FEFFS 2022

Déjà 15 ans que Strasbourg célèbre le cinéma fantastique avec le FEFFS (Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg). Cela valait bien un passage dans la capitale alsacienne : Esquiver les vélos qui ont oublié l’existence du piéton, profiter des pichets d’un litre de bière offerts pour le prix d’un demi, de la vue de la splendide cathédrale, des restaus qui remplissent l’estomac, des canapés du Village du Festival et d’un vrai temps d’automne inhabituel (d’ordinaire le festival a lieu plus tôt en septembre), tel fut le quotidien du spectateur du FEFFS entre le 23 septembre et le 2 octobre de cette année 2022. Mais puisqu’on est là pour le cinéma, Entre les 4 cinés (Le Star St Exupéry, le Star, le Vox et l’UGC), il y’avait aussi quelques bonnes choses à se mettre sous la dent. On pouvait revoir l’étonnant la Piedad d’Eduardo Casanova ou le philosophique l’Etrange Histoire du coupeur de bois, profiter d’une rétrospective sur le cinéma fantastique français, de la cinéphilie de Christophe Gans – invité d’honneur – et célébrer le 100ème anniversaire du Nosferatu de Murnau. On a aussi pu baigner dans les odeurs de fromage et de plastique brûlé de Mad Heidi, un film de Swissploitation qui, à défaut de mettre le feu dans la salle, a bien failli mettre le feu à la salle. L’auteur de ces lignes a ramené dans sa besace quelques nouveautés dont on parlera sans doute un peu plus dans les semaines à venir.

Mad Heidi

Espionnage Coréen

Le FEFFS, ce n’est pas que le cinéma fantastique et d’horreur. Preuve en est que le film le plus abouti du festival est un film d’espionnage. Diffusé en clôture, Hunt est l’œuvre de Lee Jung-Jae, qui passe à la réalisation après avoir incarné le héros de Squid Game. Nous sommes à des lieux de la série qui a reboosté Netflix et les séries coréennes. Après l’assassinat du président Park en 1979, la KCIA cherche à prévenir un retour de la guerre entre les deux Corées. Mais un espion nommé Donglin a infiltré les rangs de l’agence, bénéficiant de renseignements au plus haut niveau. Menée par Lee Jung Jae lui-même et Jung Woo-Sung, cette valse entre deux agents digne d’un récit de John Le Carré arrive après les très bons The Spy Gone North et L’Homme du Président , qui ont déjà prouvé que les coréens avaient un passé suffisamment riche pour produire le meilleur du film d’espionnage, avec un cachet et une sensibilité particulière. Chronologiquement situé entre les deux, Hunt se place dans leur sillage, avec un penchant un peu plus affirmé pour l’action. Tendu et imprévisible, le film de Lee Jung-Jae est d’une grande fluidité et il aborde frontalement cette époque trouble – sans sacrifier des personnages forts au récit Historique. Il ne faudra pas le louper lors de sa sortie française.

Hunt

Slashers Féminins

La meilleure surprise du festival – dans le genre horrifique – nous vient d’Espagne. Piggy (Cerdita) a déjà fait du bruit au festival de Sundance, et il ne laisse vraiment pas indifférent. Le film démarre comme une drame, celui de Sara, la fille du boucher local qui souffre de surpoids. Moquée sur les réseaux sociaux et surnommée Piggy par les jeunes du villages, elle s’apprête à vivre une après-midi traumatisante. Mais les filles qui la harcèlent sont bientôt attaquées par un tueur et kidnappés. Contre toute attente, Sara se voit offrir une occasion de se venger et de rencontrer un homme qui semble voir plus en elle que son physique ingrat. Dès les premières minutes de Piggy, la réalisatrice scénariste Carlota Pereda distille une ambiance moite et organique, un ton qui navigue entre la satire des bourgades et la conscience de la gravité de son thème. Ce n’est qu’après une scène éprouvante de harcèlement que le slasher-movie s’installe, mais il n’occupe jamais totalement l’espace. C’est toujours Sara, incarnée avec présence par Laura Galán (dans un rôle très difficile) qui est sur le devant de la scène – partagé à un niveau moindre par la brute monolithique à laquelle donne vie Richard Holmes. Les doutes du personnage, son enfermement, le frisson qu’elle ressent, sa complicité avec la Bête et la violence de son quotidien sont ressenties à chaque minute du film, pour nous mener à un vrai dilemme moral. A défaut de renouveler le genre, Piggy l’exploite avec intelligence et sans édulcorant. Un drame horrifique à savourer en salles le 2 novembre prochain.

Piggy

Également en compétition, Sissy part aussi d’un trauma – lointain cette fois – et explore la mécanique de promotion d’une psychopathe à travers les réseaux sociaux. Cecilia est une influenceuse à succès qui se propose d’aider les personnes en détresse. Elle retrouve par hasard sa grande amie d’enfance Emma, qui lui avait juré autrefois qu’elles seraient amies pour la vie, jusqu’à ce que (…). L’invitation à l’enterrement de vie de jeune fille de celle-ci déterre le trauma de Cécilia et entraîne une série d’évènements incontrôlables. Sissy pâtit d’une première partie ambigüe qui choisit volontairement de dissimuler des informations, peut-être pour représenter l’amnésie traumatique de l’héroïne, peut-être dans le but de forcer l’empathie. Difficile de comprendre les intentions des réalisateurs scénaristes Hannah Barlow et Kane Senes. Ce parti pris et l’absence d’intérêt pour des seconds rôles lissés au possible mène à un jeu de massacre efficace, distrayant, mais déjà vu, là où le sujet aurait pu nous amener vers quelque chose de plus prenant. Le côté malsain du mécanisme d’influence aurait lui aussi mérité d’être traité plus frontalement. Dommage.

