Réalisation : Jordan Peele
Scénario : Jordan Peele
Directeur de la Photographie : Hoyte Van Hoytema
Montage : Nicholas Monsour
Musique : Michael Abels
Cheffe Décoratrice : Ruth De Jong
Direction Artistique : Samantha Englender
Production : Ian Cooper, Karen Ruth Getchell, Robert Graf, Daniel F. Larson, Jordan Peele, Win Rosenfeld, David Torres
Pays : USA
Durée : 2h10
Sortie en salles le 10 août 2022

Genre : Science Fiction
Note : 8/10
Rares sont les occasions de s’exclamer « Quelle bonne surprise ! » à la sortie d’une séance. Il y’a bien sûr les premiers films dont on attendait rien et qui nous prennent à revers, mais au terme de quelques longs métrages, on sait généralement à quoi s’attendre quand on va voir le film de tel réalisateur ou telle réalisatrice. Nope est une bonne surprise comme on en voit peu. Son réalisateur Jordan Peele est l’un des plus surcotés de ces dernières années. L’onction critique est venue de Get Out, un film d’horreur honnête qui repose sur une idée intelligente (le racisme y’est abordé sous l’angle de la fascination, et non de la peur), mais dont la seule originalité est une touche d’absurde. Get Out ne méritait pas l’Oscar du meilleur scénario original plus que d’autres films d’horreur (généralement boudés de ce genre de récompenses). Son film suivant, Us, était aussi basé sur une bonne idée, elle aussi peu exploitée. Une poignée de scènes dérangeantes surnageaient sans véritable structure, noyées par un discours sur-signifié qui rendait le film très lourd, répétitif, un peu artificiel. Puis Jordan Peele se mis en tête de remaker la série La Quatrième Dimension. Il transforma une série à la structure dépouillée (une intrigue claire, un twist) en une anthologie du toujours plus : Tape à l’oeil, écrite essentiellement pour mettre en avant des discours stéréotypés (la série originale suscitait plutôt le questionnement) et mutipliant les artifices pour combler des scénarios creux. C’est donc avec étonnement que l’on reçoit Nope, un film au séquençage clair et pensé, qui possède une unité, un souffle et des personnages qui sont tout sauf des véhicules pour faire passer un message. Bref, un film qui se vit plus qu’il ne pense.
Nope peut se décrire comme une variation animalière de la visite extra-terrestre. Otis Haywood Sr. , éleveur de chevaux destinés à faire des cascades dans les films, est victime de la chute d’une pièce de cinq cents tombée du ciel sans crier gare. La pièce a été rejetée par une mystérieuse entité dans les nuages. Ses enfants Otis Jr. et Emerald sont bien décidés à filmer la créature pour prouver son existence. Ils feront appel à un technicien électronique et à un chasseur d’images pour obtenir le plan parfait et incontestable de l’existence des extra-terrestres. Pendant ce temps, l’ex enfant star, Jupe, se met en tête d’utiliser les chevaux des Haywood pour appâter l’OVNI et l’offrir en spectacle. Mais comme n’importe quel animal sauvage de ces territoires perdus d’Amérique, l’entité n’est pas si aisément domesticable.
L’idée originale de Nope est d’avoir mis face à cet animal une dynastie de dresseurs. A mi-chemin entre le monde sauvage et la culture de l’image (les studios hollywoodiens), ces anti-héros américains sont les meilleurs représentants de ce Moby Dick des temps nouveaux. Il n’y’ est plus question du combat de l’Homme contre la Bête, mais de capturer une image. Le personnage qui se rapproche le plus du capitaine Achab n’a pour particularité que d’oeuvrer pour l’amour de l’art. Chacun des autres personnages n’a d’autre visée que d’exploiter l’existence de l’extra-terrestre pour en tirer une forme de reconnaissance. Il n’y est pas non plus question d’une rencontre. La nature sauvage de l’OVNI est soulignée, jusqu’à être intégrée dans le découpage du film (chaque chapître porte le nom d’un animal important dans le récit, le dernier est celui de l’OVNI). Cette chasse a à bien des niveaux des allures de blockbusters spielbergien, quelque part entre Les dents de la mer et Rencontres du troisième type. Un blockbuster spielbergien auquel on aurait amputé sa faculté à regarder vers le haut, et à s’émerveiller, mais pas le goût de l’aventure et du jeu.
Bien du chemin a été parcouru depuis la fascination de la rencontre de l’altérité à la médiocre perspective que de ne tirer d’elle qu’un cliché. Et pourtant…Jordan Peele réussit l’exploit de ne pas renier son modèle, et même de se réapproprier ces figures en conservant un souffle à peu près intact – en dépit de l’apparente médiocrité de ses enjeux. C’est que l’essence des films de Spielberg (c’est encore plus vrai dans les Dents de la Mer, descendant direct de Moby Dick) était tournée vers cette faculté à embarquer le lecteur / spectateur, à le conditionner pour lui faire tomber les armes. Des détails et une préparation très fine qui permettent de nous tirer de notre contexte et de nos valeurs pour accepter le point de vue des héros et d’être enfermé dans leur aventure. Jordan Peele a accompli ce travail d’extraction du réel, et de fait il n’est plus nécessaire – lorsque la longue dernière séquence survient – de faire un quelconque effort pour vivre l’aventure aux côtés des personnages. On peut alors profiter de l’action qui nous est livrée, et quelle action ! Cette dernière séquence respire le danger et la tension, mais aussi l’amour de la chasse (même si ce n’est que sur pellicule) et une part de lyrisme insoupçonnée. La manière de filmer les étendues sauvages et de découper l’action fait le reste. Et il y’a la petite touche, pour le coup non Spielbergienne. Toujours dans le conditionnement, Jordan Peele assaisonne son récit de suffisamment d’absurde pour faire accepter l’apparence finale incongrue du prédateur extra-terrestre. Il utilise également l’humour à doses homéopathiques, suffisamment pour créer une forme de complicité avec son univers sans désamorcer la tension. Nope est fait de petits détails savoureux, d’anecdotes (la référence à l’Animal Locomotion d’Eadweard Muybridge, première succession de photos ayant créé un film), de mystères (l’explosion du singe Gordy) et de liens qui créent un univers cohérent et intriguant. Un film généreux dont la simplicité apparente n’est qu’un leurre et qui pourra être revu sans aucun problème.
Votre commentaire