Réalisation : Rodrigo Sorogoyen
Scénario : Isabel Peña & Rodrigo Sorogoyen
Directeur de la Photographie : Alejandro De Pablo
Montage : Alberto del Campo
Musique : Olivier Arson
Chef Décorateur : Jose Tirado
Direction Artistique : Jose Tirado
Assistants réalisateurs : Curro González Cebrián, Eduardo Huete
Casting : Paula Cámara, Arantza Vélez
Production : Ibon Cormenzana, Ángel Durández, Ignasi Estapé, Anne-Laure Labadie, Nacho Lavilla, Thomas Pibarot, Rodrigo Sorogoyen, Sandra Tapia, Jérôme Vidal, Eduardo Villanueva
Pays : Espagne, France
Durée : 2h17
Sortie en salles le 20 juillet 2022

Acteurs Principaux : Denis Ménochet, Mrina Fois, Luis Zahera, Diego Anido, Marie Colomb
Genre : Thriller, Drame
Note : 8/10
Antoine et Olga ont quitté la ville pour s’installer dans un petit village de Gallice, au nord ouest de l’Espagne. Ils y reconstruisent des maisons pour donner une nouvelle vie au village, qui tombe peu à peu à l’abandon. L’opposition d’Antoine à un projet de construction d’un parc d’éoliennes lui vaut l’animosité du vindicatif Zan et de son frère Lorenzo, qui ont toujours vécu dans le village et voient d’un mauvais oeil que des français ruinent leurs projets. Alors que les manoeuvres d’intimidation se multiplient, Antoine décide de ne pas plier. Mais il ne se rend pas compte qu’en ces terres, l’état sauvage est bien plus présent que les lois de la ville. L’étau se resserre progressivement autour de lui.
Rodrigo Sorogoyen et sa co-scénariste Isabel Peña (qui l’accompagne depuis Que Dios Nos Perdone) maintiennent la route dans le sans faute avec ce sixième film du réalisateur espagnol dernier venue d’une série de films remarquables autant dans leurs qualités d’écriture que dans la tension qu’il distillent. Vendu comme une variation des Chiens de Paille de Sam Peckinpah, As Bestas emprunte son point de départ au chef d’oeuvre de Peckinpah – un conflit entre des citadins éduqués et des ruraux violents – mais Sorogoyen et Peña le tournent à leur manière, dans une tension plus « rentrée », moins ouvertement violente et sans le climax « Peckinpahien » qu’on pourrait attendre. As Bestas cherche à déstabiliser les repères, à angoisser plus qu’à faire monter l’adrénaline. Il construit ses deux actes sur la tension nourrie entre un personnage et son environnement, autour de scènes pivot qui se prolongent, souvent soutenus par des plans séquences sans illustration musicale, où un noeud important du film se joue. Particulièrement efficace sur El Reino (et sur le premier épisode de leur série Antidisturbios), ce procédé d’étouffement montre sa maturité dans la première partie autour d’Antoine. Denis Ménochet fait ressortir la colère du personnage sans jamais la faire exploser. Un registre opposé à celui qu’il employait sur le Peter Von Kant de François Ozon, mais qu’il tient avec le talent qu’on lui connaît. Luis Zahera impose un personnage aggressif, caractériel, mais suffisamment développé pour ne pas faire tomber le film dans une confrontation purement manicchéenne. En bon réalisateur de polar, Sorogoyen n’oublie jamais de rappeler le contexte social pour mettre en perspective son affrontement. Le choix des armes des deux opposants (la caméra contre la violence) est intéressant, révélant deux réponses opposées à ce qui est considéré comme une aggression personnelle – sans aucun point de communication viable. Sorogoyen montre à quel point la première arme est incertaine dans un lieu que la « civilisation » a fini par oublier.
La deuxième partie de As Bestas surprend plus, bien qu’elle soit dans la lignée directe de Madre, le dernier film du duo. On y retrouve la même ellipse et une quête vers la renaissance au sein même du territoire qui a vu naître le traumatisme. Les échanges sont plus vifs et aboutissent à une sorte de catharsis pour les victimes collatérales du drame. Marina Fois y trouve un rôle majeur, construit par touches, dévoilé dans ses blessures comme dans ses forces naissantes. D’abord en retrait, elle entreprend un parcours de libération pour reprendre le contrôle sur son environnement. La confrontation est douloureuse, mais elle est inévitable. Avec As Bestas, Sorogoyen et Peña parviennent à un bel équilibre entre le thriller et le parcours initiatique, chaque partie se répondant à elle-même. Sa réalisation parvient à rendre le paradoxe de la Gallice qui a séduit ces expatriés, à la fois hostile et superbe, enfermante et attirante. Dans un paysage cinématographique où la dominante est la récupération, c’est un grand plaisir de voir apparaître de temps en temps, une façon de voir unique, et c’est encore plus plaisant lorsque ce talent est confirmé en direct. Rodrigo Sorogoyen trace sa route pour être un nom dans le cinéma des années 2020.