Réalisation : Scott Cooper
Scénario : Nick Antosca, Henry Chaisson & Scott Cooper, d’après la nouvelle « The Quiet Boy » de Nick Antosca
Directeur de la Photographie : Florian Hoffmeister
Montage : Tom Cross
Musique : Javier Navarette
Chef Décorateur : Tim Grimes, Hamish Purdy
Direction Artistique : Cheryl Marion
Pays : USA
Durée : 1h39
Sortie en salles le 17 novembre 2021. En DVD/Bluray

Genre : Fantastique, Horreur
Note : 7,5/10
Après qu’un terrible événement ait touché son père, un enfant entre dans les ténèbres.
Le dernier plan du pré-générique d’Affamés se passe de mots, et il résume parfaitement ce qui va suivre. Cet enfant, c’est Lucas Weaver, un peu plus de dix ans, tout maigre et déjà abîmé par la pauvreté et les addictions de son paternel. Sa nouvelle institutrice, Julia (Keri Russell), qui a autrefois subi de mauvais traitements, se doute que quelque chose ne va pas lorsqu’elle examine les dessins morbides du gamin, dans lesquels il décrit l’état de son père et de son jeune frère. Devant l’inaction des institutions, Julia se déplace elle-même jusqu’au domicile de Lucas, où elle trouve suffisamment d’indices inquiétants pour alerter son frère, le shériff de cette petite ville minière d’Oregon (Jesse Plemmons). Ce qui semble être à première vue un cas de maltraitance caractérisé cache la transformation du père en une créature bestiale qui ne peut étancher sa faim. Lucas le nourrit régulièrement, mais il ne pourra pas empêcher une transformation plus radicale.
Le réalisateur des très bons Les Brasiers de la Colère et Hostiles revient avec un film d’horreur qui dégage la même noirceur et le même réalisme que ses précédents travaux. Adapté d’une nouvelle de Nick Antosca (qui a entre autres scénarisé la série Believe de Alfonso Cuaron), Affamés a attendu trois ans avant de débarquer dans les salles, et ce en dépit du soutien de Guillermo Del Toro. L’histoire de ce jeune garçon miséreux précipité prématurément dans les tourments de la société de son temps, condamné à devoir survivre aux horreurs provoquées par les adultes, avait tout pour séduire le réalisateur de L’Echine du Diable. La façon dont la bande originale de son acolyte Javier Navarette colle aux images ne ment pas. Mais on aurait tort de le cantonner à du sous Del Toro, car Affamés est bien dépouillé d’éléments merveilleux et de féérie.
Le monstre folklorique amérindien qui le hante – le Wendigo – a déjà vécu au cinéma à travers l’appétissant Vorace de Mary Lambert, mais le cannibalisme d’Affamés est bien plus bestial et sans joie. Il sonne comme une condamnation. Il est le rejeton de la modernité, condamné à se reproduire indéfiniment et à détruire. L’horreur que suggère Scott Cooper, puis qu’il montre dans sa deuxième moitié (la créature, les meurtres), côtoie l’horreur du contexte social qu’il décrit dans une frontière tellement fine qu’il n’y a plus vraiment de métaphore. A travers son jeune héros et sa demeure désolée, il sait installer cet atmosphère bien réelle de désespoir, d’exclusion et de faim qui n’en finit plus, laissant au fantastique et à l’horreur la mission d’exprimer le sentiment subjectif de l’enfant, submergé par la situation. Cooper n’aurait pas pu réussir son film sans un jeune acteur convaincant, qui puisse exprimer à la fois l’extrême vulnérabilité physique et la force mentale d’un adulte. C’est bien ici Keri Russell et Jesse Plemmons qui soutiennent la performance du jeune Jeremy T. Thomas, et non le contraire. Dépouillé des artifices narratifs qui auraient pu le rendre plus acceptable (on est loin de l’elevated genre), Affamés est un film d’horreur brut, efficace et sans prétention, qui dit pourtant énormément de choses sur l’Amérique et sur son époque.