Réalisation : John Sayles
Scénario : John Sayles
Directeur de la photographie : Slawomir Idziak
Montage : John Sayles
Musique : Mason Daring
Chef Décorateur : Felipe Fernandez Del Paso
Direction Artistique : Salvador Parra
Production : Maggie Renzi, Jody Allen, Jim De Nardo, Peter Gilbert, Lou Gonda, R.Paul Miller, Bertha Navarro, Eric Robison, Doug Sayles, John Sloss
Pays : USA, Mexique
Durée : 2h08
Sorti en salles en France le 25 octobre 2000. Aux Etats-Unis le 27 mars 1998

Acteurs Principaux : Frederico Luppi, Damian Delgado, Dan Rivera Gonzalez, Tania Cruz, Damian Alcazar, Mandy Patinkin, Kathryn Grody, Maggie Renzi
Genre : Drame
Note : 9/10
Après le frontalier et poignant Lone Star, John Sayles se décide à passer pour de bon de l’autre côté. Men with Guns est entièrement tourné au Mexique, bien qu’il ne s’y situe pas narrativement, du moins pas particulièrement. Le réalisateur/scénariste/monteur a tenu à ne pas mentionner de lieu pour ne pas biaiser la portée universelle de son histoire. Le récit d’un médecin, le Docteur Fuentes et de ses compagnons de voyage. L’homme a consacré sa vie à la science, et il considère comme son plus grand accomplissement les connaissances qu’il a enseignées à un groupe de sept médecins, dans le cadre d’un programme pour apporter l’aide médicale aux populations pauvres des tribus locales. Lorsqu’il apprend que ses étudiants pourraient être morts, il décide de vérifier par lui-même. Il découvre bientôt que ces territoires reculées sont terrorisés par l’armée locale, qui n’hésite pas à tuer les personnes les plus instruites pour conserver son pouvoir face aux guérilleros, qui n’ont pas plus de scrupule à utiliser les armes. Fuentes s’engage dans un chemin périlleux à mesure qu’il suit la trace des cadavres de ses « héritiers ». Il trouvera sur sa route des victimes collatérales de cette guerre, anciens bourreaux et personnes brisées, qui l’accompagneront dans son voyage.
Un esprit tordu pourrait assimiler Men with Guns à un conte. Ce ne serait pas entièrement faux. Outre le fait que John Sayles n’a plus à prouver ses talents de conteur, il y’a bien une narratrice-omnisciente qui relate cette histoire. Le film a aussi beaucoup d’éléments qu’on pourrait assimiler au Magicien d’Oz. Notre Dorothy, ce médecin professeur idéaliste sur le point de perdre sa naïveté n’est pas né totalement de l’imagination de Sayles. Il s’est inspiré du récit de son ami, le romancier Francisco Goldman. Ce dernier avait un oncle médecin au Guatemala impliqué dans un programme d’aide médicale. Quelques années plus tard, il découvrit que la plupart de ses étudiants partis apporter leur aide dans les zones rurales avaient été tués par le gouvernement qui finançait ce programme. Frederico Luppi, alors entre deux chefs d’oeuvre de Guillermo Del Toro – un autre conteur réaliste- (Cronos et l’Echine du Diable), incarne cet homme avec une grande dignité. John Sayles a ajouté à ce récit poignant cette route morbide sur laquelle les cadavres remplacent les briques jaunes, et accentuent les désillusions du vieillard. Comme notre fermière du Kansas, il y’a pourtant des compagnons pour le rejoindre sur sa route, tous tentant à leur façon d’échapper aux armes : un soldat déserteur blessé qui cherche à survivre, un gamin qui n’a que sa connaissance des lieux à offrir, une jeune femme muette que les horreurs vécues ont rendue suicidaire et un prêtre repenti. Ils croiseront aussi sur leur chemin un couple de touristes en goguette (Mandy Patinkin, qu’on ne présente plus aux amateurs de séries, et Kathryn Grody), éléments humoristiques malgré eux. La destination des voyageurs n’est pas connue d’avance, mais ils finissent par entendre parler d’un village dans les collines, à l’abri de toute cette violence, qu’une des étudiantes de Fuentes pourrait avoir rejoint. Une sorte d’Eden semblable à la Cité d’Emeraude – une chance pour le vieil homme de sauver son héritage, et pour ses compagnons une promesse de tranquillité.
La comparaison s’arrête là, car John Sayles n’a rien d’autre à offrir qu’un conte cruel, sans retour au Kansas et pétri de désillusions. La seule lueur qui accompagnera ce voyage étant la capacité du Docteur à rassembler autour de lui, peut-être le seul héritage qu’il aura pu léguer. Men with Guns est probablement le film le plus désenchanté et le plus violent de John Sayles, mais il porte en lui la force du témoignage et une vraisemblance étonnante pour une fiction. L’universalité de son histoire, à travers le temps et l’espace, est telle qu’elle hantera John Sayles encore longtemps, et qu’on en trouve des survivances une décennie plus tard dans Amigo. Les deux films partagent un tournage en langue étrangère (Cinq langues, plus l’anglais ont été utilisés dans Men with Guns), une population rurale coincée entre une armée et des rebelles et l’acteur Damian Alcazar, qui incarne dans les deux films un rôle de prêtre déchu. Il est aussi difficile pour le spectateur de ne pas être hanté par Men With Guns. Au milieu de ses horreurs, le film transporte un humanisme tellement rare, et il porte ses personnages tellement loin. Il nous rappelle aussi avec acuité que le véritable ennemi des médecins n’est pas la maladie, mais l’ignorance, un mal d’autant plus invincible que ses combattants sont puissamment armés. Deux décennies plus tard, la bataille est plus que jamais, loin d’être gagnée.