Seulement six épisodes de South Park pour une saison, c’est depuis l’an dernier le nouveau format des aventures des quatre du Colorado. Pour ce féroce cru 2023 qui sera complété par deux films un peu plus tard cette année, Trey Parker et Matt Stone pointent le curseur vers le passé, avec plus d’épisodes mettant en scène le quotidien du groupe d’enfants. Mais le ton est toujours aussi incisif envers le présent, avec toujours cette intelligence d’écriture propre à South Park qui fait qu’on peut appréhender les épisodes à des niveaux de lecture différents.
L’épisode Cupid Ye ouvre le bal sur fond de Saint Valentin. L’amitié entre Stan et Kyle est au plus mal depuis que Kyle a lancé un tik tok avec Tolkien. Poussé par un ange sur son épaule nommé Cupid Ye, Cartman décide de briser cette amitié. Il raconte à Tolkien que les juifs ont volé l’identité des noirs. Mais cette tentative ne fonctionne pas. Le mauvais ange – qui n’est qu’une manifestation de la schizophrénie de Cartman – fait alors courir la rumeur que les juifs contrôlent Hollywood. Le bouche à oreille de South Park rend cette propagation incontrôlable et le mauvais ange finit par prendre totalement le contrôle de Cartman…et son influence menace encore de grandir.
Cupid Ye est un épisode dense qui s’attaque à Kanye West sans trop s’en cacher. En 2022, le rappeur qui se fait maintenant appeler Ye avait balancé des stéréotypes antisémites sur Twitter et les autres média où il prenait la parole. Des incidents avaient suivi un peu partout aux Etats-Unis contre des juifs. Cupid Ye est une métaphore de l’influence incompréhensible de Kanye West sur ces suiveurs. En partant d’une histoire anodine, Parker & Stone racontent comment – à cause du système des influenceurs – un stéréotype peut très facilement accéder à l’inconscient des plus influençables et entraîner des conséquences incontrôlables. La scène finale sur fond de massacre dans l’école de South Park est provocatrice, mais elle touche son but. La conclusion déprimante rappelle que South Park nous a habitué ces dernières années à cette forme de pessimisme sur la capacité de l’être humain adulte à évoluer. Nous avons en prime un état des lieux de la déchéance mentale de Cartman, visiblement plus forte depuis son récent déclassement social et un règlement de compte envers la pauvreté des blockbusters de ces dernières années. Bref, Cupid Ye est un épisode de haute volée qui rejoint les meilleurs de la série.
La menace de l’épisode The Worldwide’s Privacy Tour vient du Canada. Après la mort de la reine, le prince du Canada et sa femme actrice se font critiquer et harceler pour avoir bashé la monarchie canadienne. Ils décident de quitter le Canada pour une tournée mondiale promouvant les mémoires du prince et hurler leur droit à la vie privée. Le couple finit par s’installer à South Park face à la maison des Brofslowski. Dommage pour Kyle ! Il a déjà fort à faire avec son frère Ike, qui se repasse en boucle les obsèques de la reine et l’empêche de participer à un jeu en ligne avec ses amis. Sa popularité auprès d’eux en a pris un coup. Lorsque Butters lui propose de redorer son image de marque en faisant appel à l’entreprise Cumhammer, spécialiste en image de marque, il accepte de faire un travail sur lui-même jusqu’à devenir une toute autre personne. Mais il devient difficile de rester cool et zen lorsque le prince et la princesse du Canada le harcèlent constamment pour attirer son attention, tout en le blâmant pour ne pas respecter leur vie privée.
Le prince Harry et Meghan – nouveaux citoyens canadiens – en prennent pour leur grade dans cet épisode très drôle (le meilleur de la saison) qui pointe le gap entre ce que les personnes sont réellement et ce qu’elles veulent faire paraître face aux autres pour avoir leur approbation. Il y’a un paradoxe évident entre la vie privée que le prince et la princesse réclament et le besoin d’attention que leur nature réclame, ressort comique de tout l’épisode qui fonctionne à merveille. Mais Kyle est lui aussi pris dans un engrenage délétère, poussé à gérer sa marque comme n’importe quel produit. Il apprendra aux dépens de Butters que sa fausse image de marque fabriquée ne le mènera nulle part. The Worldwide’s privacy Tour pose les pieds dans le plat sur cette tendance à jouer un rôle en société, qui dégénère dans le fait de se vendre comme un produit depuis l’essor des réseaux sociaux. Les sociétés qui en font leur commerce en prennent pour leur grade, tout autant que leurs idiots utiles. On apprend aussi que l’image de marque la plus tendance est celle de la victime. Un épisode hilarant qui s’achève, une fois n’est pas coutume, de façon heureuse.
Eric Cartman est le héros d’un deuxième épisode sur cette courte saison : Dikinbaus Hot dogs. Le phénomène de la Grande Démission y contraint les employeurs à recruter des enfants. Butters y voit une occasion de faire un peu d’argent en vendant des glaces. Jaloux, Cartman convainc sa mère de le laisser travailler au même endroit. Mais sa motivation ne dure pas longtemps, et il a l’idée d’ouvrir avec Kenny un restaurant de hot dogs dans le vieux stand où lui et sa mère ont été contraints de vivre. Dikinbaus Hot dogs (pour « Dick and balls ») aborde les mutations du marché de l’emploi qui ont cours depuis la pandémie de COVID et le renversement du rapport de force salariés/patron. Il se démarque peu d’autres épisodes qui ont vu Eric Cartman entreprendre des business avec peu de succès. Mais il permet surtout de rétablir les Cartman dans leur ancienne maison après une saison de pauvreté.
Dans Deep Learning, Stan apprend que Clyde utilise chatGPT pour répondre aux textos de sa petite amie Bebe. Il décide de faire la même chose avec Wendy, qui déplore le manque de communication entre eux. Leur relation s’améliore et Stan utilise l’intelligence artificielle pour faire ses devoirs. Il ne tarde pas à deviner que Cartman, Butters et Clyde font la même chose. Le secret qu’ils partagent finit par fuiter et l’école engage un professionnel pour débusquer les tricheurs. Le phénomène ChatGPT et ses effets nocifs sont plutôt bien cernés par South Park. L’épisode est plutôt classique et divertissant, jusqu’à sa pirouette finale. Les créateurs du show se paient le luxe de faire écrire la fin de l’épisode par ChatGPT (crédité comme co-scénariste) : Un final en forme de parodie aux épisodes de South Park les moins inspirés, qui aligne tous les stéréotypes du show pour se moquer à la fois de ses stéréotypes et des capacités encore limitées de l’AI. Plus sérieux que les autres épisodes de la saison, Deep Learning perd en humour ce qu’il gagne en intelligence et en auto-dérision. Il montre que les auteurs de South Park ont toujours le soucis d’un certain recul sur eux-mêmes et qu’ils n’ont pas peur de prendre des risques.
Randy Marsh est bien de retour dans l’épisode Japanese Toilets. Le père de Stan a découvert les toilettes japonaises et les vertus de ne plus utiliser de papier toilette. Se voyant comme un précurseur, il décide de propager la bonne parole à tout les habitants de South Park. Mais les lobby américains du papier toilette ne voient pas cela d’un très bon œil. Après deux épisodes avec des cibles plus évidentes, South Park s’attaque à un sujet sous les radars et nous interroge sur une question fondamentale : Quelle est l’utilité du papier toilette, au final ? Pourquoi cette industrie perdure t’elles alors qu’elle est sanitairement douteuse, délétère pour l’environnement et qu’il y’a des alternatives ? Il en ressort un récit politique qui remet en lumière ponctuellement Randy Marsh en « Kennedy » auto-proclamé et pire cauchemar pour le portefeuille des proctologues. Et c’est toujours un plaisir de voir Jimmy en journaliste d’investigation.
La saison se clôt sur un épisode étrange. D’un côté, nous suivons les excès masculinistes de Randy pour enseigner le Spring Break à l’ancienne à son fils Stan. De l’autre une intrigue douce-amère qui voit les vieux démons présidentiels de Garrison reviennent le hanter. Le spectre Donald Trump pèse encore sur les Etats-Unis, mais on sent que Parker et Stone n’ont pas le cœur à faire un remake des aventures de Garrison à la présidence. Même si la menace est toujours là, le happy end est pour le moment de rigueur pour le professeur et son petit ami Rick. Pour la suite…Nous verrons bien.
Créateurs / Showrunners : Trey Parker & Matt Stone
Réalisation : Trey Parker
Scénario : Brian Graden, Trey Parker, Matt Stone, ChatGPT
Directeur de la Photographie : Gareth Taylor
Montage : Giancarlo Ganziano
Musique : Jamie Dunlap
Département Son : D.A Young, Joe Schiff
Animateurs : Dave Koch, Andy Arett, Scott Oberholtzer, Anthony Sant’Anselmo, Jason Lopez, James Dion, Andrew B.Rhoades, Neil Ishimine, John Luciano, Edgar Tellez, Lesley Hur, Oliver De Guia, Jonathan Eden, Shaina Reyes, Charis Patton, Kristen McCormick, George Newman, David Brown, Winter Rafferty, Jacob Glaser, Sunshine Hurtienne, Kyungmin Lee, Jonathan Robert
Pays : USA
Durée : 6 x 22 mn
Diffusée sur Comedy Central du 8 février au 29 mars 2023

Production : Trey Parker, Matt Stone, Anne Garefino, Frank C. Agnone II, Daryl Sanctone, Vernon Chatman, Adrien Beard, Bruce Howell, Eric Stough, Kurt Nichels, John ‘Nancy’ Hansen, David List, Mark Munley, Nate Pelletieri, Greg Postma, Lydia Quidilla, Wonnie Ro, Jenny Shin, Keo Thongkham
Voix US : Trey Parker, Matt Stone, April Stewart, Mona Marshall, Adrien Beard
Genre : Animation adultes
Note : 8/10
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