Sissy

Le même reproche peut-être fait à l’autrement plus expérimenté Ti West avec son X, présenté avec un peu de retard dans la section Midnight Movies. Le réalisateur de the Innkeepers et the Sacrament confronte à la fin des 70’s, l’équipe de tournage d’un film porno dans un lieu reculé du Texas à un couple de fermiers qui a accepté de les héberger. La participation de A24 – berceau de l’elevated horror – et le marquage indie des films précédents films du réalisateur pouvaient mettre la puce à l’oreille. Nous n’aurions pas droit à un Massacre à la Tronçonneuse, et ce même si film a été vendu comme tel. Et c’est tant mieux. Le réalisateur prend son temps pour distiller la tension et nous immerger dans l’époque. Le grand plus du film est sa reconstitution et une brochette d’acteurs (Mia Goth en tête) plutôt bien castés qui nous immergent dans le zeitgeist de cette époque entre l’essor du porno et sa mise en vidéo. Puis le massacre démarre, et Ti West se perd dans la psychologisation, les rapprochements entre la victime et la tueuse et le discours, aussi ambigu qu’omniprésent gâchent un peu la fête. X perd en efficacité ce qu’il apporte en recul sur les évènements. Il manque un véritable danger et quelque chose d’imprévisible. Peut-être sa préquelle Pearl, déjà annoncée, parviendra t’elle à un meilleur équilibre.

X

Duels à Mort

Après le très bon The Art of Self Defense, Riley Stearns penche aussi du côté féminin de la balance puisqu’il troque son Jesse Eisenberg contre une Karen Gillan, et même deux. Son nouveau film Dual nous amène dans un futur proche où le clonage a atteint un tel niveau de perfection que les personnes mourantes peuvent choisir de se faire cloner. Cela évite à la famille la souffrance de la perte. Lorsque Sarah – une jeune femme solitaire – apprend qu’elle est atteinte d’une maladie très grave, elle décide d’avoir recours à ce procédé pour passer sa mort sous silence. Mais une erreur de diagnostic conduit à l’imminence d’un combat à mort entre la vraie Sarah et son clone. Le réalisateur poursuit dans la veine « comédie dépressive » de The Art of Self Defense en poussant un peu plus loin le curseur du mal-être. Son héroïne s’exprime dans un ton monocorde, automatique qui sied bien à Karen Gillan et provoque un décalage plutôt bien intégré – qui rappelle étrangement les films de Yorgos Lanthimos (The Lobster, Mise à mort du cerf sacré). Le mélange de satire social et de rapports humains dysfonctionnels présentés comme une norme accentuent cette direction prise par le réalisateur. Dans Dual, le récit d’anticipation est volontairement noyé dans une dépression latente très actuelle, une forme de mal être héritée d’un individualisme poussé jusqu’à l’absurde. Malgré son sujet, la maitrise du timing comique et la performance de Karen Gillan rendent le voyage plutôt agréable.

Dual

La famille dysfonctionnelle est aussi au centre de l’italien Falling. Partant d’une pluie qui libère les frustrations des habitants de Rome, le film de Paolo Strippoli est un croisement entre la possession et le films d’infectés qui  chasse sur les terres déblayées par les comics Crossed ou le récent the Sadness. Mais il est formellement complètement différent car il se place du point de vue de personnes contaminées, comme prétexte à aborder la dissolution progressive d’une famille suite au décès tragique de la mère. Il ne sera donc pas question de panique et de scènes apocalyptiques, mais d’un drame confiné mâtiné de fantastique malsain, dans le sillage des films espagnols du début des années 2000 (The Darkness, Abandonné …). Même si son générique de début fait un peu kitsch, Falling est de bonne facture visuelle et narrative et met bien en valeur son décor urbain. Il parvient bien à faire monter la tension et à enfermer le spectateur dans la folie progressive de ces deux anti-héros.

Flowing

Tempête dans deux cerveaux

La folie des deux hommes de Something in the Dirt est autrement moins fantastique puisqu’elle est ancrée dans le confinement. Le duo Justin Benson/Aaron Moorhead auteur du plutôt bon The Endless a profité de la pandémie de COVID 19 pour revenir à quelque chose de plus intimiste, tourné en petit comité. Ils sont les seuls acteurs principaux de leur film, qui tourne autour de phénomènes étranges liés à la gravité se déroulant dans la maison de l’un d’eux. Ils décident d’en faire un documentaire. A mi-chemin entre le merveilleux et le Primer de Shane Carruth dans son aspect dépouillé, Something in the Dirt se mue peu à peu en un film paranoïaque, synthèses de lectures, de vidéos vues sur le web et de liens hasardeux. Les deux antihéros guettent les indices et trafiquent leur documentaire pour donner du sens à un évènement inexpliqué, autant qu’à leur vie qui est partie sur de mauvais rails. Il dit beaucoup du besoin de remplissage du vide, affectif ou social, et de la façon dont l’isolement des confinements peut avoir renforcé les troubles du comportement et le conspirationnisme. Les deux acolytes semblent avoir pris un grand plaisir à tourner ce film, mais il est au final bien trop théorique et répétitif pour maintenir l’intérêt sur ses deux heures.

Something in the Dirt

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