Chaque épisode de Inside No. 9 se déroule dans un numéro 9, un décor unique. Cette règle, comme un mantra, guide les auteurs / producteurs / acteurs Reece Shearsmith et Steve Pemberton, deux sinistres personnages bien connus des amateurs de comédie anglaise pour avoir dépassé les limites de la comédie noire et du grotesque dans La ligue des gentlemen et Psychoville. Les voilà partis pour dix ans (la série est diffusée sur BBC 2 entre février 2014 et juin 2024) vers quelque chose de plus insidieux, de plus fin, de plus réel et de plus contraint. Mais plus la contrainte est grande, plus l’écriture est inventive.
En 9 saisons d’analyses de nos faiblesses, de nos veuleries, de nos angoisses dans des formes de huis clos sans cesse renouvelées, Shearsmith et Pemberton ont renouvelé avec bonheur l’anthologie anglaise. Cet été, la Revanche du Film leur rend hommage en revenant sur les 9 saisons de la série.
2.1 La Couchette

France. Dans le wagon couchette numéro 9 d’un train de nuit qui le mène à Bourg Saint Maurice, le Dr. Maxwell entend profiter d’une bonne nuit de sommeil avant de se rendre à l’entretien le plus important de sa carrière. Les autres occupants de la cabine, un allemand vulgaire et bruyant, un couple d’anglais en route pour le mariage de leur fille, une australienne adepte du voyage « avec les moyens du bord » et un type qu’elle a ramassé dans le train viendront perturber cette nuit réparatrice chacun à leur façon. Mais un problème plus important est sur le point d’être révélé à tout ce petit monde : L’occupant le plus silencieux de la couchette est mort. Une catastrophe pour le Dr. Maxwell qui entend faire tout ce qu’il faut pour éviter d’arriver en retard à son rendez-vous, y compris dissimuler cette mort au personnel de bord.

Reece Shearsmith et Steve Pemberton rendent hommage aux trains de nuit de notre bon pays dans le segment le plus confiné de « Inside Number 9 » depuis « Sardines ». Un segment de niche qui parlera bien plus à celles et ceux qui ont déjà voyagé dans un train couchette SNCF (une expérience qui vous fera préférer le train). Les scénaristes ont soigné l’entrée en scène de chacun des protagonistes, personnages typés, un peu théâtraux, mais crédibles. L’entrée en scène du cadavre surprend de par son arrivée impromptue, mais on aurait pu espérer une utilisation plus fine de cette galerie de voyageurs confrontée à un dilemme comme celui-ci. C’est un ton plutôt léger (parfois vulgaire) qui parcourt cet épisode, en dépit de la gravité de son sujet et des possibilités dramatiques qu’il laissait entrevoir. Le twist parvient à bien rediriger le curseur vers quelque chose de plus noir avant d’être démonté par un contre-twist ironique et improbable. Mais le tout est suffisamment enlevé pour se suivre avec le sourire.

2.2 The 12 Days of Christine

Dix années d’une vie en l’espace de trente minutes et de douze scènes, c’est le défi du second épisode de cette saison 2, The Twelve Days Of Christine : suite à une soirée costumée arrosée, Christine ramène Adam chez elle, à l’appartement numéro 9. Emménagement d’Adam, mariage, arrivée d’un bébé et autres aléas de la vie se succéderont dans l’appartement, jusqu’à un Halloween très spécial où Christine se rend compte que les choses ne vont pas comme il faudrait…

Il faut peu de temps à Shearsmith et Pemberton pour poser la situation et les évolutions de Christine par rapport aux scènes précédentes. Cet enchaînement de moments illustre ainsi le défilement incontrôlable du temps qui établit la scène précédente en souvenir, rappelant les procédés utilisés par Steven Moffatt dans Doctor Who pour brouiller les repères spatio-temporels.
De mystérieuses manifestations de son premier petit ami, mort à 16 ans, viennent parasiter les instants clés de sa vie : voix inquiétante dans l’audiophone du bébé, carte mystérieuse, œufs lancés dans l’appartement… Autant d’éléments qui distillent une ambiance horrifique et un malaise éclairé rétrospectivement lors du twist final. The Last Days Of Christine est la seule véritable incursion de la série dans le drame, et elle le fait avec doigté lors d’instants très émouvants portés par l’actrice/chanteuse Sheridan Smith dans le rôle titre : un dialogue avec un père décédé, la relation de Christine avec son frère ou ce « Goodbye everyone. I love you » final véritablement bouleversant.

