Guillermo Del Toro’s Cabinet of Curiosities

Les cabinets de curiosités étaient des pièces où on entreposait pour la science un mélange d’objets, de minéraux, de végétaux et d’animaux empaillés. Ils étaient une sorte d’encyclopédie vivante à une époque où l’accès aux terres lointaines était plus difficile pour les savants. C’est aussi le titre d’un livre sorti en 2013. Guillermo Del Toro nous y guidait dans ses collections et nous faisait partager ses inspirations et les croquis de ses films. Le cabinet de curiosités qu’il nous présente dans ces huit épisodes taillés sur mesure pour une bonne soirée d’Halloween renferme huit objets qui ont tous une histoire horrible. Un objet pour un récit d’horreur dans la tradition des anthologies horrifiques, des Contes de la crypte à Masters of Horror. Pour l’exercice, il s’offre les services de trois réalisatrices et cinq réalisateurs de la génération montante du cinéma d’horreur. Il se réserve, à la façon d’Alfred Hitchcock et du gardien de la crypte, le rôle du maître de cérémonie.

Le premier épisode Lot 36 correspond à une clé qui ouvre un local abandonné renfermant des objets anciens vendu aux enchères. Un homme cynique et raciste marqué par la guerre (Tim Blake Nelson) devient acquéreur de ce lot 36. Lorsqu’il se renseigne sur la valeur de trois livres anciens, il se trouve face à un allemand qui lui apprend qu’ils servent à invoquer un démon. Il promet de lui verser une somme mirobolante s’ils parviennent à retrouver le quatrième livre… C’est un récit très classique qui échoue à Guillermo Navarro, directeur de la photographie de beaucoup de chefs d’oeuvre de Guillermo Del Toro. Ses débuts à la réalisation sont prometteurs car il parvient à très bien installer son atmosphère, à faire monter la tension par petites touches. Tim Blake Nelson assure dans un rôle peu sympathique, héros malgré lui d’une fable sur l’individualisme et la cupidité moderne qui ne pouvait que mal se terminer. Un bon début.

Graveyard Rats ou Les rats du cimetières permet à Vincenzo Natali (Cube, Cypher, de nombreux épisodes d’Hannibal) de retrouver un de ses acteurs fétiche David Hewlett. Ce dernier est Masson, gardien d’un cimetière qui pille les cadavres des morts pour arrondir ses fins de mois. L’homme s’endette auprès de types peu recommandables et il se rend compte que d’autres pilleurs passent désormais avant lui : des rats. Lorsqu’il apprend qu’un homme va être enterré avec un objet d’une valeur inestimable, il voit une occasion en or de sauver sa vie. Mais les rats sont plus rapides. Alors qu’ils s’emparent du cadavre, Masson les suit dans leur antre. C’est le début d’un cauchemar qui va crescendo. Graveyard Rats n’est pas à mettre devant les yeux des claustrophobes. Il est angoissant, dégoûtant, un brin grand guignol et prend par moments des allures Lovecraftiens – comme c’est le cas pour la plupart des histoires de cette anthologie. Le final réserve un beau combat et dégage une certaine ironie. Poisseux et haletant.

Le troisième segment, l’Autopsie nous embarque dans une petite ville minière d’Amérique. Un des mineurs a fait exploser une bombe et tué dix des siens. Le shériff fait appel à son ami le médecin légiste Carl Winters pour donner un sens à cet acte et à une série de mystères entourant le meurtrier. Après un récit détaillé de l’enquête qu’il a menée, le shérif laisse son ami seul avec les cadavres. Ce que Winters vivra dépassera l’entendement de tout ce que les êtres humains ont pu voir. L’Autopsie est une belle surprise, et probablement le meilleur des huit segments. On ne s’attendait pas à quelque chose d’aussi radical de la part de David Prior, et d’autant moins avec David Goyer (scénariste des Batman de Christopher Nolan, mais aussi de Man of Steel, Batman vs Superman…) au scénario. Il faut dire que l’histoire bénéficie des interprétations très convaincantes de F.Murray Abraham (Amadeus, la série Homeland), Glynn Turman (Fargo saison 4, Ma Rainey’s Black Bottom) et d’une narration exemplaire, qui sait immerger le spectateur. Cette histoire à la croisée de la SF et de l’horreur médicale, dont le climax est un combat peu orthodoxe, fera monter la tension dans les foyers jusqu’à sa dernière minute.

