C’était Demain – Time After Time

Réalisation : Nicholas Meyer

Scénario : Nicholas Meyer, Steve Hayes, Karl Alexander

Directeur de la Photographie : Paul Lohmann

Montage : Donn Cambern

Musique : Miklòs Rosza

Assistant Réalisateur : Michael Daves

Chef Décorateur : Edward C. Carfagno

Casting : Dianne Crittenden

Production : Herb Jaffe, Steven-Charles Jaffe

Pays : USA

Durée : 1h52

Sortie française le 23 janvier 1980

Acteurs Principaux : Malcolm MacDowell, David Warner, Mary Steenburgen, Charles Cioffi, Kent Williams, Leo Lewis, Byron Webster

Genre : Fantastique, Comédie, Polar

Note : 9/10

Londres, 1893. Quartier de Whitechapel. Le décor est posé avec un homme mystérieux hors champ qui offre une pièce d’or à une prostituée. On sait déjà que son sort sera réglé à la fin de la scène car la légende de Jack l’Eventreur hante encore notre siècle.

Après avoir perpétré son méfait, Jack disparaît dans le brouillard en long manteau et haut de forme. Presque une image d’Epinal. Non loin de là, Herbert George Wells, sommité de la littérature, discute à une table avec une poignée de notables lorsque le Docteur Stevenson s’invite à la fête. Ce soir là, Wells a décidé de faire la démonstration de sa machine à explorer le temps. Poursuivi par la police, Stevenson, qui n’est autre que Jack l’Éventreur, utilise la machine pour s’enfuir en 1979, à San Francisco. Terrassé d’avoir lâché la bête dans le siècle à venir, Wells décide de l’y rejoindre pour l’arrêter.

Assister à l’affrontement de deux illustres personnages de l’Angleterre victorienne, l’un réel et visionnaire, l’autre insaisissable et objet de tous les fantasmes, est déjà un postulat de départ diablement excitant. C’était Demain arrive à aller au-delà des attentes et de façon très singulière, prenant les libertés qu’il faut prendre, mais jamais gratuitement, et toujours dans le respect de son sujet. C’était Demain prend ouvertement des libertés avec l’Histoire pour mieux rapprocher les deux personnages (les meurtres de Whitechapel ont été commis en 1888 / Wells a écrit La Machine A Explorer Le Temps en 1895, s’inspirant de nouvelles plus anciennes de sa propre invention). Elles seront vite éclipsées par la justesse de la description des personnalités des deux hommes. Le scénariste/réalisateur Nicholas Meyer n’exploite pas l’idée du voyage dans le temps comme inspirateur des visions de Wells dans ses futurs succès littéraires, bien qu’il suggère nettement cette idée de par la nature du voyage et sa rencontre avec la jeune Amy, prénom de la deuxième femme du vraie H. G. Wells. Il évite enfin de manière plus logique tout jeu de piste ludique à base de paradoxes temporels (la mode n’a explosé que dans les années 80, avec Terminator, puis Retour vers le Futur). Nicholas Meyer n’utilise pas le voyage dans le temps comme une fin mais comme un moyen d’exposer le point de vue de deux précurseurs sur l’époque qu’ils ont plus ou moins engendrée.

Le scénariste/réalisateur Nicholas Meyer sur le tournage d’un petit chef d’oeuvre

Le premier affrontement entre Wells et Stevenson en 1893 présente les points de vue des deux hommes comme un pari caché sur l’avenir. Wells a construit sa machine car il pense que le monde futur verra une société sans guerre dans laquelle régnera une parfaite égalité entre les hommes. Militant de nombreux mouvements naissants et fervent socialiste, Wells se décrit comme un homme en avance sur son temps, ce qui lui permet de tout espérer du futur, voire de craindre de ne pas vivre assez longtemps pour le connaître. Réaliste cynique, Stevenson lui rétorque qu’on peut déduire du passé que l’homme n’évoluera pas. Lorsqu’il s’apercevra que Stevenson a utilisé sa machine, Wells se rendra dans le futur pour réparer son erreur : « J’ai envoyé ce démon criminel au cœur du monde de demain !« , au cœur même de cette utopie qu’il tient comme un remède à son mal être.

Le voyage dans le temps qui nous est proposé est fidèle au roman La Machine A Explorer Le Temps, une façon de rendre hommage au personnage inspirateur mais aussi de voir défiler un 20ème siècle qu’on connaît bien. Ainsi lorsqu’il voyage dans sa machine, en lieu et place de sensations et de lieux mouvants, Wells assiste à des morceaux d’histoire diffusés sous forme radiophonique avec tous les assassinats, drames historiques, guerres et attentats du siècle dernier. En guise de passage du temps, il découvre ainsi tout ce qui a fait l’Histoire en ces cent ans passés, se trouvant déjà contredit dans son utopie : le monde du futur pourrait être facilement réduit à des exactions et de la brutalité.