2.3 The Trial of Elizabeth Gadge

Dans l’Angleterre du XVIIe, les procès pour sorcellerie sont monnaie courante, mais pas tant que ça dans le petit village du juge Pike où il ne se passe jamais rien. Aussi lorsqu’une septuagénaire locale, Elizabeth Gadge, est accusée de communier avec le démon par sa fille et son beau-fils, le juge décide de convoquer les célèbres chasseurs de sorcières Warren et Clarke pour présider l’évènement. Les chasseurs de sorcières feront tout pour expédier l’issue d’un procès conclu d’avance. Mais à mesure que cette parodie de procès avance, Clarke commence à avoir des doutes certains sur la culpabilité de l’accusée et sur la nature de son travail.

Le concept d’Inside Number 9 n’interdisait pas un épisode dans le passé. C’est maintenant chose faite avec ce procès d’Elizabeth Gadge qui permet un peu de s’évader temporellement parlant. S’il porte un humour très proche de celui des sketchs des Monty Python, ce segment est tout sauf parodique. Il se base sur les transcriptions des vrais procès en sorcellerie dont le déroulement et les témoignages étaient suffisamment « absurdes » pour avoir besoin d’être parodiés. L’humour naît du décalage entre l’absurde de la situation et le sérieux avec lequel tous les acteurs du procès la considèrent. L’interprétation du génial David Warner (C’était Demain) en maire plus soucieux du coup de pub du procès que de la vérité est délectable. Mais c’est Ruth Sheen, l’interprète d’Elizabeth Gage qui arrache le plus de sourires quand elle parvient à détourner l’assemblée du grand sérieux prôné par les inquisiteurs.

The Trial of Elizabeth Gadge ne pouvait faire l’économie d’un twist et d’un contre-twist qui deviennent à ce niveau de la série plutôt prévisibles, affadissant un peu le travail fait précédemment. Mais l’issue du procès est tellement politiquement incorrecte pour notre époque qu’on pardonnera cet écueil.
2.4 Cold Confort

Cold Confort (2×04) rétrécit encore le champ des événements puisque le 9 est le numéro de poste d’une ligne d’assistance pour personnes en détresse. Nous sommes le 13 janvier 2015, une caméra extérieure filme l’entrée d’Andy, un nouveau bénévole de la CSL. Il est accueilli par le chef de plateau George qui lui présente les consignes de prise d’appel. Deux jours plus tard, il reçoit l’appel d’une jeune femme dépressive, Chloe, qui vient de prendre des cachets. Bouleversé par le décès de Chloe au bout du fil, Andy envoie balader son appel suivant, une vieille femme qui a perdu son chat. Il apprendra plus tard que la vieille s’est suicidée suite à son comportement et que la mystérieuse Chloe n’est pas morte, continuant d’appeler la ligne pour se faire remarquer. La culpabilité pousse Andy à enquêter sur celle-ci.

Cold Confort se déroule entièrement en split screen avec quatre caméras fixe présentant plusieurs points de vue sur les lieux avec en écran principal le stream de la ligne numéro 9 que tient le héros. Ce parti pris efficace force le spectateur à rester en alerte sur tous les écrans car il peut être averti de dangers que les personnages ne perçoivent pas. Les ellipses, habilement intégrées par la date en bas de l’écran, répondent aux scènes en temps réel dont la vérité du cadre et la vraisemblance des événements déploient progressivement une paranoïa ambiante. Les discussions entre collègues et les évènements du quotidien amènent un peu de légèreté pour mieux brouiller les cartes, et on en vient à soupçonner chacun des membres du plateau d’être la fameuse Chloé. Les auteurs optent, sans surprise, pour un double twist, le premier détournant l’attention du second, plus implacable. Ce segment qui voit apparaître notamment Nikki Amuka Bird, un visage familier des amateurs de séries anglaises, est original et rafraichissant. C’est aussi le premier épisode de la série réalisé par Reece Shearsmith et Steve Pemberton.

