Le titre du nouveau film d’Ari Aster (Hérédité, Midsommar) retranscrit bien la substance d’un film impossible à résumer. Beau is Afraid EST l’angoisse de son personnage principal, une angoisse dont il a héritée et qu’il a nourri toute sa vie jusqu’à la schyzophrénie. Beau (Joaquin Phoenix, toujours aussi investi) vit seul sans la grande ville, avec le spectre de sa mère et il tente de s’en sortir en allant régulièrement voir un psychiatre bienveillant. Mais chaque moment du quotidien peut se transformer en enfer. Dans les trente premières minutes du film, Ari Aster nous plonge dans son cauchemar ordinaire où tout est exagéré pour que l’on ressente les agressions et le danger permanent avec le ressenti du personnage. Cet univers malsain où tout va contre le personnage lorgne beaucoup vers l’Echelle de Jacob, avec quelques bonnes idées que Roman Polanski n’aurait pas reniés (le voisin bruyant, la perte des clés et le squat de l’appartement). Le scénarise-réalisateur aurait pu articuler son film tout entier autour des manifestations de l’angoisse, car il sait le couper avec un humour noir salvateur. Mais il a d’autres ambitions. L’élément déclencheur du voyage sera un choc qui renvoie à l’introduction de Midsommar – dans son annonce comme dans son impact.
A partir de là, Ari Aster brouille les repères temporels, puis spatiaux et enfin narratifs, non sans se départir de son humour et en ajoutant par moments des touches de poésie. Le parcours est tour à tour étrange, absurde, oppressant, émouvant, et pour le moins inattendu. Les éléments de la vie du personnage se reconstituent pour définir un peu plus les origines de son angoisse, et pour préparer à sa libération (sur du Mariah Carey)…Et bien non, l’auteur ne vient pas du film d’horreur pour rien et le happy end est hors de propos pour ce qu’il raconte. Le final sera un foutoir psychanalytique génial ou bien complètement con selon les avis. Il ne laissera en tout cas pas indifférent. S’il est tout sauf du déjà-vu, Beau is Afraid renvoie fortement à l’emprise qui enveloppait les personnages d’Hérédité. La mère peut être comparable à la grand-mère qui cherchait à contrôler ses petits-enfants de l’au-delà, leur retirant leur libre-arbitre et le contrôle de leur corps. Il en reprend beaucoup de motifs (la cérémonie, l’isolement dans une miniature) pour exprimer cette force inéluctable qui empoisonne une vie. Mais il n’emploie plus les codes du film d’horreur. Si cet OFNI pouvait avoir une forme, ce serait celle du voyage intérieur dans un cerveau malade.
On peut parier que cette audace suicidaire dans le paysage cinématographique actuel ne paiera pas, comme ce fut le cas pour Richard Kelly avec son Southland Tales. Mais on peut aussi espérer que la cohérence interne du film – pour le coup évidente, sa direction artistique maîtrisée et son casting irréprochable (Denis Ménochet passe même faire un coucou dans un rôle perturbant) puissent faire passer son côté labyrinthique et parler à un plus grand nombre. On ne peut que soutenir cette démarche et applaudir une nouvelle fois Ari Aster car il confirme son statut de réalisateur à part, sûrement le plus prometteur de sa génération.
Réalisateur : Ari Aster
Scénario : Ari Aster
Directeur de la Photographie : Pawel Pogorzelski
Montage : Lucian Johnston
Musique : The Haxan Cloak
Cheffe Opératrice : Fiona Crombie
Direction Artistique : David Gaucher, Mario Hébert, Yen-Chao Lin, Véronique Meunier, Gillian Nasser, Jean-Pierre Paquet, Charlotte Rouleau, Stéban Sanfaçon
Décorateurs de plateau : Myriam Belanger, Alain Clouatre, Laurent Déry-Lauzier, Paul Hotte, Ginette Robitaille, Anne-Lore Vinals
Casting : Julie Breton, Jim Carnahan
Production : Elisa Alvarez, Timo Argillander, Ari Aster, Len Blavatnik, Luca Borghese, Tyler Campellone, Jorge Canada Escorihuela, Danny Cohen, Lars Knudsen, Ann Ruark
Pays : USA
Durée : 2h59
Sortie en salles le 26 avril 2023

Acteurs Principaux : Joaquin Phoenix, Patti LuPone, Armen Nahapetian, Zoe Lister-Jones, Amy Ryan, Nathan Lane, Kylie Rogers, Denis Ménochet, Parker Posey, Julia Antonelli, Stephen Henderson, Richard Kind, Hayley Squires, Michael Gandolfini
Genre : Horreur, Drame, Comédie noire, Aventures
Note : 9/10
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