L’arrivée dans le nouveau siècle le place dans des situations difficiles où il peut constater a posteriori qu’il y a eu une deuxième guerre mondiale (et même plus !), que la parole d’un gentilhomme ne compte plus, que la politesse est vieux-jeu ou que même les églises n’offrent plus l’hospitalité aux sans domiciles. Wells finit par retrouver Jack grâce à l’aide d’Amy, une charmante agent de change à l’ambassade d’Angleterre. Dans la chambre d’hôtel de Stevenson a lieu la deuxième confrontation deux hommes. Stevenson démontre à Wells qu’il était le seul et unique visionnaire, et que le scientifique n’était qu’un utopiste. Son argument décisif ? Un échantillon des chaînes de télévision de 1978 : « Vous n’êtes pas allé vers le futur Herbert, mais vers la préhistoire… Il y a quatre-vingt dix ans j’étais un monstre, aujourd’hui je suis un amateur« .

Cette adaptation de l’Eventreur à la fin du XXème se constate d’ors et déjà par l’image car il a adopté le look vestimentaire (encore plus has been maintenant, soit dit en passant) et l’arrogance (excellent choix de David Warner) de l’époque alors que Wells s’accroche à ses idées et à son look de gentilhomme de l’époque victorienne. Jack l’Eventreur apparaît ainsi comme un monstre de son temps qui serait né trop tôt (« Je suis celui par lequel le 20ème siècle est arrivé« , ces mots attribués à l’Eventreur ont été par la suite la pierre angulaire du roman graphique From Hell d’Alan Moore). Dès lors, le docteur Stevenson véritable caméléon en 1979 n’aura qu’un seul obstacle, Herbert George Wells, détenteur de la clé de la machine, mais anachronisme ambulant.

C’était Demain est bien un film de son temps (les années 70) qui démarre l’autopsie d’un siècle au sein duquel l’espoir d’une évolution positive de l’homme s’est effondrée, ce même siècle qui s’est conclu par la chute des idéologies et que certains ont décrété comme étant celui de la fin de l’Histoire. Le vernis du début des années 60 explosé par une décennie de dénonciations, de soulèvements populaires et cinématographiques, et aussi de faux espoirs de renversement du système, ont conduit en cette veille des années 80 à un état de fait pessimiste et qui tend de plus en plus vers un cynisme teinté d’hédonisme, comme s’il n’y avait plus de lendemain possible pour l’utopie (le titre français du film est en ce sens bien trouvé). Ce cynisme chic qui assiéra l’époque Reaganienne, Nicholas Meyer le rejette en bloc en se plaçant majoritairement du point de vue faussement naïf de H. G. Wells. Ce point de vue aide à faire d’un film au ton pessimiste une fable divertissante, tantôt touchante et tantôt délirante, et d’une inventivité sans égale dans son écriture.

L’arrivée de Wells à la fin du 20ème siècle se déroule dans un musée dans lequel une exposition lui est dédiée. Cette scène burlesque souligne à la fois l’incrédulité des gens venus voir une célébrité qu’ils ne reconnaissent même pas et son statut de relique dont la place n’est pas dans le monde extérieur. Il annonce le choc des cultures. La variation inévitable à tout récit de voyage dans le temps sur « l’homme du passé en dehors de ces baskets » évite habilement tous les écueils grossiers. Herbert George Wells a une longueur de retard, mais il est loin d’être un idiot. Il dispose d’assez de connaissances pour pouvoir envisager de façon abstraite le fonctionnement des machines de l’époque. Lui qui fut en son temps un scientifique, un pionnier du féminisme et de l’amour libre connaît instinctivement les germes des grandes évolutions qui étaient à venir. Ainsi essaie t’il toujours de s’adapter plus ou moins maladroitement, de contrôler la situation à sa façon, ce qui le place dans une situation de gentil décalage par rapport aux connaissances du spectateur. Il se fait passer pour Sherlock Holmes vis-à-vis des flics, ne se doutant pas de la célébrité du détective de Conan Doyle, il pense que McDonald est un restaurant écossais, il prend peur dans une salle de cinéma… Mais à aucun moment il n’est tourné en ridicule.