2.5 Nana’s Party

Un pompier se précipite au numéro 9 pour une intervention d’urgence. Quelques heures plus tôt, pour les 79 ans de sa mère Elsie, Angela souhaite une fête d’anniversaire sans faute de goût. Son mari Jim décide néanmoins de faire une blague au beau-frère Pat. Bien décidé à prendre le plaisantin à son propre jeu, il se cache sous la table sous un faux gâteau afin de surgir pour lui faire peur quand Pat le déplacera. Lors de la fête, la sœur d’Angela rechute dans son alcoolisme et se donne en spectacle. La blague de Jim tarde à être révélée, exposant tout ce petit monde à un drame imminent.

Nana’s Party était le premier épisode de la série écrit par Shearsmith et Pemberton, mais il fut retiré de la saison car les exécutifs préféraient en faire le pilote d’une sitcom. Les showrunners n’étaient pas d’accord, et ils transformèrent un peu le script pour l’inclure dans cette saison 2 et pour au final, réaliser l’épisode. L’introduction annonce une boucherie, et on ne pourra s’empêcher de craindre durant tout l’épisode pour la vie du personnage sous le gâteau, autant menacé de finir brûler ou découpé par le gros couteau sur la table. Ici encore, la satire d’une fête familiale laisse la place à une ironie bien noire où les gens ne sont pas forcément ce qu’ils paraissent. Le twist ne sera finalement pas sur l’accident, mais sur une révélation familiale qui changera profondément la vie d’un protagoniste. La fête de Nana sera donc un jour dont on se souviendra, mais pour une toute autre raison…

Ce segment rappellera sans doute Last Gasp (1-04) car il se déroule également lors d’une fête d’anniversaire, mais le jeu sur les attentes du spectateur et un suspens bien entretenu lui donnent un tout autre intérêt. On saluera particulièrement l’interprétation de Lorraine Ashbourne en tante alcoolique plus vraie que nature qui trolle un peu trop cette fête trop normale. On ressortira forcément déçu de l’épisode car les attentes sur un jeu de massacre ne sont pas comblées et on nous offre en échange un final trop abrupte pour être crédible. Mais ce serait oublier la qualité d’écriture du duo concernant les échanges entre les personnages.
2.6 Séance Time

Comme ce fut le cas pour la saison 1, Inside Number 9 mise sur l’horreur pour conclure sa deuxième fournée. Nous voilà donc conviés à une séance de spiritisme dans une villa victorienne. La jeune Tina est venue par curiosité, et elle se retrouvera face à une voyante intrigante et un spectacle qui lui apportera des frayeurs. Un spectacle bien trop réglé car elle a été piégée par l’émission de tévé The Scaredy Cam, et sa caméra cachée, présenté par le célèbre Terry. Un nouveau candidat fait son entrée pour rejouer la même scène, mais cette fois les choses ne se passeront pas comme la production les a prévus.

Séance Time réunit un sympathique casting qui inclue notamment Alice Lowe (depuis devenue réalisatrice) en maquilleuse et Alison Steadman (une habituée de Mike Leigh) en actrice de théâtre venue cachetonner. Il fait doucement frissonner sans toutefois atteindre le niveau de The Harrowing (1-06). Ce n’était pas non plus la volonté de Shearsmith et Pemberton qui désamorcent la tension aussitôt que la supercherie nous a été révélée pour nous présenter une satire des coulisses d’une émission tévé. Une émission chapeautée par un Reece Shearsmith toujours à son aise en personnage odieux.
Séance Time sent un peu le recyclage d’idées. Hormis le fait que le duo doit de nouveau faire vivre les coulisses d’un show, après le théâtre de The Understudy (1-05), et il doit composer une nouvelle fois avec une variation sur le thème du « mort impromptu ». Néanmoins, il se laisse suivre agréablement. On aurait juste préféré que le final s’assume un peu plus au niveau terreur et que la chute façon « l’arroseur arrosé » prête un peu moins à rire.

Inside n°9 n’est pour le moment disponible qu’en VOST (avec ST anglais).

