Réalisation : John Sayles
Scénario : John Sayles
Directeur de la Photographie : Dick Pope
Monteur : John Sayles
Musique : Mason Daring
Chef Décorateur : Toby Corbett
Direction Artistique : Eloise Crane, Stammerjohn
Assistant Réalisateur : Cas Donovan
Costumes : Hope Hanafin
Production : Ira Deutschman, Susan Kirr, Maggie Renzi, Mark Wynns
Pays : USA
Durée : 2h03
Inédit en France. Sortie aux USA le 18 décembre 2007

Acteurs Principaux : Danny Glover, Lisa Gay Hamilton, Charles S. Dutton, Yaya DaCosta, Gary Clark Jr., Vondie Curtis Hall, Mable John, Stacy Keach, Mary Steenburgen
Genre : Historique, Drame
Note : 8/10
Nous poursuivons l’exploration des films de John Sayles à l’occasion de la projection de sa rétrospective à la Cinémathèque Française, pour s’intéresser à un de ses derniers films en date (l’antépénultième) sorti en 2007. Honeydripper est une nouvelle plongée dans l’Histoire des Etats-Unis à travers la petite histoire de ses exclus. Nous voilà en 1950, en Alabama, au milieu des champs de cotons et de la vie nocturne de la petite ville de Harmony, dans la peau de Tyrone Purvis, su (Danny Glover) surnommé « Pine Top », un survivant qui a chopé très tôt le virus du piano. Entouré de sa femme, la pieuse Delilah, de sa belle-fille China Doll qui rêve d’être esthéticienne et de son fidèle associé Macéo, Pine Top est le propriétaire d’un club, le « Honeydripper » qu’il défend bec et ongles malgré les dettes et les menaces de confiscation sous lesquelles il croule. Mais la situation se dégrade, et il n’a pas d’autre choix que de troquer le blues qu’il a toujours défendu – mais ne fait plus recette – contre les juke box et un rythm and blues plus agressif. Contre toute attente, il parvient à boucler Guitar Sam, une grande star. Comptant sur ce samedi soir qui pour régler tous ses problèmes financiers, il en fait une large promotion. C’est à ce moment que le jeune Sonny débarque à Harmony, la guitare électrique à la main et des rêves de célébrité plein la tête. Après avoir rencontré le shériff, Sonny est bouclé pour « vagabondage » et se retrouve prisonnier d’un juge local, forcé à travailler dans sa plantation de coton. Alors que l’étau se resserre autour de Pine Top, Sonny pourrait bien être une dernière chance de salut pour le Honeydripper – si le pianiste joue bien son coup.
Honeydripper ne conte aucun évènement historique. Le samedi soir qui nous est tant vanté sur l’affiche ne changera pas non plus le cours de l’Histoire, si ce n’est la vision du monde des deux gamins « apprentis musiciens » qui ont ouvert le film et de ceux qui étaient présents ce soir-là. Pourtant, John Sayles parvient à installer les enjeux de façon à ce qu’on comprenne qu’à travers cette petite communauté d’Alabama, nous suivons l’Histoire en mouvement. Bien sûr, il y’a l’Histoire de l’oppression des noirs américains, entassés dans des prisons lorsqu’ils ne passent pas leurs journées à arpenter les champs de coton, sous la surveillance de blancs armés. Mais cette partie, n’est qu’un contexte – une donnée – dans l’histoire qui nous intéresse. Même dans ces champs, le réalisateur s’attarde sur les caractères de son petit monde et il multiplie les interaction. Les personnages ont pris sur eux d’évoluer dans ce contexte qu’ils supportent chaque jour, mais ils n’ont pas oublié d’être. La musique et la religion occupent une grande part de ce qui construit leur vie, et si l’une et l’autre sont liées, elles ne coexistent pas toujours. Le pasteur local qui a une certaine emprise sur Delilah la pousse à se détourner de son mari, qu’il voit comme un pêcheur. Pine Top, Macéo, la chanteuse Bertha Mae, son compagnon Slick font partie de ces gens dont la seule véritable religion est le blues. Ils n’ont pas de place dans ce monde, mais la nuit a toujours été leur territoire. Au tournant de ces années 50, ils sont également dépossédés de cette zone d’influence, chassés par des jeunes loups comme Guitar Sam ou Sonny, et plus prosaïquement les juke box. John Sayles conte cette passation entre le rythm’ and blues et le rock’n roll avec une pointe de mélancolie (et d’empathie) pour ceux du passés, mais dans un ton qui jouxte toujours la comédie. Ses scènes de bar sont toujours aussi percutantes qu’à ses débuts, dans le Harlem de Brother. Les scènes musicales, quand à elles, donnent littéralement envie de se lever de son siège et de danser. L’arrivée de la guitare électrique dans cette bourgade, peu anodine, aura de quoi rappeler une célèbre scène de Retour vers le Futur. C’est parce que cette époque a été charnière pour ce que deviendrait la musique populaire, pour la transmission de la musique noire à toute une génération et pour le retour en grace de l’instrument (John Sayles l’explique très bien dans la vidéo ci-dessous). Pénétrer dans ce petit bout d’Histoire en compagnie de ce casting royal est un vrai plaisir. D’autant plus lorsque le musicien Keb’ Mo entre en scène en guitariste aveugle facétieux, pour remuer la mauvaise conscience et les vieux démons de Pine Top.