Avec The Outside, l’anglaise Ana Lily Amirpour (A girl walks alone at night) nous embarque dans une histoire toute aussi singulière, celle d’une femme passionnée de taxidermie et complexée, qui tombe peu à peu dans l’obsession de la perfection corporelle. Pressée par un mystérieux présentateur dans sa télévision et la pression sociale de ses collègues – des caricatures d’housewives américaines – elle se badigeonne d’une crème dont elle est allergique, dans l’espoir de faire tomber sa peau et de renaître plus belle. C’est du moins ce qui lui est promis. Son mari aimant la regarde sombrer peu à peu dans la folie. Mais est-ce vraiment de la folie ? Il est intéressant de voir le thème très actuel de la quête de la perfection corporelle abordé avec un regard féminin, car cette transformation du corps au nom du consumérisme (botox parties, chirurgie esthétique) est désormais entrée dans les moeurs et l’injonction touche particulièrement les femmes. Le glissement d’une personne sensible et créative vers le vaisseau vide est une horreur en soi. Le talent de Kate Micucci (un visage bien connu des fans de sitcoms US) et Martin Starr (Gylfoyle dans Silicon Valley) ajoute une forme d’attachement à ces personnages. Mais le tournant cronenbergien un peu stérile du récit rend le tout trop ambigu, semblant même au final justifier cette frénésie. Si le final prend le téléspectateur à témoin en nous mettant face à la naissance d’un psychopathe, il échoue doublement sur le créneau de l’horreur et de la fable pour aller plus vers un registre absurde.

Pickman’s Model est la première incursion ouverte à l’univers de HP Lovecraft, un des maîtres à penser de Guillermo Del Toro. L’auteur du mythe de Cthulhu publia la nouvelle Pickman’s Model en 1927 dans le recueil Weird Tales. Le récit se déroule en 1909, dans un de ses lieux emblématiques, l’université de Miskatonic, à Arkham (Massachusetts). William Turber, un étudiant en arts, s’y lie d’amitié avec le nouveau venu Richard Pickman, bien plus vieux que lui, qui semble avoir un talent pour les peintures horribles. Plus il est en contact avec ses oeuvres, plus Will semble perturbé par les sentiments qu’elles lui transmettent, au point qu’il finit par perdre pied. Des années plus tard, Pickman revient dans la vie de Will alors qu’il s’est marié et a eu un fils. Devenu professeur, Will craint l’influence morbide du fou et de ses toiles sur sa famille. Mais ce qui semble venir d’un cerveau dérangé pourrait être bien réel. Déjà adaptée dans l’anthologie Night Gallery de Rod Serling dans les années 1970, la nouvelle de Lovecraft trouve une belle seconde jeunesse grâce à Keith Thomas (The Vigil, le remake de Charlie) qui transcrit particulièrement l’atmosphère délétère, l’altération des sens provoquée par l’art et la décrépitude de l’univers d’un homme raisonnable et naïf confronté à la réalité du mal. Il a l’intelligence de s’allouer la folie de Crispin Glover (Willard, le George McFly de Retour vers le Futur) pour camper un Richard Pickman fiévreux face à un Ben Barnes impeccable en gendre idéal. Pickman’s Model est un peu le négatif de The Outside, comme ici la folie d’un personnage n’est qu’un reflet de la réalité. Une réalité du mal et de l’horreur niée en bloc par le héros, mais tellement contagieuse qu’il devra bien s’y résigner. Une allégorie puissante et entêtante et une belle adaptation de l’horreur lovecraftienne qui supportera sans doute plusieurs visionnages.

Egalement inspiré d’une nouvelle de H.P Lovecraft (publiée en juillet 1933, toujours dans Weird Tales) et se déroulant sensiblement à la même époque, Dreams of the Witch House suit Walter Gillman, créateur d’une société versée dans l’occulte à la suite du trauma qu’il a vécu étant enfant. Il a vu mourrir sa soeur jumelle devant lui et son fantôme s’incarner pour regagner l’au-delà. Depuis, il n’a de cesse de vouloir la retrouver pour la ramener, et n’écoute pas les avertissements de son meilleur ami. Persuadé de tenir une piste, il loue une chambre dans la demeure de la sorcière Keziah Mason qui disparut mystérieusement en 1692 dans la ville de Salem. Walter parvient à rejoindre un entre deux mondes où il retrouve sa soeur. Mais il se trouve être manipulé par la sorcière, qui veut revenir à la vie avec son immonde rat à tête d’humain. Le narrateur de l’histoire n’est nul autre que le rat. Entre les mains de Catherine Hardwicke (Twilight Chapitre I, Le chaperon rouge) , Dreams of the Witch House lorgne sans surprise vers un fantastique très esthétique à tendance romantique. Le lien entre Gillman et sa soeur est le pivot d’un récit un peu lent, qui peine souvent à sortir l’illustration pour s’incarner vraiment. La dernière partie, plus horrifique et frontale, arrive à convaincre, et on éprouve toujours un plaisir coupable à revoir Rupert Grint dans une histoire de sorcellerie.

