Nous sommes en 1634. Prêtre catholique de l’église de Sainte Croix de Loudin, Urbain Grandier règne en chef sur la ville de Loudin, dont les fortifications ont permises de faire coexister catholiques et protestants. Le Cardinal de Richelieu mène une croisade personnelle contre le prêtre, qui est aussi dans les petits papiers de Louis XIII, et il saisit une occasion en or : La Soeur Jeanne des Anges, dirigeante du couvent des Ursulines, a avoué que Grandier l’a faite posséder, ainsi que les autres nonnes de son couvent, par des démons. Mais il n’y a jamais eu de possessions. Obsédée sexuellement par le prêtre, elle n’a pas supporté qu’il refuse de devenir le prêtre confesseur de son ordre. Il n’en faut pas plus pour salir un prêtre qui est déjà renommé pour ses tendances libidineuses et entaché par son mariage récent. Démarre alors une mise en scène menée par le Père Barré, célèbre exorciste, qui transforme Loudin en cirque de débauche, de violence et d’hystérie collective.
Les Diables de Loudun d’Aldous Huxley décrivaient avec une précision d’historien ce faits divers invraisemblable, mais bien réel. Précédé de la réputation sulfureuse du viril Women In Love et du puissant The Music Lovers, Ken Russell en a fait un film qui n’aurait pu se monter à aucune autre époque. Du moins pas avec un tel budget et dans une telle liberté. Par on ne sait quel grâce et la conjonction hasardeuse d’une somme de talents non négligeable (Ken Russell, son alter ego Oliver Reed, Vanessa Redgrave, le directeur artistique Derek Jarman, le compositeur Maxwell Davies…), The Devils a pu être conçu, réalisé et monté au début des années 70. Mais la bonne fée de Ken Russell s’est vite faite la malle. Les Diables eut fort à faire avec la censure bien avant sa sortie. Aujourd’hui il est considéré par beaucoup de grands réalisateurs (Guillermo Del Toro, Joe Dante, Terry Gilliam…rien que ça!) comme un pamphlet politique d’une efficacité inégalée sur le fond comme sur la forme, et une source d’inspiration. Il fut en son temps mutilé, remonté et condamné par la critique qui le voyait comme la cime du mauvais goût grotesque et blasphématoire. Encore aujourd’hui, Warner Bros bloque la sortie de son director’s cut, ne laissant au spectateur qu’un double DVD précieux, mais tronqué (juste le montage sorti en salles) du British Film Institute. Un double DVD sur lequel on se précipitera la bave aux lèvres à la lecture de l’ouvrage chroniqué ici, qui fait véritablement revivre toute une époque. Et on ne sera pas déçu(e)s, car même dans cette version qui élude des moments clés décrits dans l’ouvrage, The Devils est un film dont on sort véritablement vidé.
Les diables, les Coulisses d’un film maudit, sorti chez l’éditeur Aardvark est la traduction française du livre Raising Hell du canadien Richard Crouse sorti en 2012. Il conte le tournage peu banal de cet objet filmique jusqu’au-boutiste, son passage par les ciseaux de la censure anglaise puis américaine, son accueil public et sa destinée de graal de poignées de cinéphiles. Le récit chronologique – immersif – est agrémenté de portraits des créateurs, de témoignages des réalisateurs que Ken Russell à inspirés et de personnes ayant participé au tournage. A une interview passionnée de Guillermo del Toro (pléonasme) déjà présente dans la version anglaise, l’éditeur a eu la bonne idée de juxtaposer la réception que les critiques françaises ont fait de l’objet. Il ressort de sa lecture une ironie certaine, que le lecteur pourra apprécier même sans avoir vu le film, car les scènes décrites auront déjà imprimé son imaginaire.
Voilà un ouvrage qu’on ne saurait trop conseiller à quiconque est attiré par les films qui ont laissé une trace singulière dans l’Histoire du cinéma.

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