Réalisateur : George C.Wolfe
Scénariste : Ruben Santiago-Hudson, d’après la pièce d’August Wilson
Directeur Photo : Tobias A. Schliessler
Montage : Andrew Mondshein
Bande Originale : Brandford Marsalis
Chef Décorateur : Mark Ricker
Décoratrices : Karen O’Hara, Diana Stoughton
Chef costumier : Ann Roth
Production : Todd Black, Constanza Romero, Denzel Washington, Dany Wolf
Pays : USA
Durée : 1h34
Diffusé sur Netflix à partir du 18 décembre 2020

Acteurs Principaux : Viola Davis, Chadwick Boseman, Glyn Turman, Colman Domingo, Michael Potts, Jeremy Shamos, Jonny Coyne, Taylor Paige, Dusan Brown
Genre : Drame historique, Huis-clos
Note : 8,5/10
Les années 1920 ont vu le blues prendre d’assaut les maisons de disque. C’était le début de la période des « Race Records » qui exploitait les styles de musiques développés par les noirs en Amérique. Des maisons de disques détenues par des blancs avaient eu pour stratégie (payante) d’immortaliser sur disque les plus grandes voix, souvent contre des sommes dérisoires. C’était aussi la période des grandes migrations afro-américaines du Sud vers le Nord, dues autant à la crise des plantations qu’à la promesse de trouver une meilleure vie dans des industries gonflées à bloc par les profits de la Première Guerre Mondiale. Adapté de la pièce du dramaturge August Wilson, Ma Rainey’s black bottom raconte ces deux versants des années 20 en mettant le projecteur sur « Ma » Rainey, une des premières chanteuses de blues à connaître une grande renommée. Surnommé la « mère du blues », elle précéda et inspira les chanteuses de la génération de Bessie Smith. En 1927, elle est au top de sa carrière, bénéficiant d’un contrat depuis quelques années avec la maison de disque Paramount Records à Chicago. Le film de George C. Wolf raconte la session d’enregistrement très tendue d’un de ses disques. Autour de cette figure qui est le centre de gravité de tout un système, il y’a un band composé de cinq musiciens, un manager sous pression, le directeur de la maison de disque, une protégée et le neveu de la chanteuse. Tous ces personnages interagissent et se livrent dans le climat de tension sociale de l’époque, au coeur d’un semi-huis clos (l’essentiel de l’intrigue se déroule dans le studio et ses extérieurs). George C. Wolf a visiblement un beau matériel, et il en fait un très bon film qui parvient à brasser un contexte très riche de façon intelligente et immersive, et à faire exister tous les personnages. Reproduisant l’atmosphère et du Chicago de 1927, le film possède juste la bonne durée et un rythme qui ne baisse pas. Il réserve aussi plusieurs progressions dramatiques à la hauteur dans ce qui est, à la base, un huis-clos intimiste et banal. L’origine théâtrale du scénario est très prégnante. Dans cet espace limité, les personnages se livrent, souvent soutenus par des plans fixes sur leur visage lorsqu’ils racontent leur histoire. Le choix de ne montrer que sporadiquement les réactions souligne avec bonheur l’apport d’un casting exceptionnel.
En tête de file, Viola Davis rend justice au personnage haut en couleur qu’était « Ma » Rainey, faisant ressortir ses côtés provoquant et frondeur ainsi qu’un charisme redoutable. La chanteuse n’incarnait pas un blues triste, mais un blues résistant et fort. Elle comprend que son manager Irvin (joué par le très expressif Jeremy Shamos) et la maison de disque cherchent avant tout à posséder sa voix, mais aussi que c’est eux qui construisent l’Histoire. Tant que le disque n’est pas enregistré et que rien n’est signé, elle détient quelques miettes de pouvoir grâce à sa voix. Un pouvoir qui, malgré sa renommée, reste limité, mais qu’elle entend exercer pleinement le temps de cette session. Mais parmi ses musiciens, il y’a une forte tête. Le jeune trompettiste Levee est de cette nouvelle génération persuadée que la grande migration lui apportera une revanche sur les blancs qui ont tragiquement marqué son enfance. Il a le talent, mais aussi une arrogance déplacée, tentant tout pour voler la vedette à sa chanteuse. Compte tenu du contexte, Levee est un personnage tragique qui est loin de se douter que ces certitudes le conduisent à un mur. C’est aussi le dernier rôle de Chadwick Boseman, l’acteur étant décédé au mois d’août dernier. Il mérite de passer à la postérité pour ce rôle puissant, à des coudées au dessus de Black Panther. Pourquoi pas un Oscar à titre posthume? Autour de ces opposés gravitent le toujours génial Glyn Turman (qui a illuminé une partie de la saison 4 de Fargo) et les très bon Colman Domingo et Michael Potts.
Mais le film parle avant tout de blues, et à quel point cette musique a permis à la communauté noire de transmettre son Histoire dans un monde qui ne lui donnait pas encore la parole, au point parfois de créer des frustrations les montant les uns contre les autres. Ce fut une de ses plus grandes victoires, et ce qui a permis à beaucoup de tenir en restant digne. C’est donc aussi un merveilleux film sur le pouvoir de la musique. En complément, jeter un coup d’oeil sur le making of « a legacy brought to screen », également sur Netflix, est vivement conseillé.