Showrunner / Créateur : Dan Erickson
Scénario : Dan Erickson, Anna Ouyang Moench, Andrew Colville, Kari Drake, Amanda Overton, Helen Leigh, Chris Black
Réalisation : Ben Stiller, Aoiffe McArdle
Directrice de la Photographie : Jessica Lee Gagné
Montage : Geoffrey Richman
Musique Theordore Shapiro
Chef Décorateur : Jeremy Hindle
Direction Artistique : Angelica Borrerro
Production : Gerry Robert Byrne, John Cameron, Jackie Cohn, Andrew Colville, Dan Erickson, Jill Footlick, Paul Leonardo Jr., Aoiffe McArdle, Katie Pruitt, Ben Stiller, Nicholas Weinstock
Pays : USA
Durée : 9x 40-57 mn
Diffusion sur Apple TV+ à partir du 18 février 2022

Genre : Anticipation, Drame, Thriller paranoiaque
Note : 9/10
Et si vous aviez la possibilité de couper votre cerveau en deux entre travail et vie privée ? Votre « moi » professionnel serait délesté de tout soucis personnel dès que vous franchissez le pas de l’entreprise, et votre « moi » personnel quitterait le travail en ne pensant plus au stress de sa journée, au sens de son activité, à ses collègues. Deux personnes différentes dans un même corps.
Dans un futur proche, Lumon Industries – multinationale fondée et dirigée par le clan Egan – a rendu cette dissociation (severance en anglais) possible. Ses employés l’ont tous acceptée de leur plein gré, pour des raisons qui leur appartiennent. Mark Scout (Adam Scott) a perdu sa femme et la dépression qui le ronge lui rend très difficile l’exercice de son métier d’enseignant et de toute autre profession. Désormais, il nettoie tous les jours avec ses trois collègues une série de mauvais chiffres dont il ignore le sens – sans penser à sa femme. Puis il rentre chez lui avec aucun souvenir de sa journée. Mais le départ mystérieux de son supérieur hiérarchique et ami Petey va bouleverser ce train-train quotidien. Mark est promu à son poste. Mais sa nouvelle stagiaire Helly (Britt Lower) rejette en bloc l’enfermement que son « moi extérieur » lui a imposé. Petey entre dans la vie de l’autre Mark en le mettant en garde contre les pratiques de Lumon. Parallèlement, ses collègues se mettent aussi à se questionner sur les activités et les pratiques du groupe, alors qu’ils s’ouvrent à un autre service. Ce vent de liberté soudain dans le service n’est pas du goût de la directrice Harmony Cobel, femme de fer au faux gant de velours , qui surveille de très près l’évolution de Mark autant au travail qu’à domicile – puisqu’elle est sa voisine de palier.
Dès son premier épisode, Severance porte un grand nombre de résonances, comme le ferait un bon épisode de Black Mirror car ce concept de dissociation existe déjà en germe dans notre esprit. Compartimenter est un sport quotidien pour nos sociétés occidentales et laisser ses problèmes au travail apparaît vite comme une solution à un des plus gros maux modernes : le stress chronique, le burnout. Un repos salvateur autant pour l’esprit que pour le corps. Mais le showrunner Dan Erickson va bien plus loin que son concept original. Il en explore toutes les ramifications, à la fois du point de vue des deux identités des personnages et du management. Severance penche vers le thriller kafkaien à tendance Marxiste (très Orwellien dans l’esprit) à travers ses locaux minimalistes créés pour isoler ses salariés des stimuli extérieurs – comprenant les autres services (« diviser pour mieux régner »). Ces femmes et hommes nouveaux sont les esclaves à la fois de l’entreprise et de leur personnalité extérieure, qui profite de leur salaire et de la liberté qu’ils n’ont pas. Mais ils baignent à plein temps dans une religion d’entreprise et la ‘bienveillance’ de son fondateur, mort depuis longtemps mais dont l’omniprésence renvoie à Big Brother. Ce volet « enfermement » est très bien rendu à travers le point de vue de la nouvelle Helly, en lutte mortelle avec son double extérieur qui la pousse à envisager la pire des solutions pour s’en sortir. Dans ses tentatives de fuite de sa prison qui la ramènent sans cesse à son point de départ, la jeune stagiaire rappelle l’étouffement et la détermination du n°6 de la série Le Prisonnier.
Mais Severance utilise très vite son idée de départ pour basculer dans le thriller paranoïaque tendu. Les tâches répétitives des salariés sont codées pour qu’ils n’en saisissent pas le sens, et le fait qu’il n’y a pour eux aucun monde extérieur empêche tout conflit moral. Une aubaine pour la multinationale, à l’heure des lanceurs d’alerte. La possibilité de chevaux de Troie qui font pénétrer un peu du monde extérieur dans l’entreprise et la découverte progressive de moyens de contourner la dissociation sont au centre de cette première saison. Elles ouvrent peu à peu un nouvel horizon aux quatre protagonistes. Ainsi l’enfermement des premiers épisodes nimbé dans le thème musical angoissant du générique cède peu à peu la place à un vent de liberté – qui trouve son apothéose dans le brillant dernier épisode. Cette première saison est paradoxale, car dans un univers froid et dépouillé, d’une grande richesse thématique, elle parvient à susciter une empathie constante pour ses personnages. Il n’y a que Charlie Kaufman (Adaptation, Anomalisa, Eternal Sunshine of the Spotless Mind) qui parvienne à allier avec autant de brio originalité, questionnements ontologiques, vie quotidienne et émotion brute. La dissociation, procédé d’oubli qui rappelle la lobotomie partielle d’Eternal Sunshine rend encore plus prégnante cette glorieuse parenté. Pourtant Charlie Kaufman n’a rien à voir avec Severance, qui est porté par une poignée de créateurs à suivre et par un Ben Stiller qui soutient le projet au point de s’être alloué la part du lion sur la réalisation des épisodes de cette saison. Adam Scott, Patricia Arquette, Christopher Walken et John Turturro apportent quand à eux leur talent et leur expérience à cette entreprise. Severance est ce qui est arrivé de plus excitant aux séries tévés depuis Mr Robot et Dark, et sa saison 2 sera guettée avec une grande impatience.