Vietnam, et quelques passages de réalisateurs de cinéma sur le petit écran venaient de porter leurs fruits : NBC avait le précédent du Miami Vice (Deux flics à Miami) de Michael Mann et des Amazing Stories (Histoires Fantastiques) de Steven Spielberg. Sa rivale ABC venait de frapper juste avec le Twin Peaks (Mystères à Twin Peaks) de David Lynch. La câblée HBO regardait quand à elle grandir son anthologie Les Contes de la Crypte, qui serait le lieu de villégiature de nombreuses pointures du cinéma de genre. Levinson proposa aussitôt à la chaîne une adaptation de Homicide : Life on the Street.

L’idée d’un cop show basé sur le récit documentaire de David Simon était séduisante. Une série pouvait mieux retranscrire le quotidien de ces flics qu’un long métrage, et injecter ce shoot de réalité dans le genre de la série policière pouvait faire oeuvre de continuité sur la chaîne : La série Hill Street Blues (Capitaine Furillo) diffusée sur NBC avait durant sept ans posé de beaux jalons pour passer à la vitesse supérieure. Barry Levinson était destiné à être touché par l’ouvrage de David Simon. Natif de Baltimore, il avait baptisé sa boîte de production Baltimore Pictures et n’avait pas hésité à tourner plusieurs films sur place. Aussi lorsqu’il eut le feu vert de la chaîne, il n’hésita pas à tourner la série dans la ville de Baltimore, loin des lumières de la Californie qui abritait alors les tournages d’une grande partie des séries des grandes chaînes. Cette décision fut capitale pour l’authenticité de Homicide, au même titre que Montréal apporta le cachet visuel des X Files de Chris Carter (lancés sur la Fox la même année). Mais tourner sur place ne suffisait pas. Barry Levinson s’entoura d’une équipe à même d’apporter une touche nouvelle dans le paysage télévisuel, probablement le premier jalon d’une transformation des séries télévisées qu’entérinerait HBO au début des années 2000.

Tom Fontana, co-producteur exécutif de Homicide, est le symbole de ce nouveau souffle en ce qu’il deviendrait cinq années plus tard le showrunner de Oz, la première série du raz de marée HBO. En 1991, il était déjà auréolé du succès critique de St. Elsewhere, série médicale précurseure qui traça une voie en or pour nombre de ses acteurs, parmi lesquels figuraient Denzel Washington et David Morse. La lourde et passionnante tâche d’adapter le pavé de David Simon et de créer les pendants fictionnels de ces détectives réels incomberait à Paul Attanasio, scénariste du pilote et auteur de la « bible » qui servirait à tous les autres scénaristes de la série. Homicide : Life on the Killing Streets était entre les bonnes mains de celui qui scénariserait le Quizz Show de Robert Redford, le Donnie Brasco de Mike Newell et deviendrait par la suite le producteur exécutif de House M.D (Dr.House) et l’expertise des flics de la criminelle de Baltimore. Gary d’Addario, commandant de l’Unité décrite par David Simon, devint consultant sur Homicide, à l’instar d’autres de ses enquêteurs, et David Simon rejoignit lui-même un temps l’équipe des scénaristes, alternant avec l’écriture d’épisode pour sa série rivale NYPD Blue.

Le réalisateur/producteur Barry Levinson, le producteur Tom Fontana, le scénariste Paul Attanasio, le commandant Gary d’Addario et le chef opérateur Wayne Ewing

Un des derniers apports déterminants à Homicide fut le chef opérateur Wayne Ewing, que Barry Levinson avait rencontré sur le film Toys. Le directeur de la photographie est particulièrement important sur la création de l’atmosphère d’une série télé, en ce qu’il l’accompagne souvent sur sa durée alors que les réalisateurs changent. Mais c’est le choix conjoint de Levinson et Ewing de tourner avec une caméra super 16mn qui définit le style de Homicide. Plus maniable, elle permit d’alléger l’équipe de tournage et les jours de production, et surtout de capter sur le vif les performances des acteurs. La caméra portée de Wayne Ewing apportait dans la forme le dynamisme et l’action que la série ne fournissait pas au téléspectateur (à dessein) sur le fond. Ainsi il pouvait se concentrer sur les échanges et les interactions entre les personnages qui deviendraient la marque de la série.

