Joel Coen était à la Cinémathèque Française du 8 au 11 mars comme parrain du 10ème festival du film restauré, succédant notamment à Joe Dante ou Nicolas Winding Refn. A cette occasion, avec son chef opérateur Bruno Delbonnel, il a tenu à présenter pour la première fois en salles The Tragedy of MacBeth. Sorti sur Apple TV en janvier 2022, le film avait été projeté un mois dans les salles aux Etats-Unis, mais était passé direct en VOD en France. Le réalisateur a rappelé que The Legend of MacBeth n’avait pas été tourné pour la télévision et qu’Apple TV ne l’avait acquis qu’à la fin de sa production. Le voir sur en salles est comme découvrir le film, tant le grand écran met en valeur des qualités et des détails qui ne sautaient pas vraiment aux yeux sur le petit écran.
En adaptant MacBeth, Joel Coen ne cherche pas à succéder aux nombreux réalisateurs qui ont porté à l’écran la pièce de William Shakespeare (Parmi eux, Orson Welles en 1948, Roman Polanski en 1971, ou plus récemment Justin Kurzel). C’est une commande atypique qui lui est venue de sa femme, Frances McDormand, qui interpréta Lady MacBeth sur les planches et qui souhaitait ardemment que Joel la mette en scène. Bien sûr, il ne pouvait le faire qu’au cinéma. Les époux portent donc cette adaptation, sans le beau-frère Ethan. Il ne faut pas s’attendre à voir du Coen Brothers pur jus – par exemple un détournement moderne comme ils l’ont fait avec l’Odyssée sur O’Brother. Fidèle et révérencieuse à la pièce, cette version ne la détourne d’aucune manière, donnant à voir une chronologie très fidèle et pareillement elliptique (le film ne dure que 1h45 pour un grand nombre d’événements) de la déchéance morale des époux MacBeth pour l’accès au pouvoir. Le ton de l’absence de spectaculaire est donné dès les premières minutes, alors que les faits d’armes de MacBeth déroulés hors champ sont rapportés au roi par différents messagers. The Tragedy of MacBeth ne profitera pas de ses moyens cinématographiques pour donner de l’ampleur au contexte de la tragédie, mais pour enfermer le couple dans son palais loin du peuple et des affaires politiques, avec un nombre de personnages aussi limité qu’au théâtre et un format 1.19.1 qui met le jeu des acteurs au premier plan.
Ces choix un peu perturbants au départ se révèlent très judicieux. Avec le choix du noir et blanc et de décors en studio, The Tragedy of MacBeth imprime un sentiment d’irréel. Les décors sont purgés de tout accessoire, éliminés de tout ce qui pourrait détourner l’attention des acteurs. Même l’Ecosse ne supporte pas autant de brume. Ce brouillard est idéal pour des créatures aussi fantastiques que les trois sorcières, et pour exprimer l’aveuglement du couple MacBeth. Joel Coen, qui a toujours été à la réalisation sur les films des « frères Coen », n’a pas abandonné l’élégance et le sens de la composition des plans de ses films précédents. Avec son chef opérateur Bruno Delbonnel (déjà là sur Inside Llewyn Davis et The Ballad of Buster Scruggs), il utilise le noir & blanc avec autant d’inspiration que pour The Barber, avec un je ne sais quoi de mysticisme supplémentaire. Denzel Washington et Frances McDormand apportent une dimension plutôt inédite et humaine au couple MacBeth, de par leur âge avancé (on sent le poids des sacrifices endurés et l’envie de saisir la dernière chance) et une interprétation minimaliste. The Tragedy of MacBeth est au final une adaptation scolaire, qui se suit un peu comme un trip qui laisse dans l’esprit que ses somptueuses compositions visuelles. Un film fait pour le cinéma qui héritera, on l’espère, d’autres séances comme celle-ci.


Réalisation : Joel Coen
Scénario : Joel Coen, d’après William Shakespeare
Directeur de la Photographie : Bruno Delbonnel
Montage : Reginald James (Joel Coen), Lucian Johnston
Musique : Carter Burwell
Chef Décorateur : Stefan Dechant
Direction Artistique : Jason T. Clark
Production : Joel Coen, Catherine Farrell, Robert Graf, Frances McDormand
Pays : USA
Durée : 1h45
Sortie française le 14 janvier 2022 sur Apple TV+

Acteurs Principaux : Denzel Washington, Frances McDormand, Alex Hassell, Bertie Carvel, Brendan Gleeson, Harry Melling, Mose Ingram, Kathryn Hunter, Ralph Ineson
Genre : Drame, Fantastique, Historique
Note : 8/10
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