Réalisation : John Sayles
Scénario : John Sayles
Directeur de la Photographie : Haskell Wexler
Montage : Sonya Polonsky
Musique : Mason Daring
Cheffe Décoratrice : Nora Chavooshian
Directeur Artistique : Dan Bishop
Costumes : Cynthia Flint
Assistants Réalisateurs : Matia Karrell, Benita Allen
Pays : USA
Durée : 2h15
Sortie le 28 août 1987. Inédit en France

Genre : Drame Historique, Western, Social
Note : 9/10
Il n’est guère étonnant que John Sayles ait choisi Matewan pour précéder sa masterclass, clou de la rétrospective de ses films à la Cinémathèque Française, car ce cinquième film est un de ses plus aboutis, et le plus représentatif de ce qu’est sa vision du cinéma. A sa sortie en 1987, il y’avait même consacré un livre making-off Thinking in Pictures, ouvrage à destination des apprentis cinéastes qu’il regrettait de ne pas avoir eu sous la main lorsqu’il débuta. Matewan aurait pu venir bien plus tôt dans la carrière du réalisateur et son inséparable compagne-coproductrice Maggie Renzi, si son sujet n’avait pas été un défi pour les financements. Abandonné au dernier moment par les investisseurs privés qui avaient misé sur le film, Sayles mit le projet entre parenthèses pendant trois ans, le temps de se refaire. Il tourna pendant ce temps le sympathique Brother from another Planet. Au début des années 80 (et encore aujourd’hui), la bataille de Matewan – fusillade ayant éclaté le 19 mai 1920 entre les habitants de la ville minière et un contingent d’hommes de main de la Baldwin Felt Detectives – est un sujet peu abordé dans une Amérique qui refuse d’intégrer les luttes sociales à son Histoire. John Sayles ne put s’appuyer ni sur les témoignages qu’il put recueillir, pour la plupart à charge du syndicat de mineurs et du shériff de la ville, ni sur ceux des personnes liés aux syndicats. Il se basa sur des extraits de journaux intimes de l’époque des habitants de Matewan, seul matériel où « il n’y avait aucune raison de mentir ». Il y ajoute ce qu’il faut de romanesque pour ne pas de trahir les faits historiques, tout en produisant un scénario digne d’intérêt. Conscient qu’il ne pourra jamais rendre justice aux acteurs réels du drame, il les laisse un peu en retrait au profit de ses personnages fictionnels. Le Shériff Sid Hatfield qui a mené la révolte, incarné avec mesure par son compère de la première heure David Strathairn, reste donc un peu dans l’ombre alors que le personnage de Joe Kenehan, catalyseur des luttes syndicales, est mis en avant, permettant à Chris Cooper de livrer une performance mémorable qui scellera des années de collaboration avec le réalisateur.
Envoyé par l’UMWA pour soutenir le syndicat local de Matewan face aux conditions de travail imposés par la Stone Mountain Coal Company, Joe Kenehan débarque dans un climat de grande tension. L’Entreprise qui possède une grande partie de la ville et force les mineurs à acheter dans ses magasins en ne versant les salaires qu’en bons d’achats, est responsable de plusieurs décès liés à des explosions minières. Idéaliste et non-violent, Kenehan parvient à intégrer les travailleurs noirs dans le syndicat local et à les faire s’organiser. Mais son intervention provoque une escalade. La SMCC envoie en ville deux émissaires de la Baldwin Felts Detectives, Hickey et Griggs, qui débarquent en ville avec leur arsenal. Ils s’installent à l’hôtel d’Elma Radnor, sous l’oeil inquiet de son jeune fils Danny, prédicateur local et sympathisant de la cause du syndicat. L’entreprise est bien décidée à faire valoir par la force ses droits sur la ville, mais elle devra composer avec la résistance de Kenehan, du shériff Hatfield qui compte bien faire respecter la foi et des habitants de la bourgade. Mais l’union n’est pas si évidente dans cette réalité du début des années 20 où cohabitent des communautés très différentes et où la force est la seule valeur qui monte…
John Sayles utilise pour la première fois le western pour mettre en lumière les événements de Matewan (il le réutilisera plus tard pour le vibrant Lone Star). Le genre sied à merveille au contexte. Un poil anachronique en 1920, il sert à démontrer que peu de choses ont changé malgré l’apparente installation des temps modernes aux Etats-Unis. Il permet aussi de parler facilement au public, en détournant les codes d’un genre qui a fait l’Amérique. La plupart des américains voit l’Histoire du pays à travers ses films, qui encensent les valeurs des vainqueurs, et la meilleure façon de les toucher est de gratter cette partie subsconsciente. Il leur offrira la rituelle fusillade dans la rue principale, sciemment pervertie par l’irruption du héros non-violent. Il impose des archétypes bien définis du genre. Le duo de brutes incarné par Kevin Tighe et Gordon Clapp (autre habitué des lieux depuis son premier film) est particulièrement savoureux dans son sadisme et l’idéaliste Kenehan est un héros que n’aurait pas renié John Ford. Mais il y introduit sa patte, l’exploration d’une galerie de personnages dans ce qu’ils ont de plus individuel, qui forment cette communauté particulière. Matewan est la somme des échanges et conflits de ces individus, et si le western est son canevas, ces échanges sont son coeur. Le héros est lui-même remis en question face au points de vue omniprésent des habitants de Matewan, et nous voyons très vite que sa position politique est à double tranchant.
Des films comme Liberty Valance, Bonnie & Clyde et la Horde Sauvage ont émancipé le western pour le tourner vers quelque chose de plus brutal et réflexif. le film de John Sayles annonce une autre émancipation, une sorte de révolution intimiste au sein du genre qui irriguera les néo-western à venir. On y trouve aussi un peu de ce que sera le cinéma social de Ken Loach et du cinéma indépendant des années 90. Cet amalgame est entretenu sur toute la durée, sans que le genre et cette authenticité ne soient sacrifiés l’un à l’autre. John Sayles marie son talent de conteur-script doctor pour balader son audience avec les portraits qu’il dépeint et filme avec élégance tout ce petit monde. Chaque scène alimente l’escalade vers le dénouement inévitable dans un scénario presque aussi foisonnant (et presque aussi parfait) que celui du Miller’s Crossing des frères Coen. Mais il a en parallèle ce souffle historique qui coule dans ses veines – c’est un peu il était une fois l’Union aux Etats-Unis – et une volonté de ne pas recourir au happy end injustifié. Il oppose ainsi un contexte réaliste à l’idéaliste (nécessaire) des années 20. Lors de sa masterclass, Sayles a rappelé que dans les années 20, la non-violence n’était pas un moyen politique viable, et que si Martin Luther King Jr. avait vécu à cet époque, on n’aurait probablement pas entendu parler de lui. Ainsi sacrifie t’il son Luther King fictif sur l’autel de l’Histoire et donne t’il à ce film où rien n’est laissé au hasard la conclusion qu’il lui lui fallait. Un film courageux qui sait offrir de vrais moments de cinéma tout en ne trahissant pas sa cause, et tout cela avec classe. Chapeau bas.


Pour voir la masterclass, c’est ici