La post-production apporta les deux éléments qui distinguèrent formellement Homicide des autres séries policières. Barry Levinson s’assura que le laboratoire du Maryland qui traitait le film lave le plus possible la pellicule de ses couleurs afin de la vider de ses contrastes, à l’exception des rouges. C’est ensuite dans la salle de montage de Tony Black qu’Homicide trouvait sa marque de fabrique : Le jump cut sauvage et les montages répétés (retour en arrière pour répéter le fragment qui a précédé). des techniques peu orthodoxes qui se firent plus discrètes dès la saison 2, mais donnèrent à cette première saison une atmosphère visuelle très particulière.

NBC avait programmée Homicide comme série de remplacement pour la mi-saison, prévue pour une diffusion à l’hiver 1993. Après le visionnage du pilote Gone For Goode , la première saison se vit prolongée à neuf épisodes et quatre nouveaux scénarios furent commandés, qui formeraient la courte deuxième saison. Très confiant dans les qualités de la série, le président de NBC Entertainment Warren Littlefield programma le pilote sur le meilleur créneau de la chaîne, après le Superbowl, un 31 janvier 1993…

2. Du rouge et du noir

La plaque commémorative de la série sur le Recreation Pier Bulding

Les téléspectateurs américains furent donc nombreux à découvrir ce commissariat reconstruit au sein du Recreation Pier Building de Fells Point. Un bâtiment investi par le chef décorateur Vince Peranio pour y créer des lieux qui seraient exploités durant les 7 ans de la série. Peranio créa un lieu de vie pour que les acteurs puissent évoluer à leur guise et s’approprier les lieux : la coffee room, l’aquarium qui serait le théâtre des interrogatoires des détectives Bayliss et Pembleton, la pièce 203 dans laquelle se regroupaient les bureaux des détectives de la Brigade Criminelle, sous la coupe du lieutenant Giardello.

C’est un tableau dans un coin de la pièce qui enregistrerait le record de gros plans : Une colonne pour chaque détective responsable de l’affaire (The Primary, celui ou celle qui répond le premier à l’appel à la découverte du corps), le nom de chaque nouvelle victime est noté en rouge sur sa colonne, puis il passe en noir quand le cas est résolu. Dès le pilote, les allers-retours sur le tableau permettent de se familiariser avec cette règle d’or qui accompagne la dure loi des statistiques qui régit le département de police de Baltimore, mais créé une certaine émulation.

Ces rouges et ces noirs sont autant de morts inspirés des homicides de 1988 relatés par David Simon, enrichis au fil des années. Pas de génie du crime à la Moriarty pour nos détectives, ni de poursuites à travers les rues de Baltimore. Ces meurtres sont crapuleux, souvent sous l’effet d’une impulsion et d’un contexte de vie délétère, parfois sans aucun mobile et exécutés de façon brouillone. Leur résolution sollicite un travail de fond de recueils de témoignages, de suivi de procédure (le coroner et le district attorney sont des personnages clés) et de réflexion.

Parfois un cas sort de l’ordinaire, souvent pour le pire. La saison 1 reprend et transforme une partie de ces cas pour les réduire un peu, alors que dans le livre de David Simon, ils s’étendent parfois sur des mois. Le meurtre d’un jeune flic qui hante la criminelle en 1988 devient le cas du flic Chris Thormann (Lee Tergesen, futur Tobia Beecher de Oz), attribué à Crocetti et Lewis. L’affaire de la tante Calpurnia, qui terrorise et tue ses maris et ses proches pour récupérer les primes d’assurance, sera un fil rouge sur deux épisodes. Et il y’a l’affaire Adena Watson, la première sous la responsabilité du nouveau venu Tim Bayliss (Kyle Secor), fraîchement débarqué des services de sécurité du maire de Baltimore. Lorsqu’il répond à l’appel, Bayliss est loin de réaliser à quel point cette affaire va le suivre. Lors de la scène de découverte du corps, le détective Tom Pellegrini le conseille sur le plateau. Il s’agit de son homologue dans la réalité, qui a enquêté le cas LaTonya Wallace qui a inspiré celui d’Adena Watson. Pellegrini a insisté pour être là. Sur le plateau, il ne quittait pas l’actrice qui jouait le corps d’Adena, toujours hanté par l’affaire qu’il n’a pas pu résoudre en 1988.