L’histoire ayant temporairement réglé le compte de Stevenson, elle peut maintenant se pencher sur le couple d’Herbert et d’Amy (Mary Steenburgen, qui deviendra plus tard la fiancée temporelle de Doc Brown dans Retour Vers Le Futur 3). La rencontre avec une femme entreprenante et active, met en évidence les progressions féministes acquises depuis l’époque de Wells, surlignant au passage l’évolution la plus identifiable des années 70. Lorsque l’écrivain demandera à Amy de le suivre et de laisser tomber son métier, elle lui rétorquera « Mon métier c’est ma vie, comme n’importe quel homme« . Elle révèle aussi le coté gauche d’un Wells qui peut se vanter de son progressisme sur des choses qui passent alors pour dépassées. Le génial Malcolm MacDowell rend encore dans ses échanges une dimension comique attachante sans jamais plonger son personnage dans le ridicule, affichant constamment un « air de petit garçon perdu« , jouant parfaitement le type étonné par le toupet et l’assurance d’Amy. Il représente parfaitement l’homme sincère par opposition au calcul très contemporain de Stevenson, ce qui lui confère le charme suffisant pour séduire la jeune femme, peu revêche à faire le premier pas mais lassée des hommes de son époque du fait d’un mariage raté.

La deuxième partie du film, axée sur la comédie romantique, est délicieuse. Elle joue habilement sur l’opposition de l’homme et de la femme, sachant que cette dernière ne sait absolument rien de l’histoire de Wells (en plus elle lit peu) qu’elle considère comme un doux-dingue. Parallèlement à leur histoire, la menace du retour de Jack L’Eventreur plane sur San Francisco et distille les indices qui vont mener à la troisième partie du film. L’occasion est belle pour nous plonger dans la quête de Jack l’Eventreur dans les quartiers les plus glauques, en montage alterné avec la concrétisation bonne enfant de la relation Wells / Amy. Une seule ville, deux genres radicalement opposés : le thriller noir et la comédie romantique. L’univers de Jack reprend du terrain sur celui de Wells.

Jack l’Eventreur est devenu la nouvelle terreur de San Francisco, reproduisant à sa guise ses mauvaises habitudes de 1893 avec les mêmes rituels annonciateurs des massacres. Il finit par comprendre qu’Amy est proche de son compère. Herbert se voit alors contraint de dire la vérité à Amy. Celle-ci est incrédule, comme le seraient la plupart de ses contemporains (ce qui n’est pas l’attitude des notables de 1893, déjà moins rationnels). Il l’emmène quelques jours en avant dans le futur. Elle a la surprise de voir qu’Herbert lui a dit la vérité mais qu’elle va mourir dans quelques jours, tuée par Jack l’Eventreur. Le film se transforme alors en une course contre la montre, laissant à Wells et Amy une longueur d’avance sur le tueur afin de pouvoir le coincer avant qu’il ne commette d’autres exactions. Nicholas Meyer construit un suspens sur cette échéance pour mieux la déjouer au final par un élément de scénario habile et bien amené (il rappelle une confusion qu’aurait également faite Jack l’Eventreur concernant la prostituée Mary Kelly). Le détective improvisé (agissant encore et toujours sous le nom de Sherlock Holmes) et le tueur sont encore une fois opposés, comme Herbert se pose en défenseur de la non-violence, « Le premier qui lève le poing démontre son manque d’imagination« , affirmation non gratuite puisque relayée par le moyen… élémentaire qu’il trouvera in fine pour éliminer sa nemesis sur ses lieux de prédilection : la machine et le musée.

Traversé d’idées brillantes qui rendent parfaitement justice à son postulat de départ, C’était Demain réussit par un scénario très bien huilé à éviter les deus ex machina, le maillon de la résolution de l’intrigue étant connu du spectateur, puis discrètement rappelé au cours du récit. Il immerge également le spectateur, évacuant très tôt via une belle explication scientifique toute réticence et incrédulité face à l’élément fantastique du récit. Comme ses héros, C’était Demain a un coté hors du temps et prophétique qui confère à ce grand prix d’Avoriaz de 1980 une aura quasiment intacte encore quarante deux après sa sortie. Il propose un état des lieux du 20ème siècle bien avant la date, un constat vérifié en cette année 2022. La fin d’un espoir en une meilleure humanité, la victoire du réalisme sur l’idéalisme. Pourtant, il porte en lui quelque chose de lumineux qui nous révèle que le H.G Wells en nous est encore là, toujours prêt à lutter contre cette fatalité.

« Tous les siècles se ressemblent, il n’y’a que l’amour qui puisse les rendre supportables ».

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :