Le nouveau film de Steven Spielberg, The Fabelmans est fortement inspiré de son enfance et de son adolescence. Il raconte l’histoire de Sammy Fabelman de sa rencontre avec le cinéma jusqu’à son premier contrat, et comment le cinéma a guidé son apprentissage de la vie. Le réalisateur et son co-scénariste Tony Kushner y ont incorporé des éléments fictionnels et changé le nom de la famille pour bien appuyer le fait qu’il ne s’agissait pas d’un biopic sur les Spielberg (« Fabelman » signifie en allemand « raconteur d’histoire »). Mais lorsqu’on s’appelle Steven Spielberg et que l’on est l’un des plus grands conteurs d’histoire encore en activité, aucun élément et aucune scène n’est inventée de façon gratuite.
Sans faire l’inventaire des modifications opérées, The Fabelmans possède une unité et une cohérence interne qui révèlent un état d’esprit, l’analyse d’un rapport au cinéma bâti depuis l’enfance qui ne peut être que celui du réalisateur. Les éléments concernant ses parents (interprétés par Michelle Williams et Paul Dano), son oncle semi-fictionnel (Seth Rogen) et ses soeurs, ainsi que le récit d’apprentissage classique du jeune américain des 50’s-60’s semblent avoir été agrégés dans le but de souligner tous ces éléments convergents qui l’ont amené à révolutionner le cinéma moderne. Rappelons que les Dents de la Mer fut le premier blockbuster moderne (ouvrant la voie aux Star Wars et à leurs successeurs), que Spielberg a été omniprésent dans les blockbusters des 80’s, que Jurassic Park a mené à la démocratisation des CGI et que son Tintin a fait la même chose avec la performance capture. A partir de là, on a peine à imaginer une uchronie où Steven Spielberg ne serait pas devenu cinéaste. Sans cet alignement des planètes, le cinéma grand public serait parti dans un virage totalement différent. The Fabelmans est donc, en plus d’être un bon film, un document essentiel.
L’histoire d’amour entre Sammy Fabelman et le cinéma est d’abord une rencontre. Celle d’un enfant angoissé qui peine à affronter la réalité avec un outil qui va lui permettre de la dompter. Rien de plus limpide que cette première séquence qui aboutit à la tentative de reproduire l’accident train de Sous le plus grand chapiteau du monde, afin de pouvoir la revoir et maîtriser sa peur. L’idée du contrôle de la réalité par son incorporation à un univers filmé contrôlé reviendra durant le film. Tout particulièrement lorsque Samuel/Steven se rendra compte que le mariage de ses parents est en danger. Ce sont les images filmées par le jeune homme qui révèlent les autres personnages, que ce soit sa mère, son oncle ou les harceleurs de son lycée. Dans une communication inter-dépendante, la prise de vues et le montage des films accompagne sa perception et son analyse du réel tandis que la diffusion de ses films assoit sa confiance et révèle son talent pour provoquer des émotions. Mateo Zoryon et Gabriel LaBelle ont été particulièrement bien dirigés pour faire ressortir ses moments clés.
Mais cette rencontre ne serait rien si elle n’avait pas été facilitée par une prédisposition et un soutien familial. L’héritage des gênes maternels – de sa mère et de son grand-oncle – fut visiblement déterminant pour adopter une carrière artistique. Mais il n’aurait pas eu ce talent pour « rendre applicable » sa formule au plus grand nombre sans son ingénieur de père. La participation de la famille Fabelman dans l’apprentissage de Samuel est considérable. Steven Spielberg ne raconte pas une enfance en tous points idyllique, car une enfance idyllique n’aurait pas engendré le cinéaste qu’il est devenu. Mais il démontre que le soutien familial des talents d’un enfant est un élément primordial pour sa réussite. Spielberg et Kushner réussissent surtout à rendre intéressants une succession de scènes qui auraient pu facilement être des passages obligés du récit d’apprentissage, par des variations anodines ou une mise en scène qui fait la différence. Alors qu’on part vers un final classique, ils nous servent une dernière scène surprenante et décalée, à la fois parfait « passage de relai » entre deux époques et coup de coude d’une générosité sans égale envers les cinéphiles. Il est bon de constater qu’à 76 ans, Steven Spielberg est toujours un conteur hors pair.
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénario : Tony Kushner, Steven Spielberg
Directeur de la Photographie : Janusz Kaminski
Montage : Sarah Broshar, Michael Kahn
Musique : John Williams
Chef Décorateur : Rick Carter, Karen O’Hara
Direction Artistique : Andrew Max Cahn
Assistant Réalisateur : Josh McLaglen
Production : Tony Kushner, Kristie Macosko Krieger, Steven Spielberg, Carla Raij, Josh McLaglen
Pays : USA
Durée : 2h31
Sortie en salles le 22 février 2023

Acteurs Principaux : Gabriel LaBelle, Mateo Zoryon, Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen, Keeley Karsten, Julia Butters, Judd Hircsh, Sophia Kopera, Jeannie Berlin
Genre : Comédie dramatique, Chronique
Note : 8/10
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