Réinterprété par Paul Attanasio, l’enquête sur le meurtre d’Adena Watson permet de mettre l’accent sur les red balls , ces cas hautement médiatiques qui ont un retentissement médiatico-politique tel qu’il conduit à en faire l’affaire de tous les détectives, mais qui refont psshitt une fois la pression retombée. Cette enquête nous offre des scènes aussi déchirantes que réelles avec la famille de la victime et l’implication troublée et habitée de Kyle Secor. Mais il nous offre surtout un chef d’œuvre de la télévision des années 90, l’épisode Three Men and Adena (1-06) qui reçut l’Emmy Award du meilleur scénario. Durant tout l’épisode, les détectives Bayliss et Pembleton (Andre Braugher, futur commissaire du Brooklyn 99) interrogent dans le bocal le principal suspect, un vendeur de fruits itinérants qui fut en contact avec la fillette (Moses Gunn). Le temps de la garde à vue est limité, la pression est forte et le suspect difficile. Ce huis clos sous tension voit constamment changer l’équilibre des forces et soutient son suspens jusqu’au bout. L’épisode construit la dynamique entre les Tim Bayliss et Frank Pembleton qui sera une des clés de voute de la série. Dans le pire des contexte, le duo entre le loup solitaire, mais néanmoins brillant Frank Pembleton et son très sage – mais torturé – collègue naît sous nos yeux avec une aisance d’écriture déconcertante.

Trois hommes et Adena

3- Du Jazz et du Blues

Les détectives Bayliss et Pembleton partagent la vedette à hauteur égale avec les autres couples improbables de la série. L’obsession pour le meurtre de Lincoln est un symptôme de la dépression du détective Crocetti (Jon Polito, peu après sa performance dans le Millers’s Crossing des frères Coen), mais elle sert de ciment aux chamailleries avec son coéquipier Lewis (Clark Johnson). Le respect quasi-fraternel qui lie Beau Felton (Daniel Baldwin) et Kay Howard (Melissa Leo) n’est pas exempt d’orages réguliers. Le détective Bolander (Ned Beatty, révélé dans le Délivrance de John Boorman), rigide et réservé, fait une curieuse équipe avec John Munch, progressiste affiché très rock n’roll (Richard Belzer retrouvera John Munch plus tard dans New-York Unité spéciale et en apparition dans de nombreuses séries). Au centre de ces tandems, l’impressionnant Yaphet Kotto (ex-mécano du Alien de Ridley Scott) campe un lieutenant Giardello charismatique et attachant, qui se bat contre une nostalgie rampante, les jeux politiques de sa hiérarchie et son dévouement à son unité.

« Gee » Giardello accueille le rookie Tim Bayliss

Les échanges de chacun donnent le ton de leur vie et rythment les épisodes. Tous talentueux, ces acteurs offrent une palette de jeu remarquable et rendent déjà Homicide imprévisible et passionnant. La série sait s’approprier quelques standards pop pour marquer le temps, mais c’est la musique jazz qui ponctue le plus souvent les épisodes de cette saison. Elle fait écho au montage désordonné et aux répliques qui peuvent paraître sortir de nulle part, mais expriment toujours ce que les personnages peinent à retenir en eux, comme si chacun de ces personnages était la note d’une partition. Le dernier épisode de la saison, le théatral Night of the Dead Living, porte à son paroxysme le jeu des échanges, au cœur d’un commissariat mis sous-pression par une chaleur rampante. Confrontés à l’absurdité de ces crimes, les détectives ont eux-mêmes des vie atypiques et une dévotion professionnelle qui bride leur capacité à mener une vie normale. Night of the Dead Living jongle entre ces vies en reléguant les enquêtes criminelles au second plan. Cette première saison de Homicide regorge de moments plus calmes, a priori anecdotiques, dans une mélancolie contemplative qui colle au ressenti de chacun des détectives. Le blues de ces héros ordinaires est magnifié par les instants silencieux qui concluent souvent les épisodes. Mais un épisode comme Three Men and Adena peut aussi être suivi de moments plus légers, comme cette enquête absurde sur le meurtre du chien policier Jake. L’équilibre se constitue entre moments de le drame et la convivialité. Barry Levinson et son équipe ont suivi le chemin inverse de David Simon. Ils ont donné à des personnages fictionnels une réalité et une épaisseur qui leur a donne vie. Après seulement quelques épisodes, il est déjà difficile de les abandonner à chaque fin d’épisode, et les retrouver est un plaisir toujours plus grand, même au re-visionnage.

Le détective Bolander face à un barman très à l’écoute (le réalisateur John Waters)

Déplacée très rapidement sur la case du mercredi, à 21h qui réunissait chez le rival ABC, les inconditionnels du show à succès de ABC Home Improvement, Homicide :Life On the Streets peine à faire décoller ses audiences, ce qui met déjà en danger son renouvellement.

(A suivre…)

Pour plus d’informations sur Homicide, la bible sur le sujet est Homicide : Life On The Street The Unofficial Companion de David P.Kalat.

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