Le plus faible des huit segments est celui de Panos Cosmatos. L’histoire de the Viewing pourrait tenir sur un coin de table : Un milliardaire collectionneur (Peter « Robocop » Weller, en mode cabotin) invite dans son manoir des gens influents qu’il admire pour assister à la naissance de quelque chose de nouveau. le réalisateur de Mandy nous invite à un trip sensoriel dont il a le secret, entre notes électros et consommation de stupéfiants pour ouvrir la perception. Plus de la moitié de l’épisode raconte la mise en condition de ce public hétéroclite. Cette discussion autour d’une table est censée faire monter le suspens sur l’objet à montrer, mais elle se perd dans la fouille psychologique d’une galerie de personnage très basique. La dernière partie est grand guignol à souhait, mais l’absence d’immersion et d’identification quelconque au public du milliardaire fait qu’on reçoit la révélation sans véritable choc. Reste un certain amusement devant ce spectacle formel un peu vain.

Le dernier segment The Murmuring était bien le plus attendu car il est tiré d’une nouvelle écrite par Guillermo Del Toro lui même et qu’il est réalisée par Jennifer Kent. Avec l’angoissant The Babadook et surtout le poignant The Nightingale, la réalisatrice australienne a su aborder des sujets particulièrement horribles et réels avec une sensibilité unique. Il était donc inévitable qu’elle croise le chemin du réalisateur de l’Echine du Diable. Leurs talents conjugués nous racontent l’enfer intérieur de deux ornitologues, Edgar et Nancy Bradley qui ont vécu le traumatisme de la perte d’un enfant. Passionnés, ils s’isolent dans une vieille demeure pour guetter le comportement des bécasses, oiseaux qui parviennent à entrer dans une telle communion qu’ils créent des figures par leur rassemblement (le Murmuring du titre). Nancy est de plus en plus perturbée par des manifestations surnaturelles qui agglutinent les oiseaux autour d’une pièce de la maison. Le fantôme d’un enfant fait resurgir les sentiments qu’elle a trop longtemps laissés enfouis. The Murmuring n’est pas le meilleur segment de cet anthologie, mais c’est une belle variation sur le thème de la maison hantée et de l’épouvante. Ancré dans le réel et faisant lentement et habilement monter l’angoisse, il ravira les amateurs d’épouvante hispanique (Fragile, l’Orphelinat, Abandonnée…) tout en drainant une sensibilité très anglo-saxonne. En filigrane, la réalisatrice exprime par l’allégorie le sentiment d’un deuil supporté différemment par l’homme et par la femme, mais d’autant plus difficile face aux exigences sociales. The Murmuring renvoie un peu à The Outside dans la perception du tourment d’une femme comme de la folie. Il dit beaucoup des rôles imposés par la société et de la difficulté qu’ils occasionnent pour résoudre un trauma commun au sein d’un couple. Essie Davis (the Babadook) et Andrew Lincoln (The Walking Dead) sont tous deux très attachants dans ce conte noir aussi poétique qu’émouvant.

Showrunner / Créateur : Guillermo del Toro

Scénario : Guillermo del Toro ; Haley Z. Boston, Emily Carroll, Regina Corrado, Panos Cosmatos, David S. Goyer, Jennifer Kent, Lee Patterson, Aaron Stewart-Ahn et Mika Watkins

Réalisation : Guillermo Navarro, Vincenzo Natali, David Prior, Ana Lily Amirpour, Keith Thomas, Catherine Hardwicke, Panos Cosmatos, Jennifer Kent

Directeurs de la Photographie : Colin Hoult, Jeremy Benning, Anastas N. Michos, Michael Ragen

Montage : Ben Wilkinson, Cam McLauchlin, Marc Roussel

Musique : Holly Amber Church (générique), Anne Chmelewsky, Jeff Danna, Tim Davies, Jed Kurzel, Michael Yezerski, Christopher Young

Direction Artistique : Henry Salonen, Colin Woods

Casting : Denise Chamian

Production : Jeff J.J. Authors, J. Miles Dale, Guillermo del Toro, Gary Ungar

Pays : USA

Durée : 8 x 37-58 mn

Diffusée sur Netflix à partir du 25 octobre 2022

Acteurs Principaux : Guillermo Del Toro (I) Tim Blake Nelson, Sebastian Roché (II) David Hewlett (III) F.Murray Abraham, Glynn Turman, Luke Roberts (IV) Kate Micucci, Martin Starr (V) Ben Barnes, Crispin Glover (VI) Rupert Grint, Ismael Cruz Córdova, DJ Qualls (VII) Peter Weller, Eric André, Sofia Boutella, Charline Yi, Steve Agee, Michael Therriault (VIII) Essie Davis, Andrew Lincoln

Genre : Horreur

Notes : (I)8/10, (II)8,5/10, (III)9/10, (IV)7/10, (V)8/10, (VI)7,5/10, (VII)5,5/10, (VIII)8